Les Roumains comptent et protègent leurs cigognes

Roumanie/Pologne – Les Roumains auront beau voir et entendre leurs hommes et femmes politiques s’égosiller dans un Parlement qui bat de l’aile que ça ne les empêchera de compter leurs cigognes. Dans les pays dont la principale valeur s’appelle la famille, il est tout à fait normal que cet oiseau, symbole depuis l’Antiquité de la maternité et de la piété filiale, soit vénéré. Que ce soit en Roumanie mais aussi en Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie ou Ukraine, un village sans cigogne n’est plus vraiment un village.  Mais la cigogne est davantage que l’amie des hommes, elle est leur protectrice dans le sens où elle les prévient des erreurs qu’ils commettent.

Une lanceuse d’alerte

Comme elle est fidèle et retrouve toujours son nid, en ne le rejoignant pas, elle punit l’homme pour son manque de respect à l’égard de la nature. La cigogne est en quelque sorte une lanceuse d’alerte. Si une collectivité territoriale transforme un marécage en zone artisanale, le risque est grand que la cigogne déserte à jamais les villages environnants. En revanche, si les forêts, les prairies, les fleuves, les rivières et ruisseaux ainsi que les surfaces vouées à l’agriculture sont entretenus et exploités à bon escient, la cigogne sera fidèle et manifestera sa reconnaissance en venant s’y reproduire. Compter le nombre de cigognes n’est donc  pas une lubie de vieux qui s’ennuient mais une nécessité pour ramener les hommes à la raison.  Les vrais protecteurs de la nature n’ont pas attendu la vague verte, dont on nous rebat aujourd’hui  les oreilles, pour les sauvegarder, ils se sont organisés en réseau pour étudier et chiffrer la reproduction de cet échassier majestueux dont la science a prouvé qu’il n’abandonnait ni sa progéniture, ni ses géniteurs, ce qui force le respect dans un monde où l’égoïsme et l’ingratitude sont devenues des règles de vie. Le son qui jaillit de son long bec n’est pas aussi mélodieux que le chant du rossignol mais peu importe car ses talents d’architecte qui le conduisent à  construire son logis en des lieux improbables font de lui un compagnon du quotidien. Une cigogne, on peut l’admirer le matin, le midi et le soir. Un couple de cigognes est un coupe idéal. Le mâle ne bat jamais son épouse. Mieux, il couve les œufs et fait le ménage dans le nid lorsque dame-cigogne va prendre l’air et charger ses batteries.

Un baromètre pour une nature protégée

Un couple de cigogne est un couple harmonieux qui fait des émules car là où il peut vivre,  s’épanouissent d’autres espèces. En Roumanie le comptage des cigognes est devenu une tradition, une règle à laquelle Freidrich Philippi ne déroge jamais et chaque année, il publie dans l’Allgemeine Deustche Zeitung (ADZ), éditeur-partenaire de notre site depuis sa création, un « bilan-cigogne ». La fierté de Philippi est d’avoir su mobiliser des écoliers et adolescents qui, à l’instar  du jeune Allemand, Andreas Zeck (notre photo), sont disposés à venir compter avec lui cigogne et cigogneaux. En Roumanie, c’est la cigogne blanche qui domine et personne ne s’en plaindra, car « elle est étroitement liée aux humains,  et  dans son habitat de consommateur final, elle se trouve au sommet de la pyramide alimentaire car n’ayant aucun prédateur elle est en bonne santé et peut se reproduire » précise Friedrich Philippi.  Si la  grenouille est son mets préféré, elle peut aussi se contenter d’une kyrielle d’autres animaux qui, de toute façon sans elle,  se seraient dévorés entre eux. Elle participe ainsi à l’équilibre de la nature. Ses menus sont variés avec en hors d’œuvres insectes et vers de terre, en plat principal un rongeur (souris ou mulot) ou un poisson et en guise de dessert un serpent ou un lézard. Plus la carte est fournie, mieux se nourrit notre héroïne  et plus elle se reproduit. Comme à l’accoutumée , Friedrich Philippi  a constaté cette année des changements d’habitude et de domicile des cigognes . Elles ont pratiquement disparu par exemple de trois bourgades, Mammersdorf, Michelsberg et Törnen à cause de l’urbanisation mais aussi de  la culture intensive du maïs, un fléau qui assèche les nappes phréatiques, les ruisseaux  et les étangs, privant ainsi les cigognes de leur nourriture et de leur environnement.  Autant attaché à son nid que fidèle à ses conjoint et progéniture, la cigogne n’hésite pas à se séparer du premier pour protéger les seconds, à quitter une cheminée ou le clocher d’une église pour installer son logis au sommet d’un pylône électrique. Cette adaptation au progrès prévaut aussi bien en Roumanie qu’au Portugal ou sur l’île d’Oléron. La construction massive de barrages a également provoqué un déplacement de la population de cigognes, ce qui rend le comptage difficile et oblige les observateurs à se déplacer  sur plus d’une centaine de sites .

La Transylvanie : paradis des cigognes

Dans certaines régions, à l’instar de la Transylvanie, l’oiseau blanc fait tellement partie de la culture locale que le voir disparaître serait un véritable drame. Lors de son périple annuel le long du Danube et dans les Carpates, Friedrich Philippi ne peut se dispenser d’une halte chez Miruna Gritu (notre photo), la protectrice des cigognes de Roumanie. S’il était venu à l’idée de la Commission Européenne de créer en 2004 un prix de la cause animale, cette jeune femme en aurait été assurément à plusieurs reprises la lauréate. Cette année là, inquiète par la chute du nombre de cigognes, elle décide avec son mari de transformer une ferme en refuge à cigognes, le plus souvent tombées du nid ou blessées par des lignes à haute tension. Grâce à ce couple, la ville de Cristian (Grossau en allemand) est devenue , selon l’expression de Miruna, « le château des cigognes ». En 2007, elle a décidé de fonder l’association « Les amis des cigognes » ouvertes aux écoliers, collégiens et lycéens qui interviennent en tant que bénévoles. Chaque année plusieurs dizaines de cigognes retrouvent leur envol grâce aux soins et à l’attention prodigués dans ce refuge que sa créatrice aimerait transformer en centre de zoothérapie à destination des enfants handicapés. La cigogne, aussi majestueuse dans les airs que les rapaces  n’est ni violente, ni agressive mais au contraire sociable ce qui autorise Miruna à accueillir d’autres animaux en perdition à l’instar des chevaux, chats, hiboux, faucons, pigeons ou hérons. Elle s’inscrit dans la lignée de l’ornithologue Werner Klemm (1909-1990) qui a consacré sa vie à vulgariser l’intelligence animale et à prouver qu’à pratiquement tous les égards elle était supérieure à celle des hommes. Dès qu’il eut atteint l’âge de la retraite, il profita de son temps libre pour coucher sur le papier tout ce que les animaux lui avaient enseigné, tout en organisant des conférences dans des établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes générations. C’est à lui qu’on doit le premier comptage des cigognes en 1988 et c’est grâce à ses héritiers que depuis plus de 30 ans on peut mieux comprendre les mystères de la migration des espèces animales. Mais le comptage des cigognes a une conséquence bénéfique  sur les jeunes humains car il ressuscite des qualités qui ont disparu avec les temps modernes en l’occurrence les trois P : patience, précision et persévérance. Pour compter avec exactitude le nombre de cigogneaux, il faut parfois attendre des heures par tous les temps   pour voir apparaître tous les becs affamés sortir du nid. Et c’est naturellement à Cristian que le comptage a été cette année  le plus périlleux car 47 couples ont nourri 102 bébés-cigogne. La cause à laquelle s’est vouée Marine Gritu a contribué à l’apparition de nouveaux nids dans quatre bourgades environnantes que nous tenons à citer (Talmesch, Reussmarkt, Grosspold et Orlat) car elles ont transformé le judet de Sibiu en Transylvanie en véritable parc à cigognes. Dans cette région Werner Klemm en avait attesté le plus grand nombre au début de ses recherches. Au fil des années, on assista à une baisse inquiétante  qui est aujourd’hui compensée par un retour de l’oiseau migrateur. 223 nids sont perchés sur les toits de Sibiu, ils hébergeaient en juin dernier 523 cigogneaux, un nombre jamais atteint depuis 1988. Enfin, il arrive que certaines cigognes, se sentant tellement bien dans le monde qui a su les protéger, décident de se sédentariser. Une leçon de vie, faite de tolérance et d’acceptation de l’autre, que les hommes ne savent toujours pas enseigner.

La Pologne : patrie des cigognes

Mais la Roumanie n’est pas une exception en matière de politique migratoire des volatiles. La Pologne n’est pas en reste . Un des ses plus petits villages a réussi le pari de devenir, proportionnellement au nombre de ses habitants (quarante), la capitale des cigognes quatre fois plus nombreuses.  A Zywkowo, au sud de la mer Baltique, toutes les maisons possèdent  leur nid et sur  l’une d’entre elles on en dénombre vingt, de quoi alourdir la charpente lorsque les dix couples construisent un nid susceptible d’accueillir  quatre ou cinq cigogneaux. Dans son livre « 111 raisons d’aimer la Pologne » (*), le journaliste-essayiste Matthias Kneip, consacre un chapitre à la cigogne aux ailes blanches et noires, dont le nombre s’élève certaines années à plus de 50.000, soit 20% de la population mondiale recensée. Il mentionne également le village de Pentowo près de Tykocin à quelques kilomètres de la frontière avec la Biélorussie, frappée en 1991 par une tempête historique. Après avoir été écimés par la violence du vent, les arbres permirent aux cigognes de trouver la matière première nécessaire à la construction de leurs nids. Elles investirent le lieu au point de faire de Pentowo, le « village européen des cigognes », une attraction touristique qui a incité les élus locaux à financer un mirador permettant aux visiteurs de regarder comment l’oiseau mythique, inspirateur de peintres figuratifs ou naïfs, élève, éduque et nourrit ses bébés. Ceux qui ont un peu de chance peuvent assister à l’atterrissage d’une couleuvre ou d’un lézard sur le sommet d’un arbre. Alors, elle n’est pas belle la vie ? (Source : adz/ Friedrich Philippi / Adaptation en français : pg5i.eu/vjp)

(*) Ce livre s’inscrit dans une collection de la maison d’édition berlinoise Schwarzkopf & Schwarzkopf qui consiste à faire découvrir des pays en les valorisant sous un jour autre que touristique. La plupart des pays d’Europe Centrale et Orientale ont fait l’objet d’un ouvrage qui apporte un éclairage nouveau sur les plans culturel, historique, économique et sociologique des territoires concernés. Tous sont devenus des « compagnons de route » de notre site car ils nous permettent d’enrichir nos contenus. Le 2 février 2020, nous avons consacré un long article au livre rédigé par le journaliste-essayiste et écrivain Christoph Brumme « 111 Gründe, die Ukraine zu lieben » (111 raisons d’aimer l’Ukraine »). Intitulé, « L’Ukraine : ce pays méconnu et troublant »  a été lu par plusieurs milliers de lecteurs de langue française vivant majoritairement au Québec, en Belgique et en Suisse Romande.

 

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