Les Biélorusses, inventeurs d’une nouvelle Révolution

Les Biélorusses sont à l’origine d’une nouvelle forme de Révolution qui parvient à défier les détenteurs d’un pouvoir dictatorial. Leur concept de « solidarité coopérative », s’il venait s’internationaliser, feraient d’eux les Lumières du 21ième siècle. Ce ne serait pas la première fois qu’un « petit » pays parvient, à l’instar de la Suisse, à se hisser grâce à son intelligence au sommet des Nations les plus respectées au monde.  

 

Biélorussie/Europe Orientale/UE – Une crise sanitaire, aussi perturbante soit-elle, ne justifie pas qu’il ait été fait aussi peu écho de la disparition, programmée par un régime dictatorial, d’un jeune écrivain dont le seul péché a consisté à se battre pacifiquement pour la liberté de son peuple. Parce qu’on assiste depuis des mois, impuissants, à une solidarité de façade à l’égard de la population biélorusse, parce que les « forces » diplomatiques se contentent de quelques menaces de sanctions à l’encontre de dirigeants dont on sait pertinemment qu’ils ont les moyens de s’en épargner et de ne pas, personnellement, en souffrir, on passe sous silence le destin tragique d’un homme, devenu sur ses terres et du jour au lendemain un héro de la Nation.

La naissance d’un martyr

Si la presse occidentale s’est peu offusquée de la mort de Roman Bondarenko, en revanche sur place et dans les moindres recoins de la République, elle a suscité un élan de solidarité rarement égalé. Une « deuxième vague » de protestation en quelque sorte , mieux organisée, et qui laisse supposer et espérer que les rebelles ne baisseront jamais les bras. Mieux, ils seront peut-être les pionniers d’une nouvelle forme de Révolution, insidieuse, invisible à l’œil nu mais efficace. Tout a commencé en ce 11 novembre 2020 (quel singulier hasard !), jour où des hommes masqués ont pénétré dans l’arrière-cour d’un immeuble pour y décrocher les rubans rouge et blanc devenus symboles des mouvements de contestation. En voulant s’interposer, Roman Bondarenko a sous-estimé le potentiel de violence des sbires du pouvoir en place. Masqués, ils l’ont roué de coups jusqu’à ce qu’il perde connaissance et tombe dans le coma. Transporté en urgence à l’Hôpital, il a succombé en début de soirée à ses blessures. Le jeune auteur habitait sur la Place du Changement à Minsk, une adresse prémonitoire qui semble avoir conduit à un nouveau tournant dans l’histoire atypique de cette révolution biélorusse. Des  milliers de personnes se sont spontanément rassemblées sur le lieu de drame le dimanche suivant pour une marche mais cette mobilisation, bien qu’une nouvelle fois silencieuse et pacifique,  n’a  pas dissuadé les forces spéciales d’intervenir . Non satisfaites d’avoir détruit le mémorial et nettoyé la place des bougies et fleurs déposées en hommage au défunt, les forces siloviki (*) ont profité du deuil collectif pour procéder à l’arrestation de quelque 1.200 personnes. Roman Bondarenko est bien parti pour devenir un Jan Palach biélorusse et c’est le rôle de la presse qu’il en soit ainsi. Le jeune Tchèque avait choisi le 19 janvier 1969 pour lancer, en s’immolant, un appel de détresse à l’opinion internationale qui n’a pas été entendu car les moyens de communication et de pression n’étaient pas performants comme ils le sont aujourd’hui. L’assassinat de Bondarenko, car c’est bien de cela qu’il s’agit est impardonnable, car il aurait pu être évité si les gouvernements occidentaux plutôt que louer  verbalement le courage des Biélorusses agissaient concrètement en rappelant, temporairement et de conserve tous leurs ambassadeurs en poste dans la capitale et en accordant sans contraintes bureaucratiques le droit d’asile à tous les jeunes ressortissants biélorusses qui ont réussi à s’échapper de cet enfer qu’est devenu leur pays. Ces propositions  relevant du bon sens seraient un défi à l’adresse du dernier dictateur du continent, une provocation qui, selon l’expression de Bertold Brecht serait la meilleure « façon de remettre la réalité sur ses pieds».

Un esprit révolutionnaire viral

Après de longs mois de protestation les Biélorusses ne prennent plus pour argent comptant les discours solidaires venant de l’étranger. Etant donné que le moindre rassemblement dans un lieu public est considéré par le régime comme un acte répréhensible de contestation, les Biélorusses ont décidé de changer de stratégie, de protester cachés à l’abri des regards inquisiteurs des milices de l’Etat. Cette nouvelle Révolution s’appelle le Révolution des arrière-cours et génère des milliers de foyers révolutionnaires qui communiquent entre eux par le truchement des réseaux sociaux. Tous ont téléchargé les denier album du groupe Krama, une équipe de musiciens rock née lors de la chute du régime communiste et qui a ressuscité à l’occasion des dernières élections présidentielles. En Biélorussie est née une révolte encouragée par des intellectuels qui ont eu l’intelligence non seulement d’écouter mais de comprendre les couches populaires de la société. Ces intellectuels, ils se sont engagés sur le terrain, ils ont franchi le pas de l’action en se portant candidats au scrutin présidentiel. Beaucoup ont été arrêtés, incarcérés, torturés mais en dépit de toutes ces humiliations, ils ont poursuivi leur combat. Dans une tribune qu’il a publié sur le site The Village Belarus, l’ancien directeur du département sociologie au sein de l’Académie des Sciences (**), Gennadi Korschunow (notre photo) décrit mieux qui quiconque l’atmosphère qui règne actuellement dans ce pays qui profite du confinement non pas seulement pour se protéger d’un virus mais pour se préparer à un avenir meilleur. « Je pense que la chose la plus forte en ce moment, ce sont les arrière-cours. L’auto-organisation y est le début d’un nouveau gouvernement qui  effraie le gouvernement actuel » écrit-il avant de poursuivre « les arrière-cours ont prouvé que les gens peuvent se réunir et résoudre beaucoup de problèmes ensemble. Lentement, les arrière-cours prennent conscience de ce pouvoir et aucune cour, ni aucun quartier n’est seul. Il y en a beaucoup, ils échangent des idées, ils s’entraident, apprennent les uns des autres. Les relations se développent et c’est exactement pour cette raison qu’ils recherchent maintenant des musiciens parce que l’art ne renforce pas seulement l’esprit, il éveille les consciences, il unit les gens pour ériger une nouvelle société. » La chance qu’ont ces révolutionnaires new-look provient du fait que le gouvernement en place « n’a toujours pas compris ce que les historiens et les philosophes mijotent dans les arrière-cour où le principe du  un pour tous et tous pour un, s’impose. C’est très puissant et sur le point de culminer. » Dans cette même tribune, le sociologue insiste sur lé généralisation d’une nouvelle forme de « solidarité coopérative » qui transcendent toutes les barrières sociales et culturelles. « Quand quelques milliers de scientifiques disent non à la violence, c’est fort. Quant un millier de sportifs élèvent la voix, c’est fort. Quand les travailleurs culturels expriment leur mécontentement, c’est fort. Quand les designers soutiennent les travailleurs ordinaires, c’est fort. Cette solidarité est forte parce que presque toutes les associations professionnelles ont pris un position claire : non à la violence ! ». Et Gennadi Korschunov d’insister sur le rôle prépondérant  que peut jouer la diaspora biélorusse dont le nombre est estimé entre 2,5 et 3,5 millions de personnes à travers le monde, soit entre 26 et 35% de la population nationale, pour relayer le message de paix formulé par les autochtones. « Nous avons prouvé et continuerons à prouver que personne ne décidera du sort de la Biélorussie sans les Biélorusses. Ni la Russie, ni l’Europe, ni les Etats-Unis et c’est la raison pour laquelle ces trois puissances seront très intéressées à parler et coopérer avec une Biélorussie libre et des Biélorusses dignes».  Dans d’autres territoires d’Europe Centrale, le modèle révolutionnaire biélorusse semble faire déjà des émules et ce, notamment en Pologne où à l’instar du « petit » voisin,  les femmes descendent massivement dans les rues pour se faire entendre.  Et exactement, comme en Biélorussie, elles sont rejointes par un nombre de plus en plus important de personnes issues de toutes les couches de la société. Il suffirait qu’en occident on assistât au même phénomène, notamment dans des pays où le terrain y est déjà propice, en France notamment avec le mouvement des Gilets Jaunes, pour que les cartes pussent se redistribuer. Ce ne serait par le moindre des paradoxes que de voir une crise sanitaire remettre en cause simultanément les discours des nostalgiques du communisme et les thèses des néolibéraux.  (Source : dekoder/ The Village Belarus/ mdz – Adaptation en français : pg5i/vjp) – Nombre de mots : 1.347

(*)    Le terme siloviki est dérivé du mot russe sila, qui peut être traduit par force ou violence. Les Siloviki sont donc des fonctionnaires  qui sont chargés de maintenir et d’exercer le monopole d’État en faisant usage de la force. Dans la langue vernaculaire, les siloviki sont également connus comme des personnes en uniforme avec des épaulettes.  Ils  comprennent généralement des employés des ministères des Défenses militaire et civile, de l’Intérieur et de la Justice ainsi que des autorités subordonnées telles que les troupes du ministère de l’intérieur.

(**) L’Académie des Sciences, créée en 1928, regroupe les scientifiques de toutes les disciplines de l’agronomie à la chimie en passant par la biologie, la médecine, la physique, les mathématiques, l’informatique, les sciences humaines, les arts et l’économie. Elle a joué un rôle important dans l’ex-URSS et occupe toujours une place prépondérante dans les milieux scientifiques d’Europe Orientale et d’Asie.

 

 

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