Les animaux, proie de la brutalité humaine

Ukraine/Russie/Europe Orientale – Quelques jours seulement après la destruction du barrage de Kachovska voilà que s’opposent déjà deux camps aussi convaincus l’un que l’autre qu’il s’agit de l’un des belligérants qui en porte la responsabilité. Pour les membres de l’OTAN, il ne fait aucun doute qu’une telle opération ne peut être que l’oeuvre de Vladimir Poutine, ce que les Russes et leurs alliés démentent formellement. Dans cette bataille des mots, des prises de positions et de jugements, la presse suit avec stupéfaction, comme si ce genre d’événement dramatique était une première, ce qui n’est hélas pas le cas, mais en revanche tout le monde s’accorde pour reconnaître que ce qui se passe à proximité du second plus grand lac artificiel ukrainien (1), presque aussi étendu que l’agglomération parisienne, est une catastrophe écologique d’une ampleur sans précédent en Europe.

Le premier « écocide » fut américain

Mais il faut toutefois préciser que cet « écocide », un terme qui a opportunément rejoint le vocabulaire médiatique, n’est ni plus, ni moins que le résultat d’un long processus inventé par les puissances belliqueuses qui consiste à impliquer et détruire la nature pour venir à bout de leurs ennemis. Les pionniers en la matière ont été les Américains dont les avions, entre 1962 et 1971 ( neuf années tout de même!) ont pulvérisé des tonnes d’herbicides qui ont contribué à la destruction de milliers d’hectares de jungle au Vietnam, autant de forêts de mangroves et si de nombreux petits Vietnamiens naissent encore avec des malformations, c’est parce qu’ils subissent toujours les séquelles transmises par leurs géniteurs. Dans son ouvrage « Climat et guerre » , le chercheur Michael Klare, décrit avec précision le rôle que peut jouer la nature dans l’émergence et le continuité des conflits mais aussi l’arme que peut représenter cette même nature pour faire des populations vivantes, humaines ou animales, des victimes collatérales des conflits. Il est regrettable qu’il ait fallu attendre la destruction du barrage pour que l’opinion prenne conscience des ravages que la guerre russo-ukrainienne a déjà causés sur l’environnement animal. L’Ukraine n’est pas un pays comme les autres car il est, de part sa situation géographique, la première plaque tournante au monde des oiseaux migrateurs dont certains sont, de surplus, en voie de disparition. Avant le conflit, l’Ukraine pouvait se prévaloir d’une diversité d’espèces animales unique au monde et ce, grâce à ses 4.900 kilomètres de réserves naturelles qui ont permis à plusieurs espèces dont l’ours brun et le lynx euro-asiatiques ainsi que le buffle de trouver l’espace adéquat à leur reproduction. Ces trois espèces terrestres ont été les premières à souffrir gravement de la guerre à cause des cibles manquées qui ont contribué à détruire leur habitat. Il en a été de même des crashs d’avion et des incendies. A cette déstabilisation de l’environnement, s’est ajouté un autre fléau en l’occurrence le braconnage qui, à cause de la guerre, a pu se développer en toute impunité. Les sanctions exercées par les puissances occidentales ont également joué un rôle néfaste sur la nature d’une part parce qu’elles ont mis à l’arrêt les chaînes d’approvisionnement et contraint les habitants à recourir à la chasse pour survivre, d’autre part parce que le contournement des livraisons en gaz et pétrole en provenance de Russie a obligé l’occident à construire de nouveaux gazoducs et oléoducs, lesquels exercent une pression supplémentaire sur la nature. L’ONG britannique « Action Against Armed Violence » (AOAV) a déjà analysé les premières conséquences directes de la guerre en Ukraine sur la nature. Il s’est avéré que le déplacement forcé de plus de 1,6 million de citoyens à l’intérieur du pays à partir du début des tensions en 2014 avait déjà provoqué la désertification d’usines et de mines. Autant de sites qui n’ont fait l’objet d’aucun contrôle et d’aucune surveillance, ce qui a provoqué une pollution de l’air et de l’eau mais aussi une surpopulation de certains espèces dont les loups qui sont devenus une véritable fléau pour les agriculteurs. L’état de guerre a permis aux braconniers de s’en donner à cœur joie et s’en sont pris aux castors d’Europe et aux putois des steppes pour négocier leurs précieuses fourrures. A cette violence illégale à l’égard des animaux, s’en est greffée une autre certes plus légitime mais tout autant destructrice, en l’occurrence celle de soldats et d’habitants contraints de chasser de manière excessive poissons, cerfs et sangliers pour se nourrir.

  • La cigogne noire, une espèce parmi les plus menacées par la guerre

Des oiseaux « déroutés »

Mais de toutes les espèces animales, les oiseaux sont les plus vulnérables car ils sont doublement victimes des combats au sol et dans les airs. Plus de 434 espèces d’oiseaux sillonnent chaque année le ciel ukrainien et selon Martin Harper, directeur régional de l’organisation « BirdLife Europe and Central Asia », dix-huit d’entre elles sont menacées à court terme d’extinction. Les routes aériennes ayant dû être modifiées, les oiseaux ont perdu de fait tous leurs repères. Les incendies de forêts consécutifs aux attaques aériennes, en détruisant les colonies d’insectes et de muridès les privent de leur nourriture de base et diminuent leur potentiel reproductif. La plus grande réserve de biosphère ukrainienne est située à proximité de la mer Noire dans le sud de l’Ukraine. Elle jouxte les zones de combat les plus intenses et c’est dans ce sanctuaire que se regroupent chaque année plus de 120.000 oiseaux migrateurs. C’est là qu’aujourd’hui leurs habitats et leurs sites de nidification commencent à disparaître. La guerre en Ukraine a déjà eu des conséquences dramatiques sur le peuple migrateur. Selon la revue spécialisée « Science & Health », des chercheurs du Cachemire ont déjà constaté la disparition en Inde de nombreux oiseaux migrateurs en provenance d’Europe. L’Ukraine est la terre d’accueil temporaire des cigognes noires et des pélicans roses qui y stationnent avant d’émigrer vers l’Asie. Les spécialistes attendent avec impatience et curiosité le prochain recensement afin de pouvoir mesurer l’impact qu’a eu et que risque encore d’avoir le guerre sur la population d’oiseaux.

Des dauphins échoués

Ils ne sont pas les seuls à s’interroger et à s’inquiéter car les effets de la guerre se font également sentir dans les eaux de la mer Noire, connues pour être complètement morte en dessous de 150 mètres profondeur, ce qui signifie que le plupart des êtres vivants se trouvent près de la surface et se voient affectés par l’augmentation des trafics maritime et sous-marin. Depuis le début de la guerre, Marian Paiu, directeur de l’ONG « Mara Nostrum », s’inquiète du nombre croissant de dauphins qui échouent sur les rives de la mer Noire. En temps normal, on en dénombrait de trois à quatre chaque année, un chiffre qui a connu une augmentation exponentielle au cours des premiers mois du conflit pour atteindre le 2.500 ! Les dauphins meurent dans les eaux ukrainiennes, roumaines, russes, bulgares, géorgiennes ou turque, leurs cadavres ne présentent aucune trace de blessures, ce qui tend à prouver qu’ils sont victimes de l’utilisation fréquente d’appareils à ultrasons qui perturbent leur système d’orientation, ce qui les empêchent de se nourrir ou tout simplement les incitent à se laisser mourir. La cause de ce massacre serait l’augmentation conjuguée des opérations militaires sous-marines et de surface. Mais il est fort possible que les dauphins aient péri à cause de la pollution due aux rejets chimiques déversés dans les fleuves affluents de la mer Noire. Si tel est le cas, cela signifie que la mort de ces mammifères marins n’est que la face visible de l’iceberg et que des milliers d’autres espèces meurent chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde dans l’indifférence absolue. Ces dommages là personne, ni aujourd’hui, ni demain, ne sera en mesure de les évaluer encore moins de les chiffrer. Le ministère ukrainien de l’environnement les estime à 37,8 milliards d’euros, ce qui semble peu ne serait-ce que pour reboiser un pays qui a vu, peu après le début du conflit, 600.000 hectares de ses forêts partir en fumée. vjp

(1) Sur les 100 plus grands lacs artificiels que compte la terre, vingt-quatre sont situés en Russie et huit en Ukraine, ce qui de ces pays les deux plus grands constructeurs de barrages au monde. Celui de Kachovska qui vient d’être détruit dans des conditions demeurant douteuses est le second lac d’Ukraine quant à sa superficie de 2.150 kilomètres, soit 105 kilomètres carrés de moins que celui de Krementshuker (2.252 km2) mais le premier en terme de contenance, laquelle s’élève à 28.200 kilomètres cube contre « seulement » 13.520 pour le premier.

1 réflexion au sujet de « Les animaux, proie de la brutalité humaine »

Les commentaires sont fermés.

error: Content is protected !!