Un virus, redresseur de torts,  grâce à un jeune Roumain

« Nous pouvons renoncer à la viande mais pas à la formation!!! »

Allemagne/Roumanie/Europe Centrale/UE – L’infection au coronavirus dont ont été victimes plusieurs milliers de travailleurs détachés dans des entreprises allemandes et plus particulièrement des abattoirs, a suscité l’émoi mais aussi la stupéfaction, car tout le monde s’est interrogé, à savoir comment de telles conditions de travail pouvaient être tolérées dans un pays qui se prétend chrétien et/ou social démocrate. Certains ont parlé d’esclavage mais c’est pire car les maîtres, jadis, avaient l’intelligence de garantir un minimum de santé à leurs esclaves pour qu’ils puissent œuvrer le plus longtemps possible. Les esclavagistes des temps modernes sont d’une autre nature car dès que leur serf est inapte à la tâche, ils sont autorisés à le renvoyer chez lui.

Le bidoche à deux euros le kilo !

Et c’est paradoxalement, grâce à la crise sanitaire, qu’il sera peut-être bientôt mis un terme à ces déplorables habitudes. Qu’il ait fallu attendre une pandémie pour que les autorités sanitaires aillent mettre leur nez dans des établissements qui se croient tout permis pour vendre leur bidoche à deux euros le kilo, n’est pas seulement surprenant mais tout simplement inadmissible. Et Szabolcs Sepsi, participant au projet « Faire Mobilität » (notre photo) mis en place par la fédération allemande des syndicats (DGB : Deutscher Gewerkschaftsbund) , d’être de cet avis. Ce jeune Roumain a bien l’intention de tout mettre en œuvre pour qu’il soit mis fin à des pratiques dignes d’un autre siècle. Dans une longue interview qu’il a accordée à l’Allgemeine Deutsche Zeitung, il commence par s’indigner du sort réservé à ses compatriotes et qui a consisté à les « placer  en quarantaine dans des appartements exigus où ils devaient vivre à huit ou dix avec une seule douche et un seul WC à leur disposition, appartements qui ont été conçus pour y dormir et non pas pour y vivre en continu pendant plusieurs semaines. » En plongeant dans cet univers des plus sordides, S.Sepsi a découvert que la plupart de ceux qui l’occupaient, avaient été recrutés non pas directement par les abattoirs à l’origine du scandale mais par des sociétés sous-traitantes qui ont imposé de force et sans concertation la réduction du temps de travail, une mesure qui est la pire des sanctions lorsqu’elle touche des saisonniers qui vont travailler en occident pour aider leurs familles restées au pays.  Ne possédant pas les connaissances linguistiques nécessaires à la reconnaissance de leurs droits, ils ont dû signer à la hâte de nouveaux contrats de travail. Très vite, Szabolcs a constaté une série d’abus et de manquements allant du non respect des consignes de sécurité et d’hygiène à l’omission d’heures supplémentaires en passant par la relève des équipes et le non respect des horaires de travail.

Tous exclus de la société

«  La plupart d’entre eux n’ a  aucun contact avec la société extérieure, car leur employeur part du principe qu’ils sont là pour être corvéables à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ». Dans ce contexte, aucun de ces jeunes Roumains n’a la possibilité d’apprendre l’allemand, ce qui serait un plus lors de leur retour au pays. Le participant très actif au projet de « mobilité équitable » se réjouit que les ministres roumain et allemand du travail et des affaires sociales, Violetta Alexandru et Hubertus Heil, aient enfin pris conscience que « les racines du mal sont dans ces contrats d’entreprise illégaux qu’ils envisagent d’interdire  le 1er janvier 2021 ». Grâce à la logistique du DGB, qui  est doté de services performants et compétents en matière sociale et juridique,   Szabolcs Sepsi espère bien pouvoir proposer des mesures concrètes, dont la première concernera directement les abattoirs Tönnies de Rheda-Wiedenbrück où travaillent 4.000 salariés dont les trois-quarts ont été recrutés par le biais de sociétés intermédiaires. « Nous voulons, déclare-t-il, que toutes ces personnes soient sous la responsabilité directe de leur employeur. » Partant du principe que les abattoirs sont des entreprises comme les autres, « il n’y a donc aucune raison qu’ils soient des exceptions  en matière de législation du travail. » Par encadrement du travail, il faut prioritairement retenir le contrat, les horaires mais aussi les perspectives de carrière. Le jeune Roumain ne se battra pas seulement pour ses compatriotes mais pour tous les autres salariés étrangers qu’ils soient originaires de Pologne, d’Ukraine, de Géorgie ou de n’importe quel autre territoire étranger.

Les abattoirs mais pas seulement

Mais les abattoirs ne seront pas les seules entreprises concernées, car il est désormais de notoriété publique, que tous les secteurs recourant à une main d’œuvre étrangère sont plus ou moins soupçonnés d’en abuser. Cela vaut notamment pour de nombreuses entreprises agricoles qui rémunèrent leurs saisonniers au rendement. Plus ils cueillent de kilos de fraises, cerises ou abricots et plus ils remplissent des caisses d’asperges ou des cartons de haricots et mieux ils sont payés au détriment de leur santé et de leur colonne vertébrale. Quelles que soient les branches, les employeurs ont souvent la fâcheuse tendance à attendre la veille de leur départ pour solder le compte des travailleurs étrangers. Ces derniers sont alors face à deux hypothèses, soit ils acceptent sans rechigner ce qu’on leur donne et repartent chez eux, soit ils contestent, ce qui n’est jamais envisagé, car dans ce cas ils ne sont plus hébergés et contraints de payer temporairement une location. Szabolcs Sepsi tire un premier bilan positif de la pandémie car elle a permis de sensibiliser les populations des deux pays.  « Lorsqu’ils se sont aperçus qu’on s’intéressait à eux, ils se sont filmés avec leur smart-phone et les Roumains comme les Allemands ont pris conscience de la réalité ». Szabolcs Sepsi a cinq mois devant lui pour améliorer le sort de ses compatriotes et de leurs collègues de travail étrangers. Mais s’il parvient à ses fins c’est-à-dire à une reconnaissance effective des travailleurs étrangers, le sort de ces derniers ne sera pas pour autant définitivement scellé. En effet de plus en plus d’entreprises, notamment dans le domaine agricole, le plus gros pourvoyeur de main d’œuvre étrangère, saisonnière ou non, investissent dans la technologie et la robotique pour ne plus être dépendants de législations sociales contraignantes. Même des secteurs, dans lesquels la présence de l’homme semblait irremplaçable, sont touchés. C’est le cas notamment de la production d’asperges, plante fragile et dépendante de nombreux facteurs propices à sa culture (qualité du sol, climat, pluviométrie et ensoleillement), n’échappe pas à la règle, grâce notamment aux efforts de sociétés  hollandaises, qui après avoir inondé le marché de tomates sans odeur, ni saveur, qui mûrissent en plein hiver sous des serres sans le moindre rayon de soleil, sont parvenues à concevoir des machines entièrement automatisées et programmées par ordinateur qui sont déjà opérationnelles et pourront, bientôt,  remplacer des milliers de travailleurs saisonniers.

Les broyeuses d’emplois

Les fabricants de ces broyeuses d’emplois n’ont aucun problème pour trouver des investisseurs vénaux, avides de rentabilité et de profits, car leurs engins sont corvéables jour et nuit, par tous les temps et de surplus non syndiqués. Sur quinze hectares, trois personnes suffisent pour remplacer une vingtaine de Roumains, de Bulgares, de Serbes, d’Ukrainiens ou de toute autre nationalité et parfois membres de la communauté Rom. L’inventeur de cette machine ultra sophistiquée, Arno van Lankveld (notre photo) connaît bien son sujet car il est né de parents producteurs d’asperges qui avaient de plus en plus de difficultés pour trouver du personnel. Il impute cette pénurie de main d’œuvre à la libéralisation de l’économie des pays d’Europe Centrale et Orientale qui dissuaderait leurs jeunes ressortissants de venir tenter leur chance en occident, ce qui semble contestable étant donné qu’ils sont de plus en plus nombreux à profiter de la liberté de circulation et de l’ouverture des frontières pour venir s’y installer. Si les producteurs d’asperges manquent de main d’œuvre c’est plutôt parce qu’ils ne se donnent pas les moyens de la former. On ne cueille pas  les asperges comme  des fraises qu’on fait grimper à côté des tomates le long d’un échalas. La cueillette de l’asperge qui pointe son nez à 5 heures du matin pour changer de couleur deux heures après la percée du soleil, est une science demandant un savoir-faire. Le fils de paysan devenu ingénieur puis fondateur d’AvL Motion, en a eu lui-même conscience lorsqu’il s’est aperçu que derrière les gestes des cueilleurs d’asperges se cachait une technique de coupe particulière dépendante de plusieurs paramètres dont le plus aléatoire provient du fait que l’asperge pousse et surgit de terre à l’endroit où on ne l’attend pas. Un robot qui cueille cette plante ne doit pas seulement avoir des bras articulés mais aussi un véritable cerveau qui la repère en analysant la pression et la condensation du sol. Par ailleurs, il doit être en mesure de changer rapidement de rangée sans endommager le lit, constitué généralement de sable, lui-même recouvert souvent de plastique pour protéger l’asperge du gel. Arno van Lankveld a eu recours au système SIMATIC S7-1500 de Siemens parce que « cette technologie est fiable et disponible dans le monde entier ». Le prototype a permis de récolter seize asperges par mètre linéaire sur quinze hectares par jour, ce qui représente un volume vingt et une fois supérieur à celui d’une récolte traditionnelle. Si nous avons tenu à présenter en parallèle un jeune Roumain sensible aux inégalités sociales et un ingénieur, guère plus âgé, soucieux de garantir les besoins et la diversité alimentaires de toutes les populations, c’est parce que ces deux personnes sont inspirantes pour construire une Europe plus juste et plus équilibrée. Toutes les structures existent en Allemagne pour que les jeunes Roumains apprennent la langue de Goethe puis se forment à la robotique. Plutôt que de les chasser comme des malpropres une fois leur mission accomplie, pourquoi ne repartiraient-ils pas chez eux un diplôme en poche pour enseigner à leur tour sur leur terre d’origine ce qu’ils ont appris sur celle qui les a accueillis ? Les fonds européens destinés à la Roumanie ne doivent pas partir seulement à Bucarest mais rester en Allemagne pour que les jeunes Roumains y soient accueillis et encadrés dans des collèges ou lycées professionnels et non pas dans des hôtels de fortune où ils risquent d’être contaminés physiquement par un virus, psychologiquement et intellectuellement par le mépris de certaines élites européennes. Vital-Joseph Philibert (Source : adz / adaptation en français et recherches complémentaires : pg5i/vjp)

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