Tourisme et pandémie : la Hongrie dans son propre piège

Grotte et thermes de Miskolc

Hongrie – En espérant pouvoir lutter contre  le coronavirus comme il l’avait fait contre le terrorisme, c’est-à-dire en interdisant l’entrée dans son pays à « l’étranger » le ministre-président de Hongrie, Viktor Orban est tombé dans son propre piège car il a assimilé les touristes à des poseurs de bombe. Parce que son pays avait été, comparativement à la plupart des autres pays européens, moins touché par la crise sanitaire, il était parti du principe qu’en fermant les frontières, il réduirait les risques de propagation du virus. Mais au bout de quelques jours, il s’est aperçu que la majorité des étrangers ne venaient pas pour admirer Budapest ou se baigner dans le lac Balaton mais pour y travailler ou commercer. Imposer la quarantaine à des personnes qui contribuent à la croissance économique n’était pas le meilleur moyen pour limiter les effets de la crise, ce qui a incité le gouvernement hongrois à modifier sa stratégie et à autoriser des exceptions dont les Tchèques, les Slovaques et les Autrichiens ont été les premiers bénéficiaires.

Le lac Balaton,, plus grand que le Léman, est le site touristique le plus populaire de Hongrie

Des Hongrois pas assez riches

Les dirigeants hongrois se sont par ailleurs imaginés que leur politique en faveur des familles et consistant à accorder des prêts immobiliers à taux  réduits,  des crédits en faveur de la consommation mais aussi des aides conséquentes aux mères de famille allait pouvoir déjà porter ses fruits. Or, cette ambition a été vaine et les premiers à s’en rendre compte ont été les professionnels du tourisme, toutes branches confondues, qui se sont aperçus que les revenus dont disposent les Hongrois ne pourraient jamais compenser les pertes consécutives à l’absence de touristes étrangers. Pire, la stratégie du gouvernement a provoqué l’effet inverse, incité les hôtels et campings à augmenter leurs tarifs provoquant ainsi la fuite de touristes nationaux vers des pays voisins. Selon le syndicat de l’hôtellerie MSZESZ, le coût moyen d’une nuitée est certes moins élevé en Hongrie qu’en Autriche et Slovaquie mais demeure supérieur à celui en vigueur en Pologne ou en République Tchèque. Le patriotisme a ses limites lorsque le prix d’une chambre d’hôtel s’élève à 75 euros sur les rives du lac Balaton , soit 4,5 fois plus que dans un village touristique tchèque. Du 1er janvier au 31 juillet dernier, le secteur touristique a enregistré une chute de 55% de ses revenus par rapport à la même période 2019. Plus de 450.000 personnes travaillent dans les hôtels, bars, restaurants, les agences de voyage ou sur les bateaux de croisière dont la plupart est dépendante des touristes étrangers. Dans ce contexte, la capitale a été la plus touchée et même en pleine saison estivale, 25% de ses hôtels ont préféré rester fermés. Tous comptaient sur un éventuel sursaut à l’automne mais la décision du gouvernement de fermer les frontières le 1er septembre a dissipé tous leurs espoirs. Quelle que soit l’évolution de la pandémie, la situation à Budapest ne devrait pas s’améliorer avant 2022. Dans la plupart des pays européens, dont l’Allemagne, on a constaté que le sursaut épidémique était dû au retour des nationaux de leurs vacances à l’étranger, or ce ne peut être le cas de la Hongrie étant donné que plus de 40% de la population n’ont  pas les moyens financiers pour séjourner ne serait-ce qu’une semaine à l’extérieur de leurs frontières. Ce ne sont pas les « étrangers » qui sont responsables de la propagation du Covid 19, mais plutôt les réunions familiales (baptêmes, communions, fiançailles, mariages, anniversaires et funérailles) qui la favorisent. Fermer les frontières pour vider les hôtels et les campings et réduire les horaires d’ouverture des bars et restaurants  sont des mesures qui n’ont aucun effet si on continue à autoriser les rassemblements en cercles privés, d’autant que dans ce genre de circonstances où on se retrouve pour boire et manger, le port du masque n’a plus aucun sens.

Le Palace Hotel de Miskolc, symbole de la splendeur d’antan
Cascades au coeur de Miskolc

Inventer un tourisme intelligent

La pandémie va contraindre les autorités hongroises à revoir de A à Z leur  politique en matière de développement touristique. Lorsque le pays s’est ouvert au libéralisme, il a commis une grave erreur en concentrant sa promotion touristique sur la capitale. Budapest s’arroge 90% des nuitées d’étrangers enregistrées chaque année, alors que tout le pays dispose d’un patrimoine exceptionnel grâce à ses frontières avec l’Autriche à l’Ouest, la Slovaquie au Nord, la Serbie au Sud et la Roumanie et l’Ukraine à l’Est. Aucun autre pays européen n’a autant de potentiel sur les plans historique, architectural, religieux,  sociologique et ethnique. Le Hongrie est un paradis pour tous les touristes qui se passionnent pour l’histoire européenne. Quelques jours passés à Miskolc, située à deux heures d’Oujhorod (Ukraine) et à une heure de Kosice (Slovaquie) permettent, de se plonger dans les cultures grecque, croate, polonaise, ruthène, serbe, ukrainienne, slovaque et allemande, mais aussi dans les traditions juive, luthérienne, catholique et tzigane.  On pourrait en dire autant de dizaines d’autres villes d’Europe Centrale tchèques, polonaises, slovaques, roumaines, bulgares, ukrainiennes ou baltes. Tous ces pays, lorsqu’ils ont intégré l’Union Européenne auraient dû être aidés et formés pour promouvoir leurs richesses patrimoniales plutôt qu’encouragés à imiter les territoires occidentaux.  Il ne sert à rien qu’ils disposent d’Instituts Culturels à Paris ou à Berlin, si la majorité des Français et des Allemands continuent à ignorer qu’ils disposent de lacs majestueux, de stations de sports d’hiver modernisées, de routes des vins, de thermes uniques au monde, d’immenses parcs naturels sans oublier naturellement des centaines d’événements pérennisant des traditions séculaires qui ont complètement disparues en occident. Il est tout à fait normal que la culture en période de crise soit protégée mais il est aussi indispensable qu’elle le soit sous tous ses aspects et, à preuve du contraire, on a rien trouvé de mieux que le tourisme intelligent pour la diffuser.  (Source : Rainer Ackermann/Budapester Zeitung – Adaptation en français : pg5i/vjp)

 

 

 

 

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