Mise en doute du traitement médiatique de la pandémie

Allemagne – Dans le traitement de l’information en temps de crise, les chaînes publiques sont généralement plus crédibles que les réseaux privés. Parce qu’elles puisent leurs informations et les analysent à partir de sources officielles, dont la principale en Allemagne est l’Institut Robert-Koch (RKI), les téléspectateurs prennent systématiquement pour argent comptant des données et des faits qu’ils estiment indiscutables. Mais la responsabilité de ces chaînes publiques est  à double tranchant car,  confrontées à une concurrence exacerbée avec les réseaux privés, leur tentation est grande d’utiliser la parole officielle pour faire grimper l’audience. Comme il est plus facile de rassembler en faisant peur qu’en rassurant, les éditions « spéciales corona » élaborées à la hâte dès l’amorce de la pandémie n’ont pas dérogé à cette règle. Deux chercheurs en médias de la chaire de littérature allemande moderne officiant à l’Université de Passau, ont visionné à plusieurs reprises plus de 90 émissions spéciales consacrées au covid 19 par les deux chaînes ARD et ZDF entre la mi-mars et la mi-mai.

Dennis Gräf
Martin Hennig

« Un conte de zombies »

Selon Dennis Gräf et Martin Hennig, d’entrée de jeu « ces émissions spéciales ont offert un scénario de crise et de menace permanente ». Dès les premiers jours de la pandémie « ont été montrées des zones piétonnes sans piétons et des magasins vides accompagnés de spéculations sur une crise durable qui n’était cependant pas encore là. » déclare D.Gräf qui n’hésite pas à poursuivre que « nous connaissons de telles images grâce aux histoires de la fin des temps et aux contes de zombies ». Quant à son collègue, Marin Hennig, il ose aller plus loin en déplorant « la mise en scène de gens ordinaires sous l’angle de la performance. » Du jour au lendemain « on nous a parlé de héros de tous les jours qui dépassent leur rôle professionnel à l’extrême, qui sont là pour la société jour et nuit  et qui, au sens figuré, se sacrifient pour un plus grand bien. » Il cite le personnel hospitalier et les livreurs de DHL ainsi que la « glorification » du virologue Christian Drosten. En revanche, le télétravail  avec garde d’enfants simultanée a été présentée comme « problématique car susceptible de diminuer la productivité habituelle ». Les deux chercheurs sont à l’unisson pour reconnaître que les programmes spéciaux ont été conçus pour « construire des modèles indépendants du monde et véhiculer certaines valeurs fonctionnant avec des exagérations ». Ils assimilent cette stratégie éditoriale à « des mises en scène déjà  utilisées par des superproductions hollywoodiennes ». Le risque est grand que des programmes qu’il est indispensable de considérer comme des documentaires se transforment peu à peu en fiction. Comme ils fallait s’y attendre le rédacteur en chef concerné chez l’ARD, Rainald Becker, piqué au vif a immédiatement réagi mais s’est trahi en mettant en avant la forte demande des téléspectateurs en informations sur le virus, ce qui signifie qu’il fallait trouver des sujets choc pour y répondre. Un des porte-parole de la ZDF s’est justifié en parlant d’un « processus de réflexion quotidien dans les rédactions de la chaîne » . Tous deux rejettent l’accusation « d’étroitesse d’esprit » formulée à leur encontre par les deux chercheurs. Ces derniers ne seront probablement pas les seuls, en Allemagne mais aussi dans d’autres pays, à réfléchir sur le rôle des médias dans le traitement d’événements autant sujets à polémique que l’est actuellement le Covid 19. Les médias ont beau s’élever contre le coronascepticisme et le complotisme, il n’en demeure pas moins qu’ils en sont les premiers responsables en donnant la parole à des scientifiques et des hommes politiques qui profitent de la pandémie à des fins de carrières personnelles. vjp

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