Travailleurs saisonniers : de la surexploitation à l’état pur

Allemagne/Roumanie/Europe Centrale – L’actualité s’est focalisée récemment sur le sort réservé aux travailleurs saisonniers dans certains abattoirs allemands mais ces méthodes d’un autre temps ne concernent pas,  hélas, ces seuls établissements. Le quotidien TAZ (Tageszeitung) a révélé la semaine dernière à ses lecteurs un scandale qui s’est déroulé dans une ferme maraîchère, située à Mamming dans le land de Bavière.  Informé d’un important foyer d’infection dans cette entreprise, un des rédacteurs a jugé utile d’aller voir sur place si les règles d’hygiène avaient été respectées. A cette occasion,  il a constaté  des conditions de travail pour le moins douteuses qu’il a tenu à signaler  à la DGOA (Deutscher Gewerkschaftsbunds für osteuropäische Arbeitnehmer /  Fédération allemande des syndicats pour les travailleurs d’Europe de l’Est). Cette dernière a alors immédiatement mandaté un consultant qui a été autorisé à passer au crible les contrats de travail .  Quelle n’a pas été sa surprise lorsqu’il s’est aperçu que les quelque 500 saisonniers employés par la société Wagner, dont la moitié positive au coronavirus, étaient rémunérés à un tarif 37% inférieur au minimum légal, soit 5,80 euros de l’heure au lieu de 9,35 euros.

Jeunes Roumains dans une ferme maraîchère en Allemagne

Otages, prisonniers et esclaves

Profitant de leur méconnaissance de la langue, le gérant, non seulement leur faisait signer des documents qu’ils ne comprenaient pas, mais leur confisquait leurs pièces d’identité pour les maintenir de force sur leur lieu de travail.  Mais les abus ne se sont pas limités à cette véritable prise d’otages, tous les jeunes saisonniers, dont la majorité en provenance de Roumanie, étaient sommés de s’acquitter, naturellement en espèces (!), d’une somme de 200 à 300 euros , destinée à un intermédiaire assimilable dans le jargon migratoire à un passeur.  Le consultant a découvert des cas extrêmes de surexploitation, tel ce jeune Roumain payé 472 euros pour 133 heures de travail, son employeur n’ayant rien trouvé de mieux que de déduire de son salaire sa participation à un loyer dans un appartement de misère partagé avec trois ou quatre de ses compatriotes. Il est évident que les règles de distanciation physique, dans ces conditions ne pouvaient être respectées, comme ne l’a jamais été également la législation du travail. L’employeur s’est autorisé tout et n’importe quoi allant jusqu’à la confiscation des téléphones portables afin que ses esclaves ne puissent pas  photographier  les documents signés de force à leur arrivée.  Ne manquant ni de toupet, ni de cynisme, il s’est justifié en déclarant qu’il était en droit de déduire des rémunérations certaines avances sur salaire . Par avance, il entend vraisemblablement les charges locatives d’un logement de fortune. Ce genre de comportements n’est pas propre à l’Allemagne mais plus ou moins légalisé dans la plupart des pays qui recourent à une main d’œuvre saisonnière et  partout on constate que les organismes sociaux et les inspections du travail ne sont pas compétentes pour y mettre un terme.  Abuser des saisonniers en temps normal est déjà inadmissible mais profiter d’une pandémie pour les transformer en esclaves, prisonniers et esclaves,  est purement et simplement ignoble. Plutôt que de se quereller sur le déboulonnage de statues édifiées il y a des dizaines voire des centaines d’années, les observateurs du passé seraient mieux inspirés en scrutant les abus du présent. vjp

 

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