L’exigence démocratique passe par un minimum de liberté

Allemagne/France/UE/Monde – Après avoir pris des mesures sanitaires d’urgence et inédites pour lutter contre le coronavirus, les dirigeants se trouvent désormais face à un nouveau défi, celui de relancer au plus vite l’économie. Pour modérer les sentiments de peur et de panique qu’a suscités ce fléau imprévu, les dirigeants ont cassé une tirelire qui s’apparente de jour en jour à un tonneau des danaïdes. Etant donné que toutes les professions, abstraction faite des géants du numérique, sont touchées de plein fouet par les conséquences du confinement et l’arrêt des activités qui s’en est suivi, le moment est venu de trouver les bonnes solutions pour sauver ce qui peut encore l’être.


De toute part, une réalité s’impose : quelle que soit l’évolution de la pandémie, il sera impossible, socialement, de maintenir l’isolement des personnes actives. Mais l’Allemagne qui a été reconnue comme un modèle à suivre pour enrayer une pandémie, va-t-elle pouvoir continuer sur sa lancée et encore une fois être un exemple pour gérer une nouvelle crise économique ? A priori, oui, mais à la condition que ses voisins européens prennent conscience que la République Fédérale a une longueur d’avance, dans le sens où son histoire récente, en l’occurrence la destruction quasi-totale de ses structures sociales lors de sa capitulation en 1945 puis sa réunification, l’a placée, au début des années 1990, dans une situation sur certains points identique à celle que nous vivons à l’heure actuelle.

Un PIB en hausse de plus de 300%
En 1992, soit trois ans après la Chute du Mur de Berlin, le Produit Intérieur Brut par habitant s’élevait à 21060 euros et il a presque doublé en vingt-six ans pour atteindre les 40.851 euros. En cette même année 1992, aucun des cinq nouveaux lands ne franchissait la barre des 10.000 euros par habitant mais tous, en revanche, sont parvenus, sur la période considérée, à tripler leur performance. Alors que personne ne donnait cher de l’héritage sans valeur laissé par le régime communiste, tout le monde a dû reconnaître deux décennies plus tard que le pari avait été réussi. Le passage d’une économie planifiée à une économie libérale a été conditionné pour un grand nombre d’Allemands de l’est d’une brutalité , qu’il est extrêmement difficile de leur faire accepter une nouvelle fois. Il est et sera toujours plus ardu d’imposer l’isolement à des populations qui ont été privées de liberté pendant près d’un demi-siècle qu’à des couches de la société qui ont joui sur la même durée de la possibilité de se déplacer, d’entreprendre et de communiquer. Les occidentaux qui n’ont pas connu cette période de terreur qu’a été la tutelle soviétique. Ils considèrent les mesures d’isolement imposé par le virus comme un mauvais moment à passer. Certains le positivent et le trouvent même bénéfique car il serait l’occasion, proclament-ils, de se « ressourcer » , de retrouver des valeurs fondamentales et d’éveiller un esprit de solidarité entre les différentes strates de la société. Ces arguments les populations qui ont souffert du joug communiste, ont du mal à les accepter car elles ont l’impression de revivre des moments dont elles ne se sont pas encore entièrement remises. Entre 1945 et 1989, elles ont été dupées par des régimes qui n’ont perduré que grâce à un maillage pervers de la société rendu possible par une légalisation de la délation et après 1989, elles ont été considérées comme des vaincues n’ayant d’autre choix que de se soumettre aux volontés des vainqueurs, ce qu’elles ont fait et les chiffres sont là pour le prouver. Entre 1992 et 2018, le Produit Intérieur Brut par habitant dans les nouveaux länder a grimpé en moyenne de 216 % passant de 9.283 à 29.349 euros. Plus ils étaient pauvres et plus ils sont devenus riches, notamment dans la Saxe et en Thuringe, deux lands qui ont vu leur PIB par habitant progresser respectivement de 320 et 335%.

Des lands qui revendiquent leur autonomie

W.Kretschmer, un ministre-président régional sur la même longueur d’onde qu’Angela Merkel 

Et pourtant, malgré ces résultats pharamineux, les lands de l’ex-RDA sont toujours à la traine alors qu’ils ont contribué à porter la croissance sur l’ensemble du territoire national et tous leurs dirigeants craignent que les conséquences du confinement les pénalisent davantage qu’à l’ouest et ce, à un moment où ils s’apprêtaient à se rapprocher des standards occidentaux. S’ils se sont pliés sans broncher aux recommandations formulées par le gouvernement fédéral, en revanche, ils souhaitent tirer leur propre bilan des mesures adoptées et tous estiment qu’il n’est plus normal de faire supporter à l’ensemble de la population des contraintes qui ne sont plus justifiées. Les premiers à avoir régionalisé le déconfinement sont les ministres-présidents des lands de Saxe et Saxe-Anhalt qui ont passé le nombre de personnes autorisées à se rencontrer de deux à cinq et ce, y compris lorsqu’elles n’habitent pas dans le même immeuble. Tous les magasins peuvent rouvrir leurs portes, quelle que soit leur superficie. La Saxe-Anhalt n’exclut pas d’autoriser, sous certaines conditions, la réouverture des bars, restaurants et hôtels dès le 22 mai, si le taux de contamination demeure stable. Cette mesure a déjà été prise dans le Mecklenburg-Poméranie, un land qui envisage par ailleurs d’accueillir les touristes avant les fêtes de Pentecôte, c’est-à-dire avant la fin du mois. Les gouvernements régionaux des lands de l’ex-RDA sont déjà suivis par leurs homologues de l’ouest et Daniel Günther, chef du gouvernement du Schleswig-Holstein, a annoncé pour la mi-mai la réouverture progressive de la frontière avec le Danemark, approuvée par le ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer. Les deux métropoles de Hambourg et Berlin ont également annoncé des mesures s’assouplissement du confinement. La première a rouvert ses jardins pour enfants, ses musées, mémoriaux, zoos et jardins botaniques et la seconde a donné son feu vert pour que les grands magasins puissent reprendre leurs activités. Les Berlinois s’imaginaient mal voir leur emblématique KaDeWe encore fermé de longues semaines alors qu’il représente toujours le plus fort symbole de la capitale. Ce grand magasin qui fait partie des plus prestigieux au monde, devrait retrouver à peu près son rythme habituel car compte tenu de sa superficie (44.000 mètres carrés) et des contraintes (un visiteur par 20 m2), il sera en mesure d’accueillir simultanément plusieurs centaines de clients. Le seul à remettre en cause les décisions d’assouplissement prises par les instances régionales est le chef de gouvernement du Bade-Wurtemberg, Winfried Kretschmer (notre photo), membre du parti écologiste « Die Grünen » qui estime qu’elles vont à l’encontre du discours tenu par la Chanchelière, laquelle ayant toujours plaidé pour une communion de vue et d’agissements.

Les risques d’une rechute
La polémique qui tend à s’instaurer au sujet du déconfinement risquerait de s’exacerber si les craintes d’une seconde ou troisième vague de propagation du virus s’avéraient. Cette éventualité, le président de l’Institut Robert Koch (RKI), Lothar Wieler (notre photo) ne l’exclut pas et il lui arrive même de la rendre crédible avant l’heure. Les Allemands seraient-ils alors disposés à faire machine arrière ? C’est peu probable car il est fort possible qu’au final, ce soit la réalité des chiffres qui ait raison des discours alarmistes. Actuellement, dans les pays les plus vulnérables l’épidémie cause de quatre à six décès par jour, soit en moyenne de cinq, par million d’habitants. A supposer que le virus reprenne de l’intensité et frappe cinq fois plus de personnes, ce qui paraît peu probable compte tenu de la distanciation physique et du port obligatoire d’un masque, deux mesures faisant l’unanimité, on atteindrait un nombre de décès au bout de six mois de 5.400 par million d’habitant, soit 0,5% de la population. En France, cela représentait 335.000 décès, soit 83% du nombre cumulé de morts par cancers, qui ont coûté la vie, en 2018, à 214.000 Français et 185.000 Françaises. Quitte à tenir une comptabilité macabre, on peut partir du principe que sur le nombre de disparus, beaucoup nous auraient quittés sans l’intervention du virus, qui est dans une majorité des cas plus un accélérateur qu’une cause réelle de décès. Partant de ces réalités qui n’ont rien à voir avec une forme de négationnisme encore moins de complot, on ne peut clouer au piloris tous ceux, de plus en plus nombreux, qui émettent des doutes et s’interrogent à savoir si les mesures prises par les politiques ne sont pas disproportionnées par rapport à la réalité. Ce sentiment de suspicion est d’autant plus compréhensible que les scientifiques ne tiennent pas le même langage d’un pays à l’autre, y compris en ce qui concerne la règle basique de prévention qu’ est la distance physique, laquelle pouvant varier du simple au double. Il en va de même sur la fiabilité des masques en fonction de leur texture. Moins le virus fait de ravages et plus les dirigeants sèment le trouble en se repliant derrière des avis d’experts pour se parer de toute responsabilité et font accepter des lois qui auraient été impensables avant la pandémie. Les incertitudes sur l’origine, l’évolution et les vecteurs de contamination, souvent supposés mais pas toujours certifiés, ont permis dans un premier temps de médiatiser à outrance la pandémie au détriment de la politique et celle-ci n’a pu reprendre le dessus qu’à partir du moment où toutes les failles des systèmes de santé sont apparues au grand jour. Et c’est dans les pays les plus riches de la planète que le virus, abstraction faite de l’Allemagne, a provoqué le plus grand nombre de victimes mais toujours de manière hétérogène. En France le nord-est et l’Ile de France ont été plus touchés que le sud-ouest, idem en Allemagne où la Bavière devance tous les autre lands quant au nombre de personnes infectées et décédées par millier d’habitants mais aussi au Canada, pays qu’il est intéressant d’observer du fait des différences de langues et de politiques à l’intérieur même de ses frontières. La « belle province » du Québec (8,5 millions d’habitants) a été la plus dramatiquement concernée par la pandémie. Grâce à un nombre conséquent de tests (970.000 au total) effectués dans treize régions, 33.417 cas y ont été confirmés contre « seulement » 18.722 en Ontario, pourtant presque deux fois plus peuplé (14,5 millions d’habitants). Alors que le Québec ne représente que 23% de la population canadienne 2.398 décès y ont été enregistrés, soit 58,3%. Par ailleurs, on prend moins de risque en vivant dans l’Ontario (1.429 décès) qu’au Québec où les densités de population sont respectivement de 14 et 5,5 habitants par kilomètre carré. Plutôt que de s’interroger et de se quereller à savoir d’où provient le virus, il serait plus judicieux d’essayer de comprendre pour quelles raisons il frappe plus fort ici qu’ailleurs. Ce ne sont pas seulement les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le virus, à l’instar des étapes du déconfinement, qui devraient poser des problèmes mais plutôt le choix des mesures à prendre pour le contrer sur le long terme. En attendant qu’un vaccin soit mis au point, ce qui n’est probablement pas pour demain, ceux qui ont en charge la santé publique devraient réfléchir sur l’hygiène de vie dans son ensemble. On sait, et les statistiques le prouvent, que les obèses et diabétiques sont les premières victimes du coronavirus aux Etats-Unis. A quoi cela servira-t-il de les confiner dans un appartement où ils ne trouveront rien de mieux à faire que de se connecter sur Netflix tout en se goinfrant de hamburgers arrosés de coca cola ? Au Québec, comme partout ailleurs, ce sont les personnes âgées qui ont été les premières cibles du virus. Katalin Vardi (notre photo), pneumologue hongroise, diplômée des Universités de médecine de Budapest et d’Oxford, actuellement en fonction à la clinique InspiroMed, spécialisée dans les maladies respiratoires, établissement où ont lieu les tests de dépistage, a été une des seules spécialistes à recommander de boire beaucoup d’eau car, selon elle, c’est le meilleur moyen de se prévenir d’un virus qui commence par se blottir dans la gorge avant de toucher les voies respiratoires. Comme il est prouvé qu’il est partiellement détruit par l’acide gastrique, il eût été judicieux de recommander aux personnes les plus vulnérables de s’hydrater plus que d’habitude pour limiter le danger. Dans tous les pays, on a préféré se limiter au lavage fréquent des mains. Si le Dr.Vardi avait prodigué ce conseil dans un pays non populiste, peut-être aurait-t-elle été mieux entendue ? vjp

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