La température sociale, la réelle et la  ressentie

France/Allemagne/UE – Il en va du climat social comme du climat tout court, le second est analysé par le truchement de températures réelles et indiscutables fixées par le thermomètre et de températures ressenties par la sensation de froid ou de chaud dans le corps. Le premier l’est quant à lui par le biais d’indicateurs qui, parce que variables d’un territoire voire d’une région à l’autre, tronquent la réalité. Quel que soit le pays dans lequel il habite, tout citoyen européen a dans sa famille ou connaît dans son entourage une personne inactive qui n’est ni étudiante, ni retraitée, ni handicapée ou invalide et qui, pourtant, n’est pas  inscrite sur la liste d’un organisme en charge de sa réinsertion dans le monde du travail ou plus généralement dans la société. Ils se comptent sur les doigts d’une main, les économistes qui ont le courage de reconnaître cette évidence , génératrice du malaise des sociétés contemporaines et qui, à bien y réfléchir, est à l’origine des mouvements de contestation qui se font jour, de diverses manières, dans la plupart des pays européens.

Le chômage, miroir trompeur de la réalité

Parmi cette poignée d’experts lucides et réalistes, Julien Marcilly, directeur général de la Coface,  qui estime que les économistes, famille à laquelle il appartient, commettent une grave erreur en corrélant la baisse de la précarité à celle du chômage. Les hommes politiques, quelle que soit la couleur qu’ils endossent, s’imaginent avoir accompli leur mission lorsque le nombre de demandeurs d’emploi est en nette diminution. Or, ce critère n’est plus suffisant pour mesurer l’état réel d’une société d’autant qu’il est constaté que plus le nombre de chômeurs baisse, plus  le nombre de précaires augmente. La plupart des mesures engagées pour réduire le chômage passe par la dévalorisation du travail et la baisse des rémunérations de ceux qui ont la chance de trouver un emploi. Pour arriver au pouvoir, les socialistes et sociaux-démocrates ont proposé la baisse du temps de travail hebdomadaire et celle de l’âge légal d’accès à la retraite, sans se rendre compte qu’une partie des électeurs, pas assez importante pour constituer une majorité mais suffisante pour représenter une forte minorité, était opposée à ces mesures. Si la social-démocratie périclite dans tous les pays, c’est parce que les sociaux-démocrates se sont trompés en pensant que leur deux propositions-phare allaient créer des emplois, ce qui a été le cas,  mais au prix d’une précarité accrue. Toutes les mesures qui ont été prises en France,  en partie imitées par d’autres pays dont l’Allemagne, et censées améliorer le niveau de vie des populations, ont eu l’effet inverse de celui recherché. Au nombre officiel de chômeurs, évalué dans l’Hexagone à environ 9% de la population active, s’ajoute un nombre incalculable car devenu inestimable, de personnes qui vivent de subsides. C’est la température sociale ressentie. Le classement des pays par PIB et par PIB par habitant et leurs perspectives de développement fondées sur l’évolution à la hausse ou à la baisse du chômage ne reflète plus la réalité sociale et lorsqu’on disait aux Britanniques, avant le Brexit, qu’ils étaient la 5ème  puissance économique mondiale, ils n’y croyaient pas et classaient leur pays à la 12ème place.

Le RSA : un Revenu pour une Survie Affaiblie

Les dirigeants en France  ont eu recours à la sémantique pour camoufler  leurs incompétences et s’éloigner de leurs administrés . Le Revenu Minimum d’Insertion est devenu le Revenu de Solidarité Active pour aboutir à ce qui serait plus judicieux d’appeler  un Revenu  pour une Survie Affaiblie. Au centre de cet univers kafkaïen, Pôle Emploi, une structure qui coûte des milliards d’euros aux finances publiques et qui se révèle au bout du compte  moins efficace que Le Bon Coin. Dans cette gabegie sont  venus s’immiscer  les collectivités territoriales et notamment les départements. Comme si ces derniers n’avaient pas suffisamment de prérogatives, ils ont accepté un cadeau empoisonné en l’occurrence la très difficile réinsertion des demandeurs d’emploi de longue durée dans le monde travail. Et comme il est de coutume dans ce genre de situation, les présidents de Conseils Départementaux  n’ont eu d’autre idée que de baisser le nombre de chômeurs, en recrutant des centaines de  « référents », un mot devenu du jour au lendemain à la mode qui a l’avantage d’avaler tous les termes utilisés auparavant. Etre référent, c’est être à la fois assistant, éducateur et animateur social, tuteur, parrain et conseiller,  mais c’est surtout chercher à savoir si tous ces fainéants qui ne trouvent pas de travail ne cherchent pas à truander les organismes sociaux qui leur permettent de remplir leur frigidaire. Etre abandonné par Pôle Emploi pour être orienté vers une référent départemental, qui peut être un « référent-parcours » ou un « technicien-insertion » est un parcours du combattant qui désespère et déprime plus qu’il encourage ou mobilise. Pour mieux comprendre ce brouillamini infernal, rien de mieux que de l’illustrer par un cas d’espèce qui pourrait constituer à lui seul un manifeste pour une France socialement plus juste, moins bureaucratique et de fait moins bornée et plus réaliste.

A peine neuf euros par jour pour subsister !

François, demandeur d’emploi de longue durée, sait de quoi il parle, lorsqu’il dénonce, en off et anonymement de peur des représailles, les abus auxquels il a été victime et dont aucun « gilet jaune » ne pourrait imaginer qu’ils pussent exister. Il avait 50 ans en 2015 et pointait depuis plus de deux ans à l’agence Pôle Emploi de Saint-Etienne, lorsque, en fin de droits, il a été pris en charge par l’un des 193 référents ( !) que compte le département de la Loire. Titulaire d’un baccalauréat, section commerce, il n’a pas fait de longues études supérieures mais, toujours disposé à changer de profession en cas de besoin, François a été « mobile » avant l’heure, ce qui lui permet de maîtriser l’anglais et l’allemand. Plutôt du genre « intello », il considère le numérique comme le moyen idéal pour s’épanouir, se forme en autodidacte à la profession de Webmaster, parvient à concevoir quelque sites Internet pour des personnes ou des associations qui, comme lui, n’ont  par les moyens d’investir dans les nouvelles technologies dont on nous dit qu’elles sont l’avenir de la France. Peu importe, il insiste et se perfectionne. Seul handicap, il a du mal à maîtriser l’E-commerce et sollicite auprès de sa référente une formation, croyant naïvement qu’elle pourra peut-être lui trouver le sésame que Pôle Emploi avait été dans l’impossibilité de lui dénicher. Des mois s’écoulent. François survit avec son RSA jusqu’au jour où un de ses amis de longue date, Charles,  dans la même situation que lui, lui propose de participer à un projet commun , censé  leur permettre de rebondir et de sortir d’une situation de précarité que, tous deux,  acceptent d’autant plus mal, qu’ils n’avaient jamais eu recours jusqu’alors aux minima sociaux. L’ami en question qui vivait alors chez une amie habitant à 40 kilomètres de Saint-Etienne dans un village reculé et situé une zone où internet est difficilement accessible, décide de s’installer à Saint-Etienne. Une aubaine pour François, copropriétaire en indivision avec ses trois  frères d’un appartement qu’il s’apprêtait à quitter car il ne pouvait  plus assumer les charges de l’immeuble, du fait d’importants travaux de copropriété. Charles, également allocataire du RSA, sollicite une allocation logement (Als)  que la Caisse d’Allocations Familiales lui accorde vu sa situation sociale. Pendant 18 mois, Charles et François vivent avec 1.152 euros par mois, soit deux RSA à 480 euros et une allocation logement à 192 euros. De cette somme « colossale », ils doivent déduire 150 euros de charges courantes, 210 euros de travaux de copropriétés, 80 euros  de charges diverses (eau, électricité, assurances et téléphone) et 120 euros nécessaires à leurs activités professionnelles (fournitures de bureaux, abonnements à des magazines spécialisés et frais de transports). Le 10 de chaque mois, lorsque Free, Engie, Foncia et la Stéphanoise des Eaux se sont servis et qu’ils ont acheté leurs cartouches d’encre pour leurs imprimantes (72 euros), il ne reste à François et Charles, chacun, à peine neuf euros par jour pour vivre. Ils se mettent à la vaporette car ils n’ont plus les moyens de s’acheter leurs cigarettes !

20 euros par semaine pour survivre !

Le 6 mars 2015, la mère de Charles, alors âgée de 89 ans décède et lègue à son fils, à la retraite depuis deux mois, un héritage qui aurait pu être beaucoup plus élevé si elle n’avait pas eu à payer plus 80.000 euros de frais de séjour pendant six ans pour  que son mari placé dans un établissement encadrant les malades d’Alzheimer, puisse mourir dignement après avoir séjourné pendant 18 mois dans un hôpital psychiatrique. Quoiqu’il en soit, ce qui reste d’une épargne constituée par un couple ayant travaillé pendant près de 50 ans, dont 30 pendant  10 à 12 heures par jour, suffit à Charles pour revoir la vie sinon en rose, du moins en un peu moins grise. Pour avoir exercé sa profession à l’étranger où il n’a pas pu capitaliser sa retraite comme il l’entendait, il a tout mis en œuvre, dès l’âge de 50 ans, pour se préparer une retraite active susceptible de lui garantir des revenus complémentaires à son Allocations de Solidarité aux Personnes Agées (ASPA), changement d’appellation du démodé « minimum vieillesse », qui permet de rappeler aux séniors, qui ont été mal payés  pendant 40 ans, qu’ils ont l’audace de trop vieillir au appauvrissant  leurs petits-enfants. 48 heures après avoir perçu son héritage, Charles se fait un devoir de rembourser immédiatement deux amies qui l’ont toujours soutenu moralement et financièrement pendant la longue période au cours de laquelle il avait  été confronté à de nombreuses difficultés dont une brutale agression dans le centre de Saint-Etienne en février 2014 qui s’est soldée par la perte de la  moitié de sa dentition et deux mois d’hospitalisation qui lui ont font fait  perdre ses deux  principaux clients. A sa sortie de l’Hôpital Nord, en avril 2014, il a été harcelé par le Régime Social des Indépendants (RSI) qui lui avait attribué plusieurs numéros d’affiliation et qui lui envoyait autant d’appels à cotisations. D’avril à juillet 2014, il a reçu tellement de mises en demeures ou de visites d’huissiers mandatés par le RSI, qu’il n’a eu d’autre choix que de suivre les conseils de ses médecins lui recommandant de solliciter une mise  sous sauvegarde de justice. Jusqu’au décès de sa mère, c’est-à-dire pendant près d’un an, il a été sous la « protection » d’une mandataire judiciaire qui, ignorant l’âge légal d’accès à la retraite des personnes dont elle avait la responsabilité,  a multiplié les erreurs en demandant notamment des aides auxquelles Charles allait bientôt ne plus avoir droit. Cette « protectrice » ne lui laissa que vingt euros par semaine pour vivre, monta en tout hâte son dossier retraite sans s’enquérir de son passé professionnel, le transmit avec deux mois de retard à la CARSAT-Rhône-Alpes et se dédouana de toute responsabilité après que fut levée la sauvegarde de justice en mai 2015. Charles attend toujours les deux premiers mois de son ASPA qui ne lui ont jamais été payés ! Ni l’AIMV, ni la CARSAT, ni la CAF de la Loire ne daignent répondre à ses courriers. Quant au département de la Loire, il lui demande de rembourser 386 euros de RSA au titre de l’année 2017, qu’il n’a pu percevoir puisqu’il était officiellement depuis cinq ans la retraite !

Près de 18 mois sans un seul centime revenu !

Ce début d’année 2015 ne fut guère plus reluisant pour François, toujours en attente d’un stage de plus en plus hypothétique. Las des incompétences de tous les agents auxquels ils doivent se soumettre, Charles et François décident de prendre leur destin en main et le premier décide de payer, grâce à son héritage, la formation du second. Mal leur en a pris, car s’il est une chose que les professionnels des professions sociales maudissent au plus haut point, c’est bien la sortie de la précarité organisée par les précaires eux-mêmes. C’est une insulte au zèle dont ils ont le secret et une remise en cause des fonctions pour lesquels ils sont rémunérés. Lorsque François annonce à sa référente-parcours qu’il n’est peut-être plus utile qu’elle perde chaque mois une petite heure précieuse pour le rencontrer puisqu’il a trouvé un moyen de financer sa formation, elle acquiesce tout en se gardant de le féliciter. Elle ne lui demande même pas qui la lui finance et naturellement ne sollicite aucun entretien avec Charles, encore moins  avec le responsable du centre de formation.  François se souvient encore du jour où il est sorti de son bureau. Pour la première fois, elle ne lui souhaita pas « bonne chance » et pour la première fois elle ne daigna pas lui serrer la main. La petite dame était blessée et son regard figé tout comme son petit sourire au  coin de ses lèvres charnues trahissaient sa vexation. Deux oublis qu’il se remémorera quelques mois plus tard, lorsqu’il reçoit un courrier de la référente-insertion qui lui annonce qu’il ne pouvait prétendre au statut étudiant (statut dont, à plus de 50 ans, il n’avait jamais rêvé ! ») et que la commission du  « pôle Vie Sociale Service Insertion St-Etienne » avait décidé de le « sortir du dispositif RSA » . La Caisse d’Allocations Familiales et le Département de la Loire saisissent la balle au vol. François est radié et privé pendant près d’un an et demi de tout revenu.

Un contrôle singulier à point nommé

Mais il faut préciser  que cette correspondance vengeresse fut rédigée quatre mois après que la Caisse d’Allocations Familiales de la Loire eût diligenté un contrôle inopiné au domicile de François. Cela se passa le 19 décembre 2015 en matinée à l’heure du café. François  arrive à joindre son ami Charles, en rendez-vous professionnel à l’extérieur,   qui se précipite immédiatement dans l’appartement, pensant naïvement que l’agente assermentée de la CAF vient lui expliquer pourquoi il ne touche toujours pas sa retraite alors qu’il y a droit depuis près d’un an. L’entretien est cordial, la contrôleuse accepte volontiers le café proposé et, entre deux demandes de documents,  n’hésite pas à caresser les deux chatons éduqués à la manière de leurs maîtres, c’est-à-dire libre et indépendante. Impertinents les deux petites bêtes ont grimpé sur la table et la contrôleuse en profite  pour constater que les petits félins apprécient toujours les appartements douillets, confortables et bien rangés ce qui leur permet de choisir leurs repères. Elle trouve le mobilier très beau ce qui est normal puisque François a hérité de ses parents, amoureux d’antiquités, des meubles et objets dont ses trois frères ne voulaient pas.  Jusqu’à la fin mars, silence radio. François et Charles ne s’en inquiètent pas, croyant, une fois encore naïvement, que la contrôleuse a pris conscience de la situation sociale des deux personnes qu’elle a contrôlées, un duo qui a été victime d’une succession  de difficultés assorties d’injustices. Qu’elle n’a pas été leur surprise lorsque, trois mois et demi après le contrôle, ils reçoivent un courrier commun adressé à leurs deux noms leur réclamant plus de 20.000 (vingt mille) euros d’indus,  soit l’équivalent de 25 mois d’ASPA ou de 42 mois de RSA ! Tombant des nues, ils demandent le rapport d’enquête, un document accusateur qu’ils ne recevront qu’en juillet, soit quatre mois  après sa rédaction et deux demandes adressées en recommandé par leurs avocats à la CAF. Lorsqu’ils ont connaissance du rapport, ils constatent qu’aucun des événements qui  les ont plongés dans la précarité , n’est mentionné. Pas un mot sur l’agression dont a été victime Charles, pas un mot sur sa sauvegarde de justice, pas un mot sur les incompétences de la mandataire judiciaire, pas un mot sur le harcèlement du RSI,  et naturellement pas une seule référence au contexte social. La contrôleuse a rédigé son rapport comme si elle avait contrôlé deux allocataires du RSA, alors qu’elle contrôlait un homme en formation pour rebondir de ses propres ailes et, pour ce faire, disposé à s’engager avec un retraité qui veut arrondir sa pension. Le rapport est non seulement truffé d’omissions mais aussi d’erreurs grossières et de sous-entendus perfides qui révèlent à quel point les agents publics opérant dans la France du terroir sont éloignés de l’évolution de la société. A Saint-Etienne deux personnes de même sexe partageant un appartement parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, ne peut être que louche. Pour justifier les indus réclamés, la CAF de la Loire fusionne les deux numéros d’affiliation, évoque une communauté d’intérêt et se permet de faire ce à quoi Charles et François se sont toujours opposés : elle les marie d’office alors qu’ils ne sont même pas pacsés.

Cinq ans de procédures

Cela fait exactement cinq ans que ces deux litiges font l’objet de procédures. Les avocats de Charles et François sont contraints de jongler avec des dizaines d’articles de loi et des centaines de décrets s’inscrivant dans les codes civil, de la sécurité sociale, de l’action sociale et des familles, des collectivités territoriales , de la justice administrative et du travail. Concernant Charles  son dossier a été jugé par le Tribunal des Affaires Sociales de Saint-Etienne qui a débouté la CAF, puis par le Tribunal Administratif qui en a fait de même avec le Département de la Loire, mais tous deux persistent et signent, la première a fait appel, le second s’est pourvu en cassation. Charles n’est pas le seul à trouver le temps long, ces deux accusateurs également, mais ils ont toutefois un avantage, ils peuvent appliquer la loi à leur convenance c’est-à-dire avant que les tribunaux compétents en dernière instance aient rendu leur jugement. Charles et François ont été radiés d’office, sans être prévenus. L’ASPA du premier a été saisie dans son intégralité pendant six mois et le RSA du second pendant quinze mois. CAF et Département ont ainsi prélevé abusivement au nez et à la barbe des juges plus de 12.000 euros de prestations auxquelles les deux allocataires avaient droit. Les deux « fraudeurs sociaux » ont naturellement été sensibles aux « gilets jaunes ». Charles a participé à un débat « démocratique » à la Bourse du Travail, il a tenté de raconter ses mésaventures à quelques participants assis à la même table que lui, mais comme aucun d’entre eux n’a voulu le croire,  il est reparti au bout de quelques minutes. Et sa température ressentie, mélange de sueurs froides et de  bouffées de chaleur, il a bien entendu été incapable de la mesurer. Lorsqu’il est mis en confiance, il peut s’exprimer des heures durant sur les incohérences des administrations avec lesquelles il a été confronté pendant cinq ans. A lui seul, il pourrait, s’il en avait encore le courage, écrire un manifeste pour une France, sinon plus égalitaire (il n’y croit plus !) mais au minimum, un peu moins inégalitaire. Bien que sans illusion, il va continuer à se battre, non pas pour lui, car ayant tout perdu, il n’a plus rien à gagner, mais pour ceux qui n’ont ni le courage, ni les moyens intellectuels ou la force physique pour s’élever contre une exception française, qui veut que des fonctionnaires zélés s’autorisent chaque jour, chaque heure à enfreindre la convention européenne des Droits de l’Homme. La Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) se fait un devoir, tous les ans, de publier son rapport sur la fraude sociale (ridicule par rapport à la fraude ou l’évasion fiscale) mais elle se garde bien de publier le montant des indus qu’elle réclame abusivement à un nombre croissant d’allocataires qui n’ont jamais fraudé. Les agentes assermentées par les CAF ont le droit de s’infiltrer sans vergogne dans la vie privée des personnes qu’elles contrôlent. Les bénéficiaires  de minima sociaux suspectés de fraudes n’ont, quant à eux, aucun moyen de se défendre et n’ont droit à aucune explication contradictoire. Si nous avons tenu à accorder autant de place aux témoignages de Charles et François, c’est parce qu’ils illustrent la profondeur du Mal Français de la France profonde, cette immense précipice qui sépare de plus en plus les administrés des pouvoirs publics locaux. Soit les états-majors nationaux en ont conscience et ferment les yeux car le fléau est trop complexe et hétérogène pour être solutionné, soit ils en sont complices en donnant toujours plus de pouvoirs aux collectivités territoriales. Dans les deux cas, ce ne sera jamais la justice pour tous qui gagnera. On aura beau organiser tous les référendums possibles et imaginables, tant qu’une poignée d’agents et de fonctionnaires auront le pouvoir de détruire le courage, l’intelligence et la bonne volonté, rien n’y fera. vjp

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Nos  commentaires sur les illustrations de cet article

Pôle Emploi n’a pas la tache facile dans la préfecture de la Loire qui, des 31 villes françaises de 100.000 à 200.000 habitants, est celle qui a connu la plus forte chute démographique. Après avoir perdu 24%  de ses habitants entre 1968 et 2015, près du quart de sa population vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté. La forte croissance du Grand Lyon n’a eu aucune influence majeure sur le développement de l’agglomération stéphanoise. Les élus du département et surtout ceux de Saint-Etienne Métropole misent sur le design pour récupérer son retard mais on voit mal comment une ville qui a perdu l’essentiel de son patrimoine industriel pourrait s’imposer dans ce secteur.Charles n’a eu affaire qu’à un seul agent de Pôle Emploi car il n’y a été enregistré que dix mois de la fin de son hospitalisation en avril 2014 à son âge légal d’accès à la retraite en février 2015. François, plus jeune mais déjà trop vieux, n’a pas eu cette chance. Ayant été contraint de déménager, son dossier Pôle Emploi s’est promené d’une agence à l’autre. Aucune n’a été en mesure de lui trouver une formation destinée à le perfectionner dans un secteur qu’il connaissait.

Le RSI a été la bête noire de centaines voire de milliers d’artisans, commerçants et professions libérales à travers la France mais à Saint-Etienne, il a eu l’effet d’une tempête lorsque la loi anti-fumeur y a été appliquée. Des dizaines de petits bars de quartier où d’anciens mineurs à la retraite refaisaient le monde avec de jeunes maghrébins ont dû mettre la clef sous la porte.  Charles a été en contact avec cet organisme dès son arrivée à Saint-Etienne, en 2005. Comme il exerçait plusieurs activités qui se complétaient, il lui a été attribué plusieurs numéros d’affiliation par les antennes de Lyon et de Saint-Etienne du RSI qui, toutes deux lui envoyaient, des appels à cotisations calculées, non pas sur ses revenus réels,  mais sur des bases forfaitaires. En juillet 2014, il a reçu un commandement de payer à hauteur de 18.000 euros, soit exactement le montant cumulé de ses revenus de 2012 et 2013 ! Entre 2005 et 2015, il a été en contact avec 22 agents du RSI qui ont mandaté cinq huissiers du département. Lorsqu’il a été mis sous sauvegarde de justice en août 2014, le RSI n’en a pas tenu compte et n’a rien trouvé de mieux que d’envoyer un huissier chez sa mère, alors âgée de 89 ans pour tenter de récupérer de l’argent que son fils ne devait pas.

L’AIMV est un organisme spécialisé dans l’aide à domicile des personnes âgées. Il est habilité par le juge des tutelles de Saint-Etienne à agir en tant que mandataire judiciaire en charge de la protection des majeurs. En 2004, l’AIMV était présidé par M.Maurice Ronat, un homme de l’ombre qui était et est toujours administrateur, gérant ou liquidateur  d’une trentaine de sociétés. Il est aujourd’hui président des mutuelles EOVI. Charles ne garde pas les meilleurs souvenirs de ses relations avec l’AIMV pour la simple et unique raison que la personne qui était censée le protéger l’a de suite considéré comme un homme « fini » à l’aube de sa pension sans se rendre compte qu’il aspirait au contraire à une retraite active, censée lui garantir un complément de retraite tout ne mettant son expérience et ses relations au service des jeunes générations issues des milieux défavorisés . Moralité, elle n’a fait que gérer des minima sociaux, lui a sollicité une Allocation Adultes Handicapés qui lui a été suspendue trois mois  plus tard parce qu’il était censé être à la retraite. Comme elle en ignorait les âges légaux d’accès, elle a traité  le dossier de Charles en toute hâte sans lui demander les documents liés à sa carrière professionnelle. Avec plus de 1.000 salariés l’AIMV est un des plus gros pourvoyeurs d’emplois de la Loire.

La CAF de la Loire opère dans un département et a son siège dans une ville sinistrée où les taux de chômage des séniors et des jeunes atteignent des sommets. Pôle Emploi est débordé et le département est découpé en neuf zones dites « de développement social » dans lesquelles travaillent 193 référents dont une forte majorité de femmes (92%).  Services comptable, juridique et contentieux confondus, Charles et François ont vu leurs dossiers et litiges circuler entre les mains de 18 personnes. Nombre qui a été divisé par trois après la fusion arbitraire  de leurs deux numéros d’allocataires. Ils ont dû patienter quatre mois pour recevoir  le rapport accusateur et  avoir connaissance de son contenu pour se défendre. Tous deux ont été radiés et privés de tout revenu avant les dates d’audience des Tribunaux Administratif et de la Sécurité Sociale. Le département de la Loire est probablement le seul département français à avoir saisi pendant six mois l’intégralité du minimum   vieillesse d’un retraité. Il est vraisemblablement le seul à avoir laissé un bénéficiaire du RSA,  de surplus dans un état de santé précaire,  sans un seul centime de revenu pendant quinze mois.

La CARSAT : comparativement au RSI, les effectifs de la Caisse de Retraite Auvergne/Rhône-Alpes sont moins pléthoriques mais Charles a dû malgré tout composer avec neuf employées qui se partageaient le travail entre Lyon et Saint-Etienne. Lorsque l’une d’entre elles commençait à y voir clair à Lyon, une autre cherchait à la contredire à Saint-Etienne. Entre les documents qui se perdaient et ceux qui se contredisaient, ceux qui devaient concerner le RSI mais atterrissaient à la CARSAT et vice-versa, Charles se devait de jouer l’arbitre en envoyant des recommandés avec accusé de réception aux quatre adresses d’où lui parvenaient les correspondances (*). Connu comme le loup blanc de tous les employés de la Poste, Charles est parvenu à se faire des amis parmi eux. Il les reconnaît dans les rues de Saint-Etienne, eux non,  car il a de plus ne plus de cheveux  blancs et perdu la bagatelle de 21 kilos en deux ans.  Normal, car c’est le temps qui a été nécessaire à la finalisation de son dossier de retraite !

Le Département de la Loire : semi-rural, semi-urbain, il pourrait être à l’image de la France mais il ne l’est pas. Il ne peut l’être car il est le département où siège l’Ecole Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale (ENSSS) appelée aussi EN3S pour éviter un amalgame …historique de très mauvais goût. A priori, ce devrait un plus à défaut d’être un must, or en réalité c’est tout le contraire qui se passe. La Loire n’est pas un département où on tente des expérimentations susceptibles de faire école  dans d’autres collectivités territoriales, non la Loire est au contraire un département où on gère les minima sociaux comme si la société n’évoluait pas. Sortir du cadre établi, n’est pas interdit mais vivement déconseillé, car vous ne trouverez aucun fonctionnaire qui comprendra que vous partagiez un appartement avec une personne sans être mariée avec elle et si vous avez le toupet de dire à ce même fonctionnaire que vous voulez vivre votre retraite autrement qu’en allant jouer à la pétanque ou à la coinche  à l’amicale laïque du coin, alors là vous êtes l’homme à abattre. Mais aucun stéphanois ne s’interroge à savoir pourquoi Georges Ziegler, à 70 ans, s’accroche autant à ses fonctions de Président du Département et de 1er adjoint de la ville de Saint-Etienne. Il est l’honorable successeur  au département d’un médecin devenu sénateur, ce même sénateur qui considérait les certificats médicaux de ses confrères comme des certificats de complaisance lorsqu’il était question et possible de priver des personnes gravement malades de leurs moyens de survie.

(*) Charles et François nous ont confié une copie de tous les documents prouvant la réalité du contenu de cet article

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