La Roumanie face à une triple crise

Roumanie/UE – Les dirigeants des pays de l’Union Européenne ne semblent pas se rendre compte qu’en prenant les mesures de prévention et de lutte contre la pandémie, ils exacerbent tous les problèmes auxquels ils étaient déjà confrontés avant que le virus ne se propage. De jour en jour, on constate que les notions d’égalité, de fraternité et de solidarité disparaissent aux dépens d’un part croissante de la population.

Au dernier rang européen

Tous les sujets déjà sensibles localement dans certains territoires se généralisent et force est de constater que ce sont toujours les mêmes qui sont frappés par le destin. Imposer des couvre-feux et des quarantaines à tous les citoyens, c’est renforcer le désarroi et la détresse de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui vivent dans des lieux ou sous des toits exigus, insalubres et inadaptés à la promiscuité. Naturellement ni les scientifiques et ni les politiques ne connaissent ce monde de la précarité qu’ils s’honorent de vouloir protéger. Certains pays qui étaient déjà en retard avant la crise sanitaire, le seront encore davantage dans quelques mois et certains, à l’instar de la Roumanie,  sont déjà au bord de la banqueroute parce que submergés par des problèmes dont ils ne sont pas responsables mais contraints de résoudre. A Bucarest, en effet, on se s’inquiète pas seulement de la façon dont évolue le Covid 19 et on ne limite pas son questionnement, à savoir si les campagnes de vaccination vont porter leurs fruits ou du moins une lueur d’espoir, on s’interroge sur qui va advenir de la société toute entière. Selon l’agence Moody, la République des Carpates ne peut consacrer que 2,17% de son Produit Intérieur Brut aux mesures de soutien à l’économie et à l’emploi, soit quatorze fois moins que le République Tchèque (30%). Selon ce critère, elle se classe au dernier rang de l’Union et à la 119ième place à l’échelon mondial, soit derrière bon nombre de pays africains ou sud-américains. Comment, face à une telle réalité, peut-on encore parler, à Bruxelles ou à Strasbourg, de citoyenneté européenne ? Le moment est venu de cesser de compter le nombre d’infectés dont 90% ne tomberont jamais malades ou  guériront naturellement pour mesurer, rationnellement le taux d’immunité social dont l’Europe a besoin pour survivre. La Roumanie ne rejaillira jamais de ses cendres et sera toujours une orpheline dans la famille européenne si on la laisse isolée face à des défis qui la dépassent.

Si la toiture de cette maison délabrée s’était effondrée et avait provoqué la mort de 56 personnes, peut-être la « grande » presse aurait-elle accordé trois lignes à ce fait « divers » !

Des migrants errant dans les campagnes

La semaine dernière 53 réfugiés ont été délogés d’une maison en ruine, isolée en pleine campagne à proximité de Timisoara. Originaires de Syrie, d’Afghanistan et du Pakistan, ces migrants se seraient, selon les premières investigations de la police, détachés d’un groupe plus important qui s’agglutine depuis plusieurs semaines près de la gare de Timisoara avant de se disperser dans plusieurs quartiers de la commune, ce qui suscite l’inquiétude des riverains mais aussi de plus en plus de réactions racistes sur les réseaux sociaux. Il ne se passe de semaine sans que la présence de migrants ne soit signalée, dans des coins reculés à l’abri des regards, sous des ponts ou dans des semi-remorques traversant les frontières. Tous font une halte en Roumanie en espérant y obtenir un premier titre de séjour qui leur permettra d’aller plus avant à l’ouest et naturellement en Allemagne, pays dont ils ont entendu dire qu’il était le plus accueillant de tous. Personne ne leur a dit que plus ils allaient traverser de frontières, plus ils seraient confrontés  à des réglementations différentes d’un pays à l’autre, ce qui permet à leurs auteurs de se dédouaner de toute responsabilité voire de s’en exonérer.  Lorsque le directeur de la police de Timisoara,  Dimitru Domasnean-Urechiatu,  a eu l’audace et l’impertinence de s’apitoyer sur le sort de cette horde d’errants perdus dans la nature, il s’est adressé au Centre Régional d’Accueil des Demandeurs d’Asile et à l’inspecteur en chef de la police des frontières, mais n’obtenant aucune réponse, il s’est alors rapidement rendu compte qu’il n’avait pas d’autre choix que de prendre lui-même le dossier en main. Et lorsqu’un policier s’hasarde à une telle initiative, il découvre alors très vite que ce n’est pas une poignée mais des dizaines de villes qui sont confrontées à l’arrivée inattendue de toutes ces personnes qui, jadis, étaient accueillies les bras ouverts pour plonger au fond des mines mais dont on ne veut plus aujourd’hui parce qu’on se chauffe et se déplace au tout électrique. La police de  Timisoara n’est pas la seule unité de l’accueil en urgence, il en va de même de celles de Somcuta Mare, Arad, Guiurgu, Galati, Bihar, Hunedoara, etc, et plus on se rapproche des frontières, plus on voit le nombre de migrants en perdition augmenter. En monopolisant l’actualité, la pandémie fait oublier la détresse des premiers concernés mais aussi des accueillants qui, confinés de force, n’ont plus la possibilité de se faire entendre.

Ces jeunes filles roumaines résistent à cette tradition qui veut que les femmes naissent pour être au mieux soumises, au pire battues ou assassinées

Des femmes battues dans leur foyer

Mais le pire dans cette constellation, provient du fait qu’à cette double crise sanitaire et migratoire, s’en greffe une troisième encore plus difficile à résoudre en l’occurrence la violence exercée à l’égard de femmes. Ce fléau n’est pas spécifique à la Roumanie mais dans ce pays, il s’est imposé comme une tradition légalisée par le couple Ceausescu qui considérait l’espace conjugal comme une sphère privée dans laquelle personne n’a le droit de s’immiscer. Partant de ce principe, ni la police et ni la justice n’étaient habilitées à intervenir. Les épouses qui sont dépendantes financièrement de leurs conjoints, ce qui est le cas pour la majorité d’entre elles, leur sont soumises matériellement et psychologiquement. Après son intégration dans l’Union Européenne, le Roumanie s’est pliée aux législations en vigueur dans la plupart des autres pays mais on constate que la plupart des femmes retirent leur plainte après avoir eu le courage de l’avoir déposée car les pressions exercées par les familles  mais aussi par la religion conduisent à rendre responsable la victime des actes commis. L’association Casa Ioana, créée pour venir en aide aux personnes sans domicile fixe, se consacre désormais prioritairement à l’hébergement de femmes et d’enfants ; dont il s’avère indispensable qu’ils soient tenus éloignés du mari et père violent. Mais cette mission salutaire est d’autant plus délicate que les personnes concernées sont généralement sans emploi et de surplus sans formation. En quittant le domicile conjugal pour ne plus être battue, une femme roumaine est certes temporairement protégée en étant éloigné de son conjoint, mais elle n’est pas pour autant tirée d’affaire car confrontée à la violence sociale dans son ensemble, le manque de travail, le manque de revenus mais aussi le complexe d’infériorité que ressentent les enfants par rapport à leurs petits camarades vivant dans des familles apparemment « normales ». En 2019, 7.986 mesures d’éloignement ont été prononcées par les tribunaux mais en 2020, ce nombre devrait monter en flèche, car, comme le précise Kristina Kristoff, responsable de Casa Ioana à Bucarest, le nombre d’appel à l’association n’a cessé d’augmenter pendant le confinement. Il avait déjà doublé en mars et s’est accru de jour en jour les mois suivants.  Toutes les études sociologiques en Roumanie mais aussi de partout dans le monde prouvent que ni les mères et ni les enfants ne sortent indemnes d’une violence familiale qui peut laisser des traces une vie entière. Comme il est aussi avéré que bon nombre de victimes d’hier sont les potentiels bourreaux de demain, il serait peut-être temps de se prévenir d’un mal qui risque d’être à terme infiniment plus mortifère que ne l’est à ce jour le Covid 19. En politique, cela s’appelle : « être réaliste et visionnaire » ! vjp

(Source : adz/ Adaptation en français : pg5i/vjp – Nombre de mots : 1.350)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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