France – Roumanie : la diplomatie avance toujours masquée

Les 1er ministres roumain et français

France/Roumanie – Le fait que la France et la Roumanie soient toutes deux face à une crise sanitaire de grande ampleur et comparables quant à leur incapacité à la gérer, n’a pas empêché le 1er ministre français d’accueillir son homologue roumain avec tous les honneurs qu’impose ce type d’événement. La rencontre s’est déroulée le 27 octobre au moment même où les deux Républiques s’apprêtaient  de manière synchronisée à interdire à leurs sujets de se déplacer tout en leur recommandant de limiter leurs contacts. Mais il en va en temps de crise comme en temps normal, la loi n’est pas la même pour ceux la promulguant et ceux contraints de la respecter. Si le chef du gouvernement, Ludovic Orban  s’était déplacé, seul, avec une petite escorte de conseillers et d’experts spécialisés dans la lutte contre les maladies infectieuses, tout le monde aurait applaudi à ce mini-sommet bilatéral, étant donné que la République des Carpates a le triste privilège de voir fréquemment éclore des contagions qui frappent les porcs ou resurgissent chez les humains comme ce fut le cas il y a deux ans avec la rougeole.

Corona ? Connais pas !

Mais non, M.Orban a vu grand et n’aime pas se déplacer isolé. Quatre ministres étaient du voyage, Bogdan Aurescu, en charge de Affaires Etrangères, Nicolae Ciuca, de la Défense,  Virgil-Daniel Popescu, de l’Economie et Adrian Oros, de l’Agriculture. A ce quatuor de choc, se sont joints trois conseillers, un aux questions diplomatiques, Cosmin Onisii, européennes, Cristina Buzasu, et économiques, Tanase Stamule. Comme il est d’usage dans tout voyage officiel, le chef de gouvernement roumain s’est fait un devoir d’aller faire un « petit coucou » à ses compatriotes vivant dans la capitale française . Cette communauté n’a rien à voir avec l’image que les Français ont des Roumains. Le Roumain-Parigot est un Roumain fréquentable qui occupe souvent un poste enviable dans une entreprise privée ayant pignon sur rue dans le pays dont il est originaire, Dacia-Renault par exemple, ou publique, centre hospitalier notamment. Le Roumain-Parigot, à l’instar du Parisien – Berlinois, ne fréquente pas les restaurants solidaires mais préfère assister aux manifestations de l’Institut Culturel Roumain ou savourer les petits-fours fréquemment offerts par l’Ambassadeur dans l’ Hôtel de Béhague, prestigieux édifice acquis en 1939 par le roi Carol II.  Tout Roumain-Parigot et un  brin intello rêve de rencontrer sur son chemin au moins une fois dans sa vie un ministre français de la Culture française avec lequel il pourra s’entretenir de tous ces grands artistes roumains qui, à l’instar de Ionesco, Brancusi, Tzara, des frères Brauner ou d’Elvire Popesco  ont eu la chance de vivre sur le sol de  la belle  France lorsqu’elle était encore une Grande Nation accueillant sans obstacles les artistes égarés dans les tourments de l’Histoire.  Le Roumain-Parigot n’a strictement rien de comparable avec le Roumain-Stéphanois, systématiquement assimilé, à un Rom, c’est-à-dire à un voleur de poules ou de bananes sur l’étal d’un primeur maghrébin. Il est par conséquent tout à fait normal que le 1er ministre roumain n’ait pas souhaité dépasser le périmètre imposé par le coronavirus pour rester géographiquement isolé à Paris, parce qu’il compte sur la France pour soutenir son pays dans sa quête d’adhésions.

Un sous pays de l’Union

La Roumanie a beau être  intégrée à l’Union Européenne, elle n’en est pas pour autant un membre à part entière. Elle n’adhère ni à l’OCDE, ni à l’espace Schengen et il est peu probable qu’elle puisse de sitôt rejoindre la zone euro. Ses dirigeants ont beau assister aux réunions de ces nobles  institutions qu’ils en repartent toujours bredouille avec les poches pleines de promesses qui ne se réalisent jamais. En septembre 2016, avant le sommet du G8 à Bratislava, François Hollande avait jugé utile de faire un petit crochet par Bucarest. Après avoir déposé une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, il s’était rendu à Cronstadt pour y poser la première pierre  d’une unité de fabrication d’hélicoptères Airbus. A l’instar de Jacques Chirac en 1997, il avait promis le soutien de la France dans le difficile, long et très sensible dossier de l’adhésion de la Roumanie dans l’espace Schengen, mais force est de constater que ce dossier est  toujours au point mort. Les jeunes Roumaines et Roumains, les Allemands et les Français les apprécient lorsqu’ils viennent travailler dans les hôpitaux ou les abattoirs mais les ignorent lorsqu’ils ne sont plus corvéables à merci. A l’issue de toutes les rencontres bilatérales, on apprend qu’il a été question de défense, d’énergie, d’infrastructures autoroutières ou ferroviaires, d’agriculture et, pour donner bonne conscience aux deux parties, de culture mais jamais de politique sociale et sanitaire.

La blouse roumaine d’Henri Matisse

Une Europe sans les peuples

La construction de l’Europe dans les années 1950 avait un objectif économique mais aussi social et culturel pour sinon occulter du moins adoucir les séquelles de la guerre et plus particulièrement celles nées des tensions séculaires entre la France et l’Allemagne. Dans ces deux pays, on compte sur les doigts d’une seule main, les villes de plus 10.000 habitants qui ne sont pas jumelées avec une cité du territoire « ennemi ». C’est ainsi que les peuples français et allemand se sont peu à peu réconciliés et que leurs dirigeants ont pu donner naissance à un axe franco-allemand qui est toujours considéré comme le fer de lance de l’édification européenne.  Mais, hélas, il en a été tout autrement lorsque l’Europe s’est ouverte en 2005 et 2007 aux dix Républiques d’Europe Centrale accueillies à l’ouest de force plutôt que de gré. Sur les sept villes françaises dotées d’un consulat de Roumanie (*), seules deux, Nantes et Strasbourg, ont signé un accord de jumelage avec une ville roumaine, la première avec Cluj-Napoca et la seconde avec Bucarest. Sur les 41 villes françaises hors Paris de plus de 100.000 habitants, on n’en compte que dix à avoir noué des liens avec une ville roumaine (**). Ces statistiques basiques témoignent de la largeur du fossé  qui sépare les belles paroles et intentions formulées à Paris des réalités vécues en province. Le fossé se creuse et devient un précipice  lorsque les milieux intello-culturels  sont mandatés pour vulgariser réciproquement le potentiel des deux pays. On en a fait la triste expérience lors de la saison France-Roumanie organisée entre les mois de novembre 2018 et avril 2019. Organisée par un homme sachant flairer les bonnes opportunités comme le ferait une tique avec la peau d’un chien, cette saison qui, à peine achevée, était déjà oubliée, a prouvé à quel point les pays pauvres sont en mesure de gaspiller de l’argent, lorsqu’il leur vient à l’esprit de vouloir imiter les pays riches.

Une France « poussiéreuse »

Ce commissaire d’événement et brasseur d’idées (notre photo), ancien directeur des Instituts Français de Tokyo et Kartoum (!) aujourd’hui en fonction à Miami (!), qui a été entre temps attaché culturel à Singapour, en Australie et en Nouvelle-Calédonie, était-il le mieux placé pour promouvoir la culture des Carpates chez les Gaulois et vice-versa ? La question reste ouverte mais une chose est certaine, cet homme est brillant. En effet, dans une interview publiée sur le site du Ministère de la Culture et qu’il a dû s’accorder à lui-même, il « s’écrit »  que « le principal objectif de la saison est de changer la perception que les deux peuples ont l’un de l’autre »  avant d’ajouter ce que tout le monde sait : « Pour la France, c’est, hélas, cette stigmatisation Roms quasi systématique, mais également une méconnaissance du pays »  mais JJG (Jean-Jacques Garnier) est toutefois réaliste  car « côté roumain, la francophilie est aujourd’hui en net recul.  Pour les jeunes générations, la France est perçue comme un pays un peu poussiéreux qui faisait rêver leurs aînés. Aujourd’hui, le défi est de  rebooter  le logiciel pour la France, d’autant qu’au plan économique, nos relations sont très fortes entre nos deux pays. » Cet entretien avec lui-même trahit sa méconnaissance totale de la Roumanie et notamment des relations étroites qu’elle entretient avec l’Italie. Il suffit de séjourner quelques jours dans l’une des dix plus grandes villes roumaines pour constater le nombre considérable de restaurants et de boutiques vendant des produits italiens et se rendre compte pourquoi la France est devenue « poussiéreuse ». Les six villes de Cluj, Timisoara, Iasi, Constanta, Galati et Oradea sont jumelées avec deux fois plus de villes italiennes . Selon l’UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Development), le Péninsule italienne est restée en 2019, comme d’habitude,  le second partenaire après l’Allemagne de la Roumanie. 11,3% des exportations et 9,1% des importations roumaines ont été réalisés avec l’Italie et pour la première fois, la République des Carpates a importé, l’an dernier,  davantage de produits hongrois (7%) que français (6,9%). A Bucarest, il est plus facile de se faire comprendre en parlant l’italien, l’allemand  ou l’espagnol qu’en parlant le français.

Maria Ioniță, mère de neuf enfants, a subi les sévices de son mari pendant dix ans avant d’être battue à mort par son mari, Dimitriu, qui a rendu justice en se suicidant. Trois des enfants ont assisté à la scène. Cette photo a été sélectionnée comme motif à l’affiche de l’exposition Cicatrice/Narben

Des intellos sur une autre planète

Ce qu’on attend d’une saison culturelle engageant deux pays ne consiste pas à réitérer des hommages déjà rendus  à des artistes mondialement reconnus, à l’instar de Matisse, Brancusi ou Ionesco, ni de tenter des  expériences douteuses que même  les professeurs les plus diplômés de la Sorbonne sont les premiers à ne pas comprendre mais de conjuguer  la culture avec la réalité de notre société contemporaine. JJG est très fier de « son projet fantastique » qui a consisté à produire « un jeu vidéo de plateforme sur l’intercompréhension des langues romanes qui part du français et du roumain et inclut nos langues vernaculaires. Un jeu qui peut, en outre, connaître des déclinaisons dans d’autres bassins linguistiques. ». JJG s’honore  encore davantage d’avoir organisé un « événement exceptionnel » , en l’occurrence « la première rétrospective monographique consacrée au fondateur du lettrisme Isidore Isou ». Seuls les initiés ont entendu parler de ce touche-à-tout ( poète, peintre, dramaturge, cinéaste et accessoirement économiste) dont les facettes sont encore plus nombreuses que les postes occupés par l’organisateur de la saison.  Ces deux hommes semblent vivre sur une autre planète, ce qui leur permet de ne plus avoir à regarder le monde tel qu’il est aujourd’hui.  Alors que les Parisiennes et Parisiens ont eu la chance de revoir « La blouse roumaine » de Matisse au Centre Pompidou, les Roumaines et Roumains ont eu au même moment un choc en découvrant l’exposition « Cicatrice / Narben » de l’artiste-photographe Cosmin Bumbuț, un événement, un vrai celui-là, car c’est la première fois qu’une exposition était consacrée aux violences faites aux femmes, le second fléau du pays après la corruption. Cosmin Bumbut  a réussi le pari de dresser le portrait de femmes battues, violées, violentées, torturées ou brûlées vives en ne fixant son objectif que sur les yeux  des victimes et de leurs bourreaux.  Toutes ont été légendées par l’écrivain-journaliste Elena Stancu. Des photos sans hématomes, bleus, bosses ou plaies, des photos d’humbles regards  chargés d’émotion. Des photos de femmes innocentes, de maris repentis ou innocentés, rarement condamnés, de curés complices, de voisins silencieux et d’enfants témoins mais impuissants.  Il aurait suffi que cette exposition devienne itinérante et soit présentée au moins dans les huit villes françaises où siège un consulat, pour que la saison France-Roumanie eût été un  réel succès. La culture n’a plus de sens si elle n’est pas mise au service de la justice. Et la diplomatie, encore moins ! vjp

(*) Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes ; Nice et Strasbourg

(**) Argenteuil (Hune Doara), Besançon et Montreuil (Bistrita), Brest (Constanta), Caen (Resita), Dijon et Nantes (Cluj-Napoca), Orléans (Lugoj), Rennes (Sibiu) et Tours (Brasov).  

 

 

 

 

 

 

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