De la nécessité de lire (ou découvrir) les pacifistes européens

Autriche/UE/Monde – Compte tenu de la rapidité avec laquelle s’est déclenchée et répandue la pandémie mais aussi des conséquences brutales et déjà perceptibles qu’elle a engendrées et face auxquelles tous les dirigeants sans exception sont dans l’incapacité d’apporter des réponses appropriées et compréhensibles, la tentation est grande d’évoquer un avant et après corona. En agissant de la sorte, on assimile la crise sanitaire à un tournant dans l’Histoire mais tous ceux qui se prêtent à ce jeu oublient que cette même Histoire a déjà connu des moments similaires, que les parents et grands-parents des aînés que nous nous faisons un devoir aujourd’hui de protéger, ont vécus.  Au début du 20 siècle, il était de bon ton de glorifier la guerre pour la faire accepter à la population civile, à des jeunes gens nés pour cultiver la terre ou exploiter le charbon en leur faisant croire que l’opportunité leur était offerte pour se métamorphoser en héros.

Un Empire hier
Aujourd’hui, une République

De la glorification de la guerre…

Quiconque s’élevait alors contre cette logique de guerre était considéré comme un dangereux anarchiste. Tous les intellectuels qui ne pouvaient s’imaginer que les héritiers de Goethe, Schiller, Bach ou d’Holbein pussent se battre contre ceux de Rousseau, Hugo, Berlioz ou Delacroix étaient jetés aux gémonies parce que l’heure n’était pas au compromis, au dialogue et au pacifisme mais aux querelles,  à la revanche et au bellicisme. Seule une poignée d’entre eux, à l’instar de Stefan Zweig ou de Romain Rolland, a été épargnée par l’oubli, non pas grâce à leurs appels réitérés à la paix et à la réconciliation des peuples mais à la faveur  de leur génie artistique et littéraire. S’il a toujours été important,  chaque année, le 11 novembre, de déposer une gerbe sur les tombes de soldats inconnus, il est désormais urgent de réhabiliter et de relire tous ceux qui avaient prévenu sans être écoutés et pressenti que le monde dans lequel ils vivaient était voué à disparaitre et ce, non pas à cause de la grippe espagnole mais de la folie meurtrière des hommes.   Au cours des 102 dernières années, l’Europe a connu à trois reprises un monde d’avant et un monde d’après ; dont deux consécutifs au premier. Les traités de Versailles puis du Trianon ont été détournés de leur objectif par ceux-là même qui avaient cautionné la boucherie collective de 14-18 et ne pouvaient de fait et à terme que devenir caduques. En dépeçant l’empire austro-hongrois qui administrait une population de plus de cinquante millions de personnes, non seulement on a pas garanti la paix mais au contraire, contribué à l’émergence de nouveaux conflits.  L’Europe n’est toujours unie qu’artificiellement mais jamais concrètement, y compris lorsqu’elle est face à des défis majeurs comme c’est le cas à l’heure actuelle avec la crise sanitaire. Comment ne pas s’interroger sur cette incapacité des dirigeants à trouver une logique en matière de déplacement des populations alors que la liberté de circulation et l’ouverture des frontières sont le ciment de l’édification européenne ? Le coronavirus a prouvé une nouvelle fois que seuls les capitaux sont en mesure de se promener à leur aise  d’une région à l’autre, portant en eux tous les vices, dont la corruption,  et non la vertu qu’on attend  d’eux , en l’occurrence le partage rationnel et équilibré des ressources collectives.  A ce jour, ne pouvant plus glorifier la guerre,  on cherche à diaboliser un virus. Ce ne sont plus les généraux et maréchaux qui sont chargés de guider les peuples et de les conduire à la mort mais des scientifiques et médecins qui sont habilités à nous imposer ce qui  nous reste de vie. Sous prétexte de protéger les personnes âgées , on les transbahute d’un établissement à l’autre, on les place sous respiration artificielle sans leur demander leur avis, on les oblige à survivre y compris lorsqu’elles n’aspirent qu’à une chose, en finir avec ce monde dont elles n’ont plus rien à attendre.

Stefan Zweig a entretenu une correspondance avec tous les pacifistes, dont Romain Rolland et Henri Barbusse, et été un des observateurs les plus lucides sur l’Etat de l’Europe dans la 1ère moitié du 20ième siècle.

… à la diabolisation d’un virus

Une épidémie suscite toujours la peur et l’angoisse parce qu’elle est égalitaire et touche autant les riches qui dirigent que les pauvres qui subissent. Le seul peuple à avoir vécu cette expérience à grande échelle est le peuple autrichien qui, dans les années 20 a vu son monde s’écrouler en l’espace de quelques jours. Aucun autre écrivain que Stefan Zweig a le mieux décrit cette période réellement inédite qui a obligé les quelque 10 millions d’Autrichiens à se remettre sur les rangs dans des conditions qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui.  Lorsque tous les individus se sont retrouvés  du jour au lendemain sur le même pied d’égalité, lorsque les riches bourgeoises ayant habité les quartiers les plus huppés de l’ex-capitale impériale ont été obligées de troquer leur zibeline contre une douzaine d’œufs ou un kilo de farine, lorsque les enfants d’aristocrates déchus ont été contraints de partir en colonie de vacances avec ceux d’anciens mineurs ou fabricants d’armes devenus chômeurs, lorsque toutes les promesses du passé sont devenues chimères et déceptions, les citoyens autrichiens ont été contraints de reprendre leur destin en main. « Quoi d’étonnant que toute une jeune génération ne considérât qu’avec amertume et mépris ses pères, qui s’étaient d’abord laissé enlever la victoire, puis la Paix ? Qui avaient mal fait toutes choses, qui n’avaient rien prévu et en tout s’étaient trompés dans leurs calculs ? N’était-il pas compréhensible que toute forme de respect disparût dans la nouvelle génération ? Toute une jeunesse nouvelle ne croyait plus aux parents , aux politiques, aux maîtres ; chaque proclamation de l’Etat était lu d’un œil méfiant. » a écrit Stefan Zweig dans « Le monde d’hier – Souvenirs d’un Européen » (*) , un ouvrage d’une lucidité et d’une actualité déconcertantes qu’on ne saurait trop conseiller de lire et de relire entre les lignes. Ce qui est extrêmement dangereux avec le tournant que prend aujourd’hui la crise sanitaire provient du fait, qu’en la confinant, on interdit à la  jeunesse de reconstruire une nouvelle société, on sacrifie son dynamisme et son esprit inné de solidarité au profit d’une population vouée à disparaître. Au début des années 1920, l’Europe et plus particulièrement son centre, dont l’Autriche, étaient confrontés non pas à une mais à quatre épidémies, la grippe espagnole, la tuberculose, la syphilis et la sixième pandémie de choléra. S’il était venu à l’idée des dirigeants de la 1ère République d’Autriche de confiner toutes les personnes infectées par l’une de ces maladies, jamais ce pays n’aurait pu  renaître de ses cendres et se reconstruire. vjp – Nombre de mots : 1.140

(*) Publié en 1942, année au cours de laquelle, l’auteur se suicida avec son épouse, cet ouvrage est d’une actualité troublante. Traduit dans pratiquement toutes les langues, il dépèce avec lucidité toutes les erreurs que sont amenés à commettre les dirigeants en période de crise. Il est disponible en Livre de proche au modeste tarif de 7,90 euros.    

  

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