Confinement ou  le coup de grâce stéphanois

La Tribune a consacré deux pages à la venue du 1er ministre mais plus de quatre au derby Lyon-Saint-Etienne

France – Il y a quelques semaines, les stéphanois et ligériens s’attendaient à tout sauf à ce qu’un chef de gouvernement daigne les honorer d’une visite qui ne semble pas avoir dépassé le cap de la courtoisie. Il a été accueilli par la préfète du département, Catherine Séguin, fille de l’ancien Président de l’Assemblée Nationale et ancien 1er Président de la Cour des Comptes, un gaulliste social authentique, qui gérerait assurément la crise sanitaire de manière plus rationnelle et sociale, s’il était encore parmi nous.

Un gaulliste social chez les « gilets jaunes »

Pour des raisons faciles à comprendre, l’arrivée du 1er ministre n’a pas donné lieu à une annonce tapageuse car la Préfecture de la Loire fait partie des agglomérations où les « gilets jaunes » ont trouvé un terrain fertile à leurs revendications. Il ne s’est passé ici de samedi sans qu’il n’ait été noir mais c’est également ici que le « grand débat » tant attendu s’est transformé en ballon de baudruche. La tension sociale à peine apaisée, les Stéphanois et Ligériens sont revenus à leur passion d’antan, en l’occurrence le football, leur raison de vivre voire leur philosophie. La « une » du quotidien régional, publiée 24 heures après la passage éclair de Jean Castex dans la ville des anciens mineurs aujourd’hui retraités et oubliés, en dit long sur la hiérarchie de l’information mais aussi sur le réalisme des stéphanois qui, même dans les moments les plus difficiles à vivre préfèrent miser sur le potentiel sportif,  le seul à leur avoir offert une aura internationale, que sur les promesses politiques qui, elles,  ne dépassent rarement les frontières d’un canton.

L’ancien siège des URSSAF et de la CAF : il n’est venu à personne l’idée de l’aménager temporairement pour les personnes ou les familles touchées par le virus

Les derbys avant tout !

Eh, oui, c’est comme ça à Saint-Etienne !  Et quand on y vit, il faut se faire à l’idée qu’un derby sera toujours plus important que l’anniversaire d’un coup de grisou qu’on ne commémore plus même lorsqu’il a fait plus de quarante victimes, majoritairement polonaises ou maghrébines, sur la dépouille desquelles le Maréchal Pétain avait jugé utile de venir s’apitoyer. Saint-Etienne n’est pas une ville comme les autres. Les célébrités politiques n’y font le déplacement que lorsque le malheur frappe à sa porte. Jean Castex n’a pas dérogé à cette règle, impérative dans cette contrée où la République ne marche pas toujours dans le sens giratoire. Alors que Marine le Pen est arrivée en tête dans le département au premier tour des élections présidentielles, en 2017, c’est à Saint-Etienne que Jean-Luc Mélenchon a réalisé un de ses meilleurs scores (24,9%), ce qui tend à prouver que ce département est sensible aux discours extrêmes. Le département de la Loire n’a hélas pas dû attendre la pandémie pour faire face à des défis sur le plan sanitaire. Depuis des années, les personnels soignants dénoncent, sans être entendus, les manquements des autorités nationales et régionales dans le domaine de la santé. Les aides-soignants, aides à domicile, infirmières et infirmiers mais aussi médecins ont été les premiers à rejoindre le mouvement des « gilets jaunes », profitant de cette actualité pour alerter les pouvoirs publics. Jean Castex s’est retrouvé le week-end dernier, non pas face à des personnels hospitaliers dépassés par les événements mais face à des rebelles de longue durée à bout de force. Ils les a remerciés et leur a souhaité « bon courage », ce qui risque d’être assimilé à une forme de cynisme, car sa visite conventionnelle  faite de rencontres avec des élus impuissants n’a pas répondu aux attentes de tous ceux qui luttent efficacement contre ce fléau qui n’en aurait pas été vraiment un, si les élus municipaux et départementaux avaient su prendre leurs responsabilités, gérer les deniers publics à bon escient  plutôt que de les gaspiller dans des projets non prioritaires.

L’église Saint-Ennemond dans le quartier maghrébin de Beaubrun. Elle n’est ouverte que les dimanches impairs, soit au maximum six heures par mois. Le reste du temps, elle est inaccessible au public.
Le Temple du Crêt de Roc. En partie classé et inoccupé pendant plus de dix ans, il a changé de destination pour devenir une copropriété de luxe dans un des quartiers les plus pauvres de la ville

Des rues vides, des églises désertées

Dans son article synthétisant la visite du Monsieur Confinement, la journaliste de la Tribune nous informe qu’il « a senti une vraie dynamique, une vraie cohésion » et qu’il a prévenu qu’en cas de dégradation sanitaire  son gouvernement serait « conduit à durcir les mesures. » . Pas de quoi réjouir les lecteurs du quotidien et les supporters de l’ASSE –Les Verts qui attendent de l’avenir du « spectacle » et non des discours maintes fois entendus. A quoi cela sert-il de faire un déplacement à Saint-Etienne si ce n’est que pour rabâcher ce qu’on entend toutes les minutes sur les chaînes infos. « Il faut que les gens observent les gestes barrières pour ne pas venir dans les hôpitaux » a déclaré l’amateur de rugby dans la capitale du foot. Le séjour-éclair du chef de gouvernement a prouvé qu’il s’est déplacé dans une ville qu’il ne connaît pas et qu’il n’a pas cherché à comprendre. Si Saint-Etienne est autant touché par le Covid 19, c’est parce que le virus frappe prioritairement les populations vulnérables qui sont légion dans la Préfecture de la Loire. Le département a été présidé par un homme, médecin dans le civil, aujourd’hui Sénateur, qui n’a pas hésité à assimiler les attestations médicales de ses confrères  à des certificats de complaisance ce qui a permis à la Caisse d’Allocations Familiales de demander à des personnes, temporairement malades et dans l’incapacité de travailler, de rembourser l’intégralité de l’Allocation Adultes Handicapées qu’elles avaient perçue après leur  hospitalisation. Pire, cette même CAF attribue arbitrairement des situations maritales à des personnes pour invoquer une communauté d’intérêts et réclamer des trop-perçus de minima sociaux s’élevant à plusieurs milliers d’euros.  Parce qu’il avait hébergé pendant 18 mois un ami gravement malade pour lequel aucun organisme social n’avait trouvé un  établissement adapté à sa pathologie, un  bénéficiaire de RSA a été sommé de rembourser 6.445 euros de RSA  et depuis le 1er septembre 2018, soit plus de deux ans, il ne survit qu’avec 380 euros d’aides mensuelles . Dans le département de la Loire, les agents assermentés de la CAF ne sont pas rémunérés pour faire prévaloir les droits des personnes fragiles mais pour fabriquer de la violence sociale. Jean Castex s’est rendu au CHU, à l’Hôtel de Ville et à la Préfecture, mais s’est bien gardé d’aller voir  tous ces ghettos qui font la triste réputation de la ville. Les commerçants ont déserté des rues voire des quartiers entiers  qui n’ont plus une once de mixité sociale. Beaubrun, Tarentaise, la Cotonne, le Soleil, Montreynaud sont devenus des Oran, Marrakech ou Istanbul  en modèle réduit, le centre-ville compte autant de pas-de-porte vides qu’occupés, certaines rues à l’instar des rues Durafour, Louis Braille, Blanqui et bien d’autres, toutes situées à proximité de ce qui reste du centre historique, sont devenues des lieux de déprime collective. La ville regorge de bâtiments vides souvent surdimensionnés, à l’instar de cette immense verrue qu’est l’ancien siège des URSSAF et de la CAF, un colossal édifice de onze étages qui aurait très bien pu servir de centre d’accueil temporaire aux patients infectés par le virus mais qui est resté fermé, comme il l’est déjà depuis plusieurs années.

Des associations pour les soins palliatifs

On peut s’interroger à savoir pourquoi les élus locaux ont demandé il y a quinze jours à l’Etat l’installation d’un hôpital de campagne militaire pour désengorger les hôpitaux du département alors qu’ils ont à leur porte, sous leurs yeux des lieux qu’ils préfèrent ne pas regarder pour se dédouaner de toutes responsabilités. Saint-Etienne est la ville des rues vides et des églises catholiques désertées parce que situées dans des quartiers musulmans. La plupart n’assurent des offices religieux qu’un dimanche sur deux, elles ne sont « opérationnelles » que quatre à cinq heures pas mois, coûtent des milliers d’euros en entretien, assurance,  chauffage et rénovation mais il ne vient à l’idée de personne de les reconvertir à d’autres fins que spirituelles. Ce que craignent les Stéphanois, ce n’est pas tant le coronavirus mais déjà les conséquences qu’il risque d’avoir sur leur vie quotidienne. Tous s’interrogent déjà  à savoir si les associations auront les moyens suffisants pour répondre aux urgences que les organismes sociaux n’assurent plus. Selon une étude publiée, en novembre 2019, par le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse,  le département de la Loire comptait entre 16.000 et 17.000 associations qui garantissaient 23.335 emplois, soit 11,7% des effectifs salariés du secteur privé du département. 56,2% d’entre eux travaillaient dans le secteur social, soit 6,3 points de plus que la moyenne nationale. Ces données de base et officielles prouvent à elles seules, la déficience des institutions locales. Si on prend en considération le fait que la plupart des bénévoles, dont le nombre est estimé entre 143.000 et 156.000,  sont des personnes relativement âgées donc susceptibles de ne plus être opérationnelles, il ne faut alors pas s’étonner de l’inquiétude des Stéphanois et des Ligériens. vjp

 

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