De jeunes virtuoses pour redonner espoir

Hongrie/Allemagne/ Europe Centrale – Elle se prénomme Mariann, se nomme Peller, est née en 1973 à Budapest. Petite fille de  Maria Wohlmuth, une chanteuse allemande de folk reconnue à son époque, elle est partie à Munich dans les années 1990 pour y étudier l’économie avant de revenir  dans son pays natal en 2003 pour s’inscrire au département « relations internationales » de l’Académie du Roi Zsigmond de Budapest. Elle a commencé sa carrière professionnelle comme institutrice dans une école maternelle, l’a poursuivie en tant que chef de vente dans une société allemande puis interprète professionnelle dans un cabinet de conseil et, forte de ces multiples expériences acquises à cheval sur deux pays, a décidé en 2004, de voler de ses propres ailes en créant ou cofondant des sociétés des conseil en publicité et marketing. Mais jamais au fil de ces années Mariann Peller (notre photo) n’a mis entre parenthèses sa passion pour la musique classique qu’elle a toujours considéré comme le plus beau vecteur de communication entre les peuples. Parce que depuis sa plus tendre enfance, elle estimait injuste que des jeunes gens prêts à sacrifier de trois à huit heures par jour à la maîtrise d’un instrument, au déchiffrage d’une partition ou à la compréhension d’une composition, soient aussi peu reconnus voire carrément oubliés, elle a décidé, en 2013, de réaliser son rêve en créant la société Classical Talents Hungary dont l’objectif a été d’encourager le maximum d’enfants et d’adolescents à se familiariser avec la musique classique . Si elle s’est autant investie dans cette cause, c’est parce qu’en organisant des événements culturels, elle s’était aperçue que l’univers de la musique classique, tant au niveau du public qu’à celui des instrumentistes,  ne cessait de vieillir.  Alors que les médias ouvrent leurs colonnes  ou ne cessent d’accorder des temps d’antenne à de jeunes footballeurs, acteurs ou compositeurs de musique plus ou moins expérimentale, en revanche ils oublient voire méprisent tous les efforts que consentent des milliers d’enfants à la maîtrise d’un instrument et à leur passion pour la musique.

Un mentor nommé Placido Domingo

Très bien introduite dans l’industrie musicale pour avoir organisé des concerts d’interprètes ou compositeurs mondialement reconnus à l’instar de Richard Clayderman ou d’Ennio Morricone, Mariann Peller sacrifie ses économies et met à profit ses expériences et relations pour proposer à la chaîne publique M1, un format d’émission inédit, en l’occurrence la diffusion à une heure de grande écoute des prestations de jeunes talents prometteurs. Grâce au soutien de personnalités voire de stars du monde musical, dont la cantatrice Erika Miklosa, le chef d’orchestre Gergely Kesselyak  mais aussi le musicologue et historien de la musique Andras Batta, ancien recteur de  l’Académie de Musique Franz Liszt de Budapest, Mariann Peller parvient à convaincre sans difficulté majeur l’intendant de la chaîne qui, à l’opposé de bon nombre de ses homologues occidentaux, considère que l’intégration de la musique classique dans la programmation est un devoir à inscrire d’office dans le service public. Une fois le feu vert donné, le talk-show  Virtuozok est programmé et diffusé le 17 octobre 2014. « J’ai eu la peur de ma vie, se souvient Mariann Peller, et me suis interrogée, mon Dieu ! que vais-je devenir si personne ne regarde ? ». Mais par chance, les Hongrois ne se sont pas seulement contenter de regarder, ils se sont enthousiasmés au point de permettre au diffuseur de réaliser une de ses meilleures audiences. 3,1 millions de téléspectateurs, soit près du tiers de la population, ont répondu présent et ce score a été dépassé lors de la finale le 19 décembre suivant ce qui a permis à Virtuozok de se classer parmi les dix meilleures audiences de l’année.

Le chef d’orchestre Gergely Kesselyak, un des bras droits de Mariann Peller
Placido Domingo, photographié avec trois jeunes violonistes de trois pays différents

Un mini-Eurovision

« Ce programme, déclare son initiatrice, permet de découvrir de nouveaux talents au lieu de les créer et les fabriquer  comme c’est le cas pour d’autres émissions similaires ». A l’instar de sa créatrice, figure atypique dans le milieu de la production télévisée, le talk show de musique classique est unique en son genre dans le sens où il s’ouvre à toutes les catégories sociales et, notamment, phénomène rarissime aux jeunes filles et jeunes gens atteints souvent de graves maladies, dont les jours peuvent être comptés et qui trouvent, en s’inscrivant à l’émission, un espoir de survie et un souffle d’espérance. Les seules et objectives conditions à la participation sont le talent et la persévérance mesurés par un jury constitué de personnes qui ont, pour reprendre une expression populaire, « de la bouteille » c’est-à-dire qui savent de quoi elles parlent et surtout ce qu’elles jugent,  ce qui est loin d’être le cas avec d’autres émissions dont nous nous garderons bien de citer les noms. Virtuozok se distingue des autres formats parce qu’il est produit de manière différente que le sont les émissions à priori comparables. Dans le studio d’enregistrement, on n’y trouve pas des spectateurs-figurants triés sur le volet et sommés d’applaudir sur commande mais des personnes autant passionnées par la musique classique que le sont les héros du jour présents sur le plateau. La participation et pas seulement la compétition est ouverte aux enfants à partir de six ans jusqu’aux jeunes adultes de 24 ans. Tous font l’objet d’un suivi après leur prestation grâce Classical Talents Hungary Kft. , fondée en 2017 par Mariann Peffer. A cette société s’est greffée la Kis Virtuózok Alapítvány, une fondation reconnue d’utilité publique qui permet de financer dans la durée des bourses d’études mais aussi d’acquérir des instruments onéreux interdits aux familles défavorisées. Ce travail d’accompagnement dans le temps conjugué avec l’adhésion du public a permis à Mariann Peffer de gagner la confiance de partenaires à l’extérieur des frontières hongroises et ce n’est pas sans une certaine et légitime fierté  qu’elle a vu, vendredi dernier, « son » émission diffusée en Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Serbie, quatre pays dont chacun sait, qu’ils ont toujours donné naissance à bon nombre des plus grands compositeurs, interprètes et chefs d’orchestre et ce, quel que soit le contexte politique. «  Virtuozok est une sorte de mini-Eurovision ! » se réjouit la productrice qui est parvenue à ses fins malgré les contraintes liées à la pandémie.

Il est des moments où le port du masque est impossible !

Un virus défié

Les enregistrements ont été effectués dans les studios Origo de Budapest, suffisamment vastes pour garantir la distanciation entre les musiciens et les personnels technique et administratif. Tous les intervenants, soit plus de 5.000 au total, en Hongrie mais aussi dans les pays voisins ont été testés avant d’être regroupés et autorisés à voyager . Il en a été de même avec les parents et les professeurs auxquels il a été recommandé d’accompagner les participants pour pouvoir les assister physiquement et psychologiquement, deux conditions indispensables lorsque sont en scène des bambins qui ont mis un pied à l’étrier de leur instrument mais jamais l’autre à l’extérieur de leur village. Aux impératifs spécifiques à toute production télévisuelle, se sont ajoutées les contraintes liées aux traductions en quatre langues , un poste-clef qui a nécessité une attention particulière afin d’éviter que les téléspectateurs étrangers soient tentés par le zapping. Le seul moyen pour que l’internationalisation de l’événement soit suivi d’effet consistait à le faire parrainer par des pointures mondialement reconnues que Mariann Peffer, grâce à sa fondation a pu rapidement convaincre. A côtés des deux fidèles parmi les fidèles que sont Placido Domingo et son fils qui a composé la musique du générique, et des trois collaborateurs historiques,  Erika Miklosa, Gergely Kesselyak  et Andras Batta étaient membres du jury, le pianiste chinois Lang Lang, le compositeur anglo-russe Gabriel Prokofiev, neveu de Sergei Prokofiev, le violoniste russe Maxim Vengerov, le violoncelliste Istvan Vardai, le pianiste Janos Balazs et le ténor Levente Molnar tous trois hongrois, la musicologue serbe Sylvana Grujic , le pianiste slovaque, Peter Valentovic, la cantatrice polonaise Alicya Wegorzewski, directrice de l’Orchestre de Chambre de Varsovie et la Tchèque Gabriele Bohacova, fondatrice de l’agence artistique Artmuse. Parallèlement aux cinq langues hongroise, tchèque, slovaque, polonaise et serbe, l’émission a été adapté en allemand et en espagnol, ce qui laisse supposer qu’elle est bien partie pour conquérir la planète en commençant par l’Amérique Latine, grâce au soutien moral et financier de Contessa Maria Bardossy, une Vénézuélienne philanthrope d’origine hongroise.

Un présentateur emblématique

Il est par ailleurs fort à parier que Virtuozok s’intègre bientôt dans la programmation des chaînes publiques allemandes et autrichiennes car Maria Peller a eu l’excellente idée de confier l’animation de l’émission à Thomas Gottschalk, le présentateur d’émissions en live le plus populaire dans tous les territoires de langue allemande. Gottschalk, 70 ans, qui se destinait à la profession d’enseignant,  a commencé sa carrière à la télévision en 1977, est devenu une figure emblématique des chaînes publiques tellement populaire que de nombreux réalisateurs de longs métrages ont fait appel à lui pour des seconds rôles. Le plus connu d’entre eux est celui du Père Wolfgang dans Sister Act 2 aux côtés de Woopi Goldberg. Il est réputé pour sa courtoisie, son sens de la mesure et surtout le respect qu’il manifeste à l’égard de ses invités. Une institution en somme qui a été louée par la presse pour sa façon de dialoguer avec de jeunes participants en fonction de leur âge mais tous angoissés par ces moments de célébrité. Tous ceux qui  côtoient Gottschalk, pour qui Virtuazok a été une expérience à la fois inédite et émouvante sont persuadés que l’idole du petit écran mettra tout en œuvre pour que le programme trouve sa place dans le pays qui a vu naître, Bach, Beethoven, Gluck, Wagner, Mendelssohn, Brahms, Haendel ou  Schumann. Il ne se sont pas trompés car des négociations sont en cours en Allemagne mais aussi en Autriche.  Mariann Peller se réjouit  par ailleurs qu’un accord soit déjà en cours de finalisation dans les Pays-Bas. Discrète mais efficace Mariann Peller n’a eu de cesse de tisser sa toile de partout en Europe pour rallier à sa cause les rares investisseurs qui préfèrent miser à long terme sur les hommes  plutôt que parier sur le profit immédiat. En mars 2018, était créée, la holding Virtuosos Ltd dont l’organisation prouve qu’il est possible de financer et sauver la culture autrement qu’en allant quémander à droite et à gauche des subventions qui ne sont jamais sans arrière-pensées politiques et souvent dispatchées de tout côté pour protéger des lobbies et se préserver de toute forme de rébellion. Au conseil d’administration de Virtuosos Ltd, siègent des personnes dont d’aucuns se seraient  imaginés qu’elles pussent un jour  travailler ensemble. Lorsque les  plus emblématiques d’entre elles, Benjamin Lakatos, pdg du groupe énergétique MET, Frank Taubert, fondateur de PanTau, Sir John Hegarty, cofondateur de Saatchi & Saatchi et Tom Teichman, tous deux à l’origine de The Garage Soho à Londres,  un fonds dédié aux nouvelles formes de développement culturel, ont la possibilité de s’assoir à la même table que Placido Domingo, Erika Micklosa, Contessa Maria Bardossy et Andras Batta, il est alors évident que les discours sur  l’avenir du monde culturel prend un autre sens.

Plus que jamais, redonner espoir

Toutes ces personnalités qui savent conjuguer le classicisme avec la modernité réinventent l’internationalisation réelle de la culture qui était de mise lors des dix années de démocratie authentique qu’a connues l’Europe au lendemain de la première guerre mondiale entre 1924 et 1933. Cette décennie au cours de laquelle les plus grands noms de la culture européenne circulaient librement d’un pays à l’autre, tous animés par un seul crédo « plus jamais ça ! », cette époque où les artistes ne se sentaient étrangers nulle part mais cette époque aussi où ils n’ont pas été suffisamment compris et écoutés pour éviter le pire. Ce qu’il faut à tout prix éviter avec la crise sanitaire actuelle est l’isolement de ceux qui sont nés pour donner espoir. On a le droit à la limite de tout confiner, abstraction faite de la culture qui doit transcender les esprits autant que les frontières.  Il faut se féliciter que l’émission Virtuozok ait séduit des millions de téléspectateurs en 2014 mais  encore davantage se réjouir qu’elle ait pu,  aujourd’hui et malgré la pandémie, en mobiliser dix fois plus à travers l’Europe.  Le nom Virtuosos a été protégé à l’international, il n’est pas aussi facile à prononcer que The Voice mais il commence par la même lettre, ce qui devrait suffire à garantir son succès, dans un premier temps en Amérique Latine où les droits de licence viennent d’être acquis par Fulwell 73. Cette société de production implantée à Los Angeles et Londres envisage la commercialisation du format en Grande-Bretagne et au Etats-Unis. Passer d’un mini-Eurovision à un Mondovision, tel est le vœu que, personnellement, nous formulons à l’adresse de Mariann Peller.  (Source : Budapester Zeitung / Adaptation en français : pg5i/vjp)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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