Biélorussie : un dictateur adroit dans ses bottes 

Biélorussie/Russie/Europe Orientale/UE – Lorsque le bloc soviétique s’est disloqué au début des années 1990, la Biélorussie avait toutes les cartes en main pour devenir une puissance économique comparable à ses voisins la Lettonie et la Lituanie au nord et la Pologne à l’ouest. Si elle avait été dirigée par une équipe un tant soit peu démocratique, elle aurait pu par ailleurs jouer un rôle de premier plan dans les relations entre l’Union Européenne et la Fédération de Russie. Or, elle n’a tiré aucun profit de sa situation géographique, de sa superficie qui représente tout de même 66% de celle de la Pologne et encore moins de son patrimoine culturel, religieux et touristique qui n’est réellement reconnu et apprécié que par les habitants des territoires de proximité.

Le cœur de la Grande Europe ne bat plus

A l’instar de l’Ukraine, la Biélorussie est un pays situé au coeur de l’Europe et qui, à ce titre, a souffert de toutes les velléités expansionnistes occidentales et orientales, à commencer par les campagnes napoléoniennes, pour se retrouver deux siècles plus tard dans un situation qui prive près de dix millions d’habitants de tout avenir, de tout espoir. Depuis bientôt près d’un an, la crise sanitaire accapare tous les esprits car tous les dirigeants prennent conscience des failles de leurs systèmes et dans ce contexte, il est plus facile pour eux de fermer les yeux sur ce qui se déroule ailleurs et comme il est de règle dans ce genre de situation, ce sont toujours les « petits » pays qui trinquent, ceux dont la faible démographie autorise l’indifférence. Parmi ces oubliés de l’histoire contemporaine, la Biélorussie et Haïti supportent la comparaison car tous deux sont présidés par des dictateurs, Alexander Loukachenko et Jovenel Moïse, et habités par des personnes qui ne demandent ni plus, ni moins que de jouir de leurs droits civils, économiques, politiques et sociaux. Que l’Union Européenne hésite à mettre son nez dans les affaires haïtiennes en partant du principe que les Etats-Unis et le Canada sont mieux placés géographiquement pour le faire, est à la limite compréhensible mais en revanche qu’elle reste silencieuse face aux méthodes du président biélorusse est au mieux regrettable au pire inadmissible. Ce n’est pas en bloquant quelques comptes bancaires ouverts à l’étranger par des pontes du régime ou en exerçant des sanctions économiques que les Biélorusses et plus particulièrement les plus jeunes d’entre eux sortiront de la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent.

Viatcheslav Kébitch : 1er président biélorusse après la levée du Rideau de Fer

Des taux de croissance bidons

Dans une longue analyse publiée par le site decoder, Roland Götz, membre de la fondation Sciences et Politique (Stiftung Wissenschaft und Politic) à Berlin, analyse l’évolution de cette dictature biélorusse instaurée par Loukachenko. Il rappelle qu’à l’instar de son prédécesseur Viatcheslav Kébitch, un membre influent du comité central du Parti Communiste d’URSS, le président actuel s’est « toujours tenu à l’écart de la politique de perestroïka engagée par Mikhaïl Gorbatchev. » Les deux hommes se sont toujours opposés aux réformes démocratiques et à la libéralisation progressive de l’économie. C’est ainsi que « les grandes entreprises d’Etat qui représentent 60% du PIB et 50% de la main d’œuvre, sont toujours contrôlées et gérées par les autorités publiques ». Roland Götz poursuit en écrivant que «le modèle d’entreprise biélorusse repose sur des volumes de production importants. Ceux qui les gèrent sont tenus d’acheter tous les produits intermédiaires à des fournisseurs dont la plupart sont également des entreprises publiques. » Tous les secteurs sont concernés, y compris les quelques 1.500  grandes sociétés agricoles que compte le pays et chargées de cultiver les céréales ou d’élever le bétail, et c’est la raison pour laquelle deux des plus gros employeurs du pays sont les fabricants d’engrais Belaruskali et de tracteurs Minsker Traktorenfabrik qui emploient chacun plus de 16.000 personnes. La plupart de ces groupes sont en sureffectifs ce qui permet au gouvernement d’afficher un taux de chômage extrêmement bas comparativement à la moyenne européenne. En 2007, alors qu’il était déjà au pouvoir depuis treize ans, Alexander Loukachenko s’est résolu  à « dérèglementer progressivement certains secteurs de l’économie. » N’ont été alors fixés par l’Etat que les prix des produits « socialement importants », en l’occurrence les produits alimentaires et les médicaments. Quelques allègements d’ordre bureaucratique  ont alors été accordés aux entreprises privées et semi-publiques mais ils se sont révèlés plus fictifs que réels, car les chefs d’entreprise sont toujours soumis à « des pressions administratives, des accords imposés et des arrangements informels. » L’homme qui s’appelle Loukachenko et s’est fait élire en prétendant vouloir combattre la corruption en a légalisé une nouvelle forme en quadrillant sont territoire de hauts-fonctionnaires plus indélicats qu’intègres et ce sont ces personnages là qui lui permettent de se maintenir au pouvoir. D’une manière très habile qui fait de lui un dictateur hors normes , il en limoge quelques uns mais « les acteurs disgraciés sont souvent transférés par la suite à d’autres postes très bien rémunérés». Ce jeu de chaises musicales lui permet « d’exercer un contrôle politique particulièrement efficace notamment dans les provinces où les entreprises d’Etat sont souvent les seuls employeurs ». Le dirigeant biélorusse n’a jamais voulu entendre parler de la perestroïka car elle mettait à mal « une système politique néo-patrimonial qui est une combinaison de pouvoir personnel et de réglementation bureaucratique. » L’autre volet de la stratégie du président biélorusse consiste à faire avaler à ses sujets des perspectives économiques irréalistes. Pour s’assurer une crédibilité, il utilise son ministre de l’économie  qu’il charge d’annoncer des taux de croissance fantaisistes. C’est ainsi qu’Aleksandr Chervyakov n’a pas hésité un seul instant à affirmer récemment devant une assemblée de chefs d’entreprise que d’ici 2025, le taux de croissance cumulé atteindra au moins 21,5%, soit une moyenne annuelle de 4,3% ! Or, cette évaluation s’inscrit  d’une part à contre-courant de celle du Fonds Monétaire International et d’autre part à l’opposé du développement récent de l’économie nationale. Sur ce second point, l’économiste Jеkaterina Bornukowa,  directrice de l’institut de recherches économiques BEROC, rappelle qu’au cours des cinq dernières années la croissance n’a pas dépassé les 3,5%, soit à peine 0,7% par an ne moyenne. Par conséquent, elle voit mal comment son pays pourrait atteindre les prévisions annoncées. Quand bien même, la Biélorussie aurait-elle été épargnée pas la crise sanitaire, qu’elle serait encore loin des objectifs fixés. « Qui peut objectivement garantir que, dans un proche avenir, tout ira mieux ? » s’interroge-t-elle à l’instar de tous ses collègues à l’étranger qui font passer le réalisme avant les illusions de dirigeants en mal de crédibilité. Jеkaterina Bornukowa est convaincue que seules des réformes de tout le système économique et politique de la Biélorussie permettront de sortir le pays de sa léthargie. Elles ne seront pas envisageables tant qu’Alexander Loukachenko pourra se maintenir au pouvoir. La question qui se pose à l’heure actuelle est celle à savoir, comment le président au pouvoir peut être démocratiquement démis des fonctions qu’il s’est arrogé ? Le moyen le plus crédible consisterait à soutenir les populations biélorusses parties à l’étranger pour échapper à la prison et aux répressions. Ces personnes devraient être accueillies les bras ouverts par les pays d’accueil et non menacées d’expulsion comme le sont souvent leurs voisins de Géorgie, d’Arménie, d’Ukraine et d’Azerbaïdjan. Tant que les pays occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne prendront pas  conscience que c’est en protégeant et en formant une diaspora qu’on met fin aux régimes dictatoriaux, des personnages douteux, à l’instar du président autoproclamé de Biélorussie, auront de beaux jours devant eux.  (Sources : decoder/ BEROC – Adaptation en français : pg5i/vjp) – Nombre de mots : 1 269

 

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