Une cantatrice au secours des patients post-covid

République Tchèque/Slovaquie/Allemagne – Lorsque le virus s’est répandu en l’espace de quelques semaines sur tous les continents, la mezzo-soprano Jana Kurucova ne se serait jamais imaginée que, grâce à son expérience personnelle, elle allait pouvoir jouer un rôle de premier plan dans le soutien aux personnes infectées. Bien qu’il soit toujours entaché de mystères quant à son origine, son développement et sa capacité à muter, une chose est certaine et reconnue par tous les scientifiques et ce, quelle que soit la direction qu’ils prennent pour l’éradiquer : le Covid 19 laisse des traces sur les poumons et le recul est suffisamment important pour constater qu’un forte majorité des personnes contaminées, bien que se croyant guéries, demeurent confrontées à des problèmes respiratoires. Le risque n’est pas à exclure que beaucoup d’entre elles ne puissent plus revivre normalement, encore moins reprendre leurs activités si celles-ci nécessitent des efforts physiques. Lorsque des fléaux, à l’instar du Covid, prennent de vitesse les sociétés toutes entières, les autorités sanitaires se retrouvent tellement démunies et impuissantes qu’elles en oublient l’évidence. Elles concentrent leurs efforts sur la recherche de vaccins, des outils qui se sont avérés miraculeux pour éradiquer des maladies infectieuses infiniment plus meurtrières et handicapantes que le coronavirus, mais elles ont tendance à oublier tous ceux qui, en tombant malades et en se rétablissant, ont permis à la science de réagir, d’évoluer et de soigner sans réellement guérir. Depuis le début de la crise sanitaire, celle-ci est gérée comme si le coronavirus était comparable à la tuberculose ou à la grippe espagnole alors qu’en réalité il semble davantage se rapprocher du VIH, un virus qui a provoqué en 1980, plus de 36 millions de victimes, soit sept fois plus que le Covid 19 et contre lequel aucun vaccin n’a pu être développé. Le moment n’est-il pas venu de se concentrer sur des traitements comparables aux trithérapies plutôt que sur des vaccins dont on sait déjà qu’ils ne sont pas fiables à 100%.

Apprendre à respirer en chantant

Dans ce genre de contexte, il arrive que des personnes de la société civile soient plus lucides que ne peuvent l’être les chercheurs et scientifiques. C’est le cas de Jana Kurucova (notre photo) à laquelle le magazine « Prager Zeitung » a consacré récemment un très long et enrichissant reportage. Dès sa plus tendre enfance, Jana n’avait qu’un seul et unique rêve : devenir cantatrice. Mais comment exercer ce noble métier lorsqu’on est asthmatique ? La réponse, elle l’a trouvée d’elle-même en apprenant à respirer comme le lui avait conseillé un professeur de chant alors qu’elle avait 14 ans, un âge déjà avancé pour assouvir une telle vocation. «Lorsque vous respirez par le nez, explique Jana, vous obtenez de l’oxyde nitrique qui est produit par le corps lui-même. Ce gaz, formé dans les sinus par certaines enzymes, contribue à répartir uniformément l’oxygène dans le corps, à réguler le flux sanguin et à améliorer les capacités respiratoires.» Persuadée qu’apprendre à respirer peut contribuer au rétablissement de personnes touchées par le virus, Jana Kurucova, soliste à l’Opéra National de Hambourg, s’est présentée à la clinique universitaire de Hambourg-Heppendorf (UKE) où elle a trouvé des oreilles attentives qui ont accepté de mettre en place une groupe d’études et de recherches sur les conséquences à long terme du Covid. Parmi les personnes que Klaus Hanisch, cofondateur «Prager Zeitung », a contacté pour rédiger son article, se trouve Franziska, une jeune femme chirurgienne frappée de plein fouet dans le cadre de ses activités professionnelles en janvier 2021 par le coronavirus. Franziska était alors à deux doigts d’un placement en soins intensifs. « J’avais des crises d’essoufflement aigu, surtout la nuit, une toux sèche, de la fièvre et j’étais immédiatement épuisée au moindre effort » explique aujourd’hui Franziska qui se souvient avoir perdu goût et odorat et ressenti de fortes douleurs à la poitrine, à la tête, aux membres et aux muscles, bref tous les symptômes d’une maladie qui n’agit pas, à l’instar du VIH, de manière perfide et insidieuse mais qui, comme le sida, peut s’attaquer à presque tous les organes, au premier rang desquels, les poumons. « La phase aiguë de la maladie a duré trois semaines, ajoute Franziska, mais à cause de ma fonction pulmonaire limitée et mon manque de force , je ne pouvais faire que quelques pas et il m’était difficile de monter des escaliers. » Lorsqu’elle a eu vent des expériences menées par Jana Kurucova, elle s’est précipitée à Hambourg pour faire la connaissance d’une personne qui, depuis plus de 20 ans, enseignait le travail corporel et les bienfaits de la respiration pour améliorer les performances physiques et vocales. Pour interpréter les plus grands rôles lyriques, un voix ne suffit pas, il faut aussi un coffre qu’il faut savoir ouvrir, entrouvrir ou fermer en fonction de ce qu’on attend de lui. « Il est important que les patients prennent conscience du fonctionnement et de l’importance de leur respiration » insiste Jana Kurucova avant d’enchaîner qu’«il n’est pas nécessaire de s’entraîner à respirer pendant des heures car quelques minutes d’exercices de respiration consciente en préparant son café, en montant dans un bus, en allant au travail ou en se tenant dans une file d’attente, suffisent pour respirer correctement et fournir de l’énergie à son corps. »

Dr.Hans Klose
Georges Dalnon

Un entourage compréhensif

Mais si Jana a pu mener à bien son projet, c’est d’une part grâce à la compréhension du personnel hospitalier et plus particulièrement du responsable du service de pneumologie à l’UKE, le Dr.Hans Klose, qui s’est très vite aperçu que son interlocutrice, en tant qu’ancienne asthmatique maîtrisait mieux que quiconque son sujet, mais aussi grâce à la bienveillance de son employeur, Georges Dalnon, directeur de l’Opéra d’Etat de Hambourg qui a aménagé l’emploi du temps de sa soliste afin qu’elle puisse mettre la passion pour son métier au service du bien commun. «Jana, lance-t-il avec autant de passion que soliste, apporte une aide au sein de la société dans une période intermédiaire marquée par la peur d’être contaminé, l’impatience d’être enfin vacciné ou du moins testé régulièrement». Les deux hommes ont travaillé de conserve pendant six semaines consécutives pour épauler au mieux Jana Kurucova, dont la méthode n’a pas pour objectif de dissuader les personnes de se faire vacciner mais de venir en aide à ceux qui ont été frappés par le virus avant qu’il se transforme en pandémie. En réalité, la mezzo-soprano veut lutter contre un préjugé extrêmement dangereux qui persiste au sein de la population et qui consiste à considérer une personne ayant vaincue la maladie comme définitivement guérie, ce qui ne sera probablement jamais le cas. Franziska est la première à le savoir. Grâce aux exercices respiratoires élaborées par Jana, elle a pu reprendre partiellement ses activités de chirurgienne mais elle est consciente qu’il ne lui faudra jamais baisser la garde pour pouvoir les poursuivre. Jana Kurucova est tout sauf une semeuse de rêves ou une magicienne. Elle enseigne ce qui fait défaut à nos sociétés, en l’occurrence le renoncement à la facilité et à la rapidité. «Nous sommes tellement pressés au quotidien, nous mettons tellement de mots dans une phrase que nos phrases deviennent de plus en plus courtes et sans nous en rendre compte nous désapprenons à respirer par le nez » constate celle qui apprend à ses «patients » à obtenir une respiration profonde pour éviter l’essoufflement. Et c’est par des petits exercices de cinq à dix minutes trois ou quatre fois par jour qu’on parvient à des résultats positifs. A force d’assiduité, « ces petits gestes font partie du quotidien au même titre que le brossage des dents » mais les personnes qui se soumettent à cet exercice doivent avoir conscience qu’ils devront y rester fidèles pendant au moins 90 jours pour obtenir les premiers résultats et ne jamais abandonner par la suite. A tous les étudiants auxquels elle enseigne le chant depuis plus de vingt ans, elle leur apprend tout d’abord à respirer. Ce n’est qu’à l’issue de ces premiers cours que « le système respiratoire se réchauffe correctement ». Pour rien au monde, Jana Kurucova aimerait se voir assimilée à une spécialiste de thérapies post-covid et son seul objectif est de partager sa propre expérience. « Les chanteurs, argumente-t-elle, font très attention à leur respiration et savent mieux la gérer. Dans le chant professionnel, ce n’est pas tant la quantité d’air qui est importante mais la façon dont vous respirez pour en doser la partie disponible. » Selon les experts médicaux, les chanteurs professionnels et plus particulièrement ceux qui se produisent sur les scènes lyriques peuvent apporter un soutien aux patients post-covid. « Nous sommes convaincus que le chant améliore les fonctions pulmonaires et la qualité de vie des personnes atteintes de maladies responsables de maladies respiratoires chroniques » confirme le Dr.Klose, soutenu par son collègue, le Professeur Hermann Reichenspurner , directeur médical adjoint du centre cardiaque et vasculaire de l’UKE, qui a tenu à équiper les chanteurs de l’Opéra de Hambourg de tous les outils informatiques et numériques dont ils ont besoin pour vulgariser la méthode de Jana Kurucova. Ces derniers serviront-ils d’exemples dans un pays mondialement réputé pour le nombre de ses opéras ? Si oui, des milliers d’Allemands pourront alors rêver d’un monde d’après ressemblant à peu près à celui d’avant. (Source : Prager Zeitung / Rédacteur : Klaus Hanisch / Adaptation en français : pg5i/vjp)

A propos de Jana Kurucova

Jana Kurucova est née en 1982 à Kezmarok, une petite ville d’à peine 20.000 habitants située à l’est de l’ex-Tchécoslovaquie et à proximité de l’Autriche, pays où elle a étudié la musique et le chant. Diplômée du conservatoire de Graz, c’est également dans la capitale de la Styrie qu’elle a fait ses débuts sur scène en interprétant le rôle de la 2ième Dame dans « La Flûte Enchantée » de Mozart . En 2005, elle rejoint l’Opernstudio de l’Opéra National de Bavière à Munich et quatre ans plus tard l’ensemble du Théâtre d’Heidelberg qui lui offre tous les rôles dont une cantatrice peut rêver, celui de Cherubino dans « Les Noces de Figaro », de Sesto dans « La clémence de Titus », d’Idamante dans «Idomeneo » et Rosine dans « Le barbier de Séville ». La carrière de Jana prend un nouveau tournant lors de la saison 2009/2010 lorsqu’elle intègre l’ensemble musical du Deutsche Oper à Berlin où elle s’épanouit en élargissant son répertoire à Bizet (Mercedes dans « Carmen »), Verdi (Fenena dans « Nabucco ») ou Debussy (Melisande dans « Pelleas et Melisande »). Au cours de cette dernière décennie, il ne s’est écoulée d’année sans que Jana Kurucova, tout en restant fidèle à Mozart, n’apporte sa touche personnelle à des œuvres aussi diverses que peuvent l’être celles de Johann Strauss (La Chauve Souris), Robert Schumann (Le Paradis ou la Péri), Puccini (Madame Butterfly), Verdi (Falstaff), Bellini (I Capouleti e i Montecchi), Donizelli (Marie Stuart) , Gounod (Faust) ou Rossini (Le Comte d’Ory). Sous contrat avec l’Opéra de Hambourg, Jana Kurucova se produit régulièrement sur les plus grandes scènes lyriques d’envergure internationale dont Berlin, Prague, Vienne ou Bratislava. Mais c’est toutefois en Allemagne que la cantatrice slovaque est la plus sollicitée que ce soit à l’ouest (Baden-Baden, Karlsruhe, Dortmund) ou à l’est (Dresde). Au cours des dix dernières années, elle a toujours été accompagnée par les cantatrices, ténors et barytons les plus demandés, dont l’Américain Lawrence Brownlee ou la soprano britannique Jessica Pratt.

Que Jana Kurucova ait mis le confinement et la suspension temporaire des répétitions et programmations au profit des patients du covid, victimes de séquelles pulmonaires, est tout à son honneur. En agissant bénévolement de la sorte, Jana ne nous donne pas seulement une belle et noble leçon d’humanité, elle redonne espoir à des milliers de personnes à la recherche d’un nouveau souffle à leur vie. Bien que ses cours de respiration virtuels ne soient pas disponibles en français, nos lecteurs pourront toutefois s’en faire une idée en se connectant sur https://www.janakurucova.de/kopie-von-atemkurs .

 

 

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