Travailleurs saisonniers : les oubliés de l’Europe

Allemagne/Europe Centrale/ EU – Ils arrivent de Roumanie, de Bulgarie, de Slovaquie ou de Pologne, on ignore leur nombre exact car ils sont payés pour travailler dans l’ombre mais on sait qu’ils se chiffrent en plusieurs dizaines de milliers. Lorsqu’ils s’installent le temps d’une ou deux saisons, ils sont à l’ouvrage de dix à seize heures par jour. Peu importe qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il grêle ils doivent faire acte de présence. Il leur est interdit de tomber malade. Souvent, ils ont franchi les frontières en portant leurs affaires personnelles dans un sac poubelle. Ils dorment dans des caravanes abandonnées sur des terrains vagues ou dans des baraques aux parois moisies par la vermine. Ils peuvent rester des jours sans se laver encore moins se doucher. Ils ignorent ce que sont les dimanches ou les jours fériés. Il leur est interdit de rouspéter et de faire prévaloir leurs droits, car de droits ils n’en ont pas.

Les consommateurs sont friands de fraises mais ignorent tout de la façon dont elles arrivent dans leur assiette.
A l’instar des fraises, les asperges sont un produit fragile dont la récolte nécessite un savoir-faire et de la patience.

Des conditions de travail inadmissibles

A preuve du contraire, aucune des innombrables têtes de liste aux prochaines élections européennes, qu’elles soient de droite, de gauche, du centre ou des divers extrêmes, n’a inscrit dans son programme l’indispensable amélioration des conditions de travail des travailleurs saisonniers sans lesquels des pans entiers de l’économie seraient condamnés à la disparition. Avec le bâtiment et les travaux publics ainsi que le tourisme, le secteur agricole est celui qui recourt le plus aux salariés temporaires étrangers, qu’ils soient ou non ressortissants de l’Union Européenne. Il a fallu près de dix ans après l’élargissement de cette dernière pour que les institutions bruxelloises et strasbourgeoises se penchent sur le sort de ces citoyens qui n’ont jamais été réellement européens et qui ne le sont toujours pas. En 2014, le Conseil Européen s’était enfin penché sur ce dossier et avait trouvé un compromis avec le Parlement qui n’a contribué en rien à l’amélioration des conditions de survie de ces nouveaux esclaves que sont les travailleurs saisonniers dans le sens où il laissait à chaque Etat la liberté d’en fixer le nombre et la durée maximale de séjour, autorisée de cinq à neuf mois sur une période d’un an. Il était par ailleurs prévu que toute demande d’entrée dans un pays en tant que travailleur saisonnier soit assortie d’un contrat de travail validé par les deux parties (employeur/employé) et dans lequel devaient obligatoirement être mentionnés les horaires et les salaires. Mais il ne semble être venu à l’idée d’aucun élu européen, que les personnes concernées ne parlent pas la langue du pays les accueillant et que ces derniers allaient être, de fait, contraints de signer des contrats sans en comprendre le contenu. Cette lacune, inadmissible, a laissé la porte ouverte à tous les abus dont le non des moindres a consisté à déduire des salaires les coûts surévalués des hébergements. Benjamin Luig, responsable de l’association Fair Agricultural Work (FAW) dénonce depuis des années cette situation et dénonce le dumping social et la pression massive pour le performance dont sont victimes les saisonniers. Des informations incorrectes lors de l’enregistrement des heures de travail les obligent à travailler beaucoup plus qu’ils ne sont payés. « Dix heures de travail harassant et monotone constituent le quotidien de l’agriculture allemande » déclarait récemment Benjamin Luig au quotidien Tageszeitung. La FAW conseille les travailleurs saisonniers sur leurs droits mais le nombre de personnes concernées est tellement élevé qu’il est impossible de garantir à tous un minimum d’égalité de traitement. Beaucoup souscrivent par exemple une assurance maladie collective privée dont la gamme de services est restreinte ce qui les oblige en cas de maladie de payer eux-mêmes leur traitement. Les délais de préavis étant tellement courts et n’excédant parfois même pas un jour, certains travailleurs saisonniers se voient contraints de rentrer chez eux malades ou blessés alors qu’ils étaient censés revenir riches et en bonne santé.

Benjamin Luig est l’un des seuls à se préoccuper du sort des saisonniers en Allemagne.

Les distributeurs complice de la maltraitance

L’ONG Oxfam qui, jusque-là se préoccupait prioritairement des zones de culture des fruits tropicaux et dénonçait l’exploitation des enfants en Afrique ou dans le sud-est asiatique, se penche désormais elle-aussi sur la situation des travailleurs saisonniers en Europe. A l’instar de le FAW, Oxfam ne considère pas les employeurs comme les seuls responsables. Les deux organisations dénoncent avant tout les méthodes des grands réseaux de distribution qui exercent une pression brutale sur les prix. En Allemagne, les Big Four, c’est-à-dire les marques Edeka, Rexe, Aldi et Lidl, se partagent 85% du commerce de détail alimentaire. Ce quatuor utilisent les fruits et légumes saisonniers très appréciés que sont les fraises et les asperges, comme produits d’appel qu’ils achètent en masse après avoir exercé une telle pression qu’ils parviennent à les acquérir à un coût inférieur à celui de la production. De nombreuses petites entreprises agricoles ont été les premières à souffrir de cette situation et fait le choix d’abandonner leurs activités laissant le champ libre à des grosses exploitations contraintes de réaliser leur marge sur le dos de leurs salariés mais aussi celui des consommateurs qui paient jusqu’à quinze ou seize euros un kilo de fraises ou d’asperges alors que celle ou celui qui les a cueillis en a mis trois fois plus dans son panier en une heure rémunérée 2,5 euros. On le voit : les travailleurs saisonniers sont une population qui incarne tous les maux d’une construction mal pensée et mal gérée de l’Europe mais le pire dans tout cela provient du fait qu’elle n’aura pas la possibilité de s’exprimer lors des prochaines élections européennes. N’étant même pas enregistrée officiellement sur son lieu de travail temporaire, cette population est condamnée à survivre dans l’ombre et le silence. kb & vjp

 

 

 

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