Slovaquie : une République ingouvernable

Slovaquie/UE – A peine rendue publique l’agression dont a été victime le Premier Ministre slovaque, que des dizaines de personnalités de tous bords se sont fait un devoir de s’apitoyer sur son sort. Du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres à celui de l’OTAN,Jean Stoltenberg, en passant par les Chanceliers allemand et autrichien, Olaf Scholz et Karl Nehammer, les présidents roumain, russe et ukrainien, Klaus Johannis, Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky , tous ont tiré un trait sur leurs dissensions pour mieux manifester leur émoi, leur stupéfaction et leur indignation.

Robert Fico : comment va-t-il mettre à profit son retrait temporaire? 

Des souhaits de bon aloi !

Tous ont ressorti du tiroir le vocabulaire qu’on utilise généralement lorsqu’un homme ou une femme célèbre disparaît à jamais, ce qui n’est pas encore le cas de Robert Fico, étant donné que, selon ses médecins, il serait, à l’heure où nous écrivons ces lignes, tiré d’affaire. La question désormais en suspens est de savoir quand et dans quelles conditions le chef de gouvernement slovaque va reprendre ses fonctions ? Va-t-il être animé par un sentiment de vengeance et profité de l’élan d’empathie à son égard dû à l’attentat dont il a été victime pour se venger et régler ses comptes avec une brutalité dont il n’est pas le seul à avoir le secret ou va-t-il au contraire mettre à profit sa convalescence pour réfléchir rationnellement à l’avenir de son pays et renoncer à des décisions auxquelles une majorité de son peuple n’adhère pas ? Si on se fie aux premières réactions nationales et non étrangères, tout laisse supposer que c’est, hélas, la première de ces hypothèses qui l’emportera. Le parti SMER de Robert Fico a beau être la première force politique du pays, il ne détient que 28% des sièges au Parlement et contrairement à son ami hongrois Victor Orban, il est loin de détenir une majorité absolue au Parlement ; laquelle lui permettrait de mener une politique de plus en plus pro-russe et de fait anti-européenne. La fusillade dont il a été la cible et dont on ignore si elle est ou non un acte isolé, génère une confusion et une paralysie dont les Slovaques se seraient bien passés. Tous ont l’impression de revivre cette tragique année 2018 au cours de laquelle Jan Kuciak et sa fiancée furent sauvagement assassinés à leur domicile (*). Le journaliste d’investigation s’apprêtait à dévoiler un scandale d’Etat sur les relations douteuses qu’entretenaient l’entourage de Fico et Fico en personne avec la mafia italienne. Ces révélations coûtèrent la vie au journaliste, le peuple s’indigna, descendit massivement dans les rues des plus grandes villes du pays et Fico n’eut d’autre choix que de démissionner. Personne n’aurait alors parié sur l’avenir politique de cet homme qui est parvenu à ressortir de l’ombre grâce à la pandémie en se faisant le porte-drapeau des anti-vaccins puis lors de l’annexion de l’Ukraine en jouant sur les deux tableaux, européen en approuvant l’accueil d’un nombre important de réfugiés, russe en refusant de livrer des armes à l’Ukraine.

Le nouveau président de la République en symbiose avec Robert Fico.

Des lois favorisant la corruption

C’est grâce à ce double langage que Robert Fico a pu réunir derrière lui suffisamment de voix pour redevenir chef d’un gouvernement de coalition tripartite regroupant à côté du SMER-SD, le HLAS-SD fondé par Peter Pellegrini élu récemment président de la République et la SNS. Les deux premières de ces formations s’affichent sociales-démocrates mais sont en réalité des populistes pro-russes, antilibérales et homophobes. A peine Fico a-t-il retrouvé son siège de Premier Ministre qu’il s’est attelé à un projet de loi visant à dissoudre le parquet spécial en charge de la lutte contre la corruption, laquelle prévoit des fortes réductions de peines, des sanctions allégées et des réductions de délais de prescription, autant de mesures qui étaient destinées à protéger les dirigeants et leur entourage. Robert Fico espérait une approbation par le Parlement de son texte dès la mi-janvier, ce qui n’a pas été possible grâce à la mobilisation de l’opposition à l’origine de cinq grandes manifestations dans le pays. Une mobilisation de même ampleur a eu lieu lorsque les dirigeants ont voulu s’en prendre à la chaîne d’Etat de Radio Télévision, ce qui a été considéré comme une mise au pas de l’ensemble des médias.

Zuzana Caputova n’a jamais pu trouver sa place dans un monde de machos.

Une présidente qui baisse les bras

C’est dans ce climat pour le moins délétère que s’est déroulée en avril dernier l’élection présidentielle. Attaquée de toutes parts par les politiciens corrompus de la République, la présidente sortante Zuzana Caputova avait fait le choix de ne pas se représenter et d’apporter son soutien à Ivan Korcok, ancien ambassadeur de Slovaquie en Allemagne puis aux Etats-Unis. Bien qu’arrivé en tête au premier tour, ce candidat indépendant a été battu au second par Peter Pellegrini, lequel à quelques nuances près se situe sur les sujets les plus sensibles que sont les relations avec le Kremlin, les livraisons d’armes à l’Ukraine, l’indépendance de la justice ou la liberté de la presse sur la même longueur d’onde que Robert Fico. Dès le lendemain du scrutin présidentiel, les deux hommes forts du pays se voyaient déjà débarrassés de cette gauchiste qui, à la surprise générale, avait été élue à une très forte majorité (plus de 58%) en 2019 en prônant le lutte contre la corruption, la protection de l’environnement, la défense des droits LGBT, à l’avortement et à la contraception. Toutefois, ce sursaut démocratique incarné par Zuzana Caputova n’a été que de courte durée car elle a été confrontée à une instabilité politique permanente. En cinq années de présidence, elle a en effet été contrainte de collaborer avec autant de chefs de gouvernement, ce qui a fait de la Slovaquie le pays politiquement le plus instable de l’Union Européenne. Reste désormais à savoir si et quand l’homme gravement blessé qu’est toujours Robert Fico sera en mesure de renouer avec ses fonctions ; fonctions qu’il n’abandonnera que si son état physique le lui interdit ou si certains prétendants ambitieux profitent de l’aubaine pour s’installer à sa place. Quoiqu’il en soit, celui qui est toujours officiellement Premier Ministre n’a pour l’instant plus aucune influence sur les élections européennes qui s’approchent, si tant est qu’on puisse parler d’élections dans ce pays qui a enregistré en 2019, le plus fort taux d’abstention (77,3%) de toute l’Union. Un pourcentage qui en dit long sur l’immense travail qu’il reste à faire à l’intérieur comme à l’extérieur de ce pays qu’est la Slovaquie. ls & vjp

(*) Ce double meurtre a permis à la société civile de prendre conscience de la corruption et provoqué des manifestions de masse jamais vues depuis la Révolution de Velours en 1989. Des rassemblements ont encore lieu en mémoire aux deux victimes mais n’ont hélas que peu d’incidences sur le vie politique. Il a fallu attendre quatre ans pour qu’une statue en métal soit érigée, en 2022, à Bratislava. Elle est censée représenter la blessure et déchirement vécus par la société toute entière. 

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