Travailleurs détachés : un problème plus français qu’européen

France/UE – Fort de son succès aux élections présidentielles face à une rivale qui connaissait mal ses dossiers, Emmanuel Macron tente d’imposer aujourd’hui ses vues sur le travail détaché. Il s’est rendu en Europe Centrale en prenant soin d’occulter les pays dirigés par des gouvernements populistes ou ultraconservateurs, à l’instar de la Pologne et de la Hongrie. De Roumanie puis de Bulgarie, il a exhorté Varsovie de ne plus jouer les trouble-fêtes et de se plier aux règles définies par l’Union Européenne. Ne serait-ce le cas, la Pologne prendrait alors le risque de s’isoler. Mais en voulant jouer le rôle de régulateur du marché européen du travail, le président français risque pour sa part de mettre le doigt dans un dossier extrêmement sensible dont il est le seul porte-parole. Si le travail détaché est encore sujet à débats en France, c’est tout simplement parce qu’aucun des prédécesseurs d’Emmanuel Macron, n’a pris les mesures nécessaires pour éviter les abus qui ont été décelés dès l’intégration des pays d’Europe Centrale dans l’Union Européenne, c’est-à-dire en 2003 en ce qui concerne l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque, la  Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, Chypre et Malte, et en 2007 pour la Roumanie et la Bulgarie. Il est évident que deux élargissements d’une telle ampleur, ne pouvaient qu’aboutir à des tensions et des inégalités sociales. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir pourquoi l’intégration des nouveaux ressortissants européens réussit en Allemagne et échoue en France. Les membres du gouvernement français dont le premier d’entre eux et son ministre de l’économie ont pris, dès leur arrivée au pouvoir, le soin de redynamiser les relations entre les deux pays sans se rendre compte que l’Allemagne, leur modèle, ne serait pas ce qu’elle est, une nation politiquement stable et économiquement puissante, si elle n’avait pas su attirer et fidéliser les travailleurs arrivant d’Europe Centrale. Au cours de douze dernières années, les Allemands ont été dirigés par une femme qui a fait confiance en seulement six ministres de l’économie. Sur la même période, les Français ont vu trois présidents et sept 1er ministres se succéder à l’Elysée et à Matignon, tous de mèche pour caser au chaud une foultitude de ministres, de ministres délégués, de secrétaires d’Etat, soit 49 au total ! L’Allemagne a eu, par ailleurs, l’intelligence de séparer clairement les ministères de l’économie de ceux des finances. Au cours de ses mandats successifs, soit douze ans, seuls deux hommes, Peer Steinbrück de 2005 à 2009 et Wolfgang Schäuble, toujours en fonction, ont eu en charge la gestion du budget de l’Etat. Le maintien de personnes compétentes à des postes stratégiques a fait que l’intégration des travailleurs étrangers a été réussie. Elle a contribué à la réussite économique de la RFA, car lorsque le nombre de ressortissants de l’Union Européenne triple entre 2010 et 2017, cela se ressent sur le Produit Intérieur Brut. Selon l’Office Fédéral des Migrations, on comptait fin 2016 plus de 4,3 millions de citoyens européens en Allemagne, dont 783.061 Polonais, 611.379 Italiens, 533.539 Roumains, 348.339 Grecs, 331.936 Croates, 262.847 Bulgares et 193.651 Autrichiens. Plus la situation économique des pays d’origine est fragile, plus le nombre d’expatriés est logiquement important. Il en va ainsi de la Roumanie et de la Grèce dont les nombres de ressortissants ont augmenté l’an dernier de 80 et 84%. Dans son dernier rapport annuel, l’Office des Migrations dresse le portrait du migrant venant d’Europe Centrale. Il est généralement jeune et bien formé. Mis à part les Bulgares, dont 31% survivent en Allemagne grâce à des aides publiques, une forte majorité (de l’ordre de 90%) de ressortissants européens est en mesure de voler de ses propres ailes. C’est le cas notamment des Hongrois, dont seuls 4,9% recourent aux minima sociaux, soit 2,4% de moins que les nationaux (7,3%). Tant que les gouvernements français ne comprendront pas que l’immigration est plus une chance qu’une difficulté, ils ne pourront imposer leur vision d’une Europe sociale. La Pologne prend peut-être le risque de s’isoler mais elle le sera toujours  moins que cette jeune famille roumaine qui erre actuellement dans les rues d’une ville française que nous connaissons bien parce que nous y vivons et travaillons. Que la France, avant de donner des leçons de politique sociale, se préoccupe d’abord d’accueillir dignement les ressortissants européens. Vital-Joseph Philibert

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