Succession d’Angela Merkel : une ère de tous les possibles

Allemagne – Alors qu’en France, le parti portant les couleurs du Président de la République a la possibilité de diriger seul le pays, en Allemagne la formation politique du Chancelier est contrainte de s’allier à une force d’appoint. Tous les gouvernements formés par Helmut Kohl entre 1982 et 1998 l’ont été avec le parti libéral FDP et sous l’ère Schröder de 1998 à 2005, qui a marqué par le retour du parti social-démocrate SPD au pouvoir, avec les écologistes (Die Grünen). Si Angela Merkel a pu accéder à la fonction suprême en 2005, c’est parce qu’elle était parvenue, en tant que présidente de l’Union Démocrate Chrétienne (CDU) à rajeunir cette formation née au lendemain de la seconde guerre mondiale de la volonté d’hommes et de femmes soucieux d’inventer une nouvelle forme de politique authentiquement démocratique c’est-à-dire ouverte à tous. Le miracle allemand n’a pas été dû seulement à la discipline légendaire et souvent exagérée qu’on attribue au peuple germanique, mais plutôt à cette capacité et cette volonté qu’ont nos voisins à dialoguer avec leurs opposants. C’est grâce à cette coopération avec des «ennemis» qui n’en ont jamais été, que la Chancelière restera dans l’Histoire Allemande comme une femme dont le pragmatisme a eu raison des miasmes idéologiques.

Une Chancelière populaire et déconcertante

Fédéralisme oblige, la cheffe du gouvernement a laissé aux dirigeants des länder le choix de leur politique et n’est intervenue que lorsque le moment était propice à la synthèse. Elle incarne l’unité nationale et toutes les grandes décisions qu’elle a prises, souvent déconcertantes au regard de ses homologues étrangers, l’ont été avec l’assentiment d’une majorité de la population. Ce fut le cas lors de l’arrêt du nucléaire mais aussi et surtout lors de la crise migratoire et de l’accueil massif de réfugiés. Sur ces deux dossiers sensibles, l’intendance et la logistique ont suivi et les critiques émanant des formations extrémistes et plus particulièrement de l’AfD (Alternative für Deutschland) n’ont pas eu l’effet escompté. Dans une République Fédérale où les notions de compromis et de consensus transcendent les dissensions et autorisent une gestion par le truchement d’une grande coalition, les campagnes électorales perdent leur caractère spectaculaire. Les observateurs étrangers n’ont cessé de s’interroger à savoir comment la Chancelière du puissant pays qu’est l’Allemagne avait pu se maintenir aussi longtemps au pouvoir et demeurer populaire jusqu’à l’issue de son quatrième mandat. La principale réponse se trouve dans l’équilibre au sein de ses gouvernements qui se limitent à quinze portefeuilles. Lorsqu’elle a pris le pouvoir en 2005 et décidé de s’allier au parti social démocrate, Angela Merkel a eu l’intelligence de ne pas considérer son nouvel allié comme un faire-valoir mais comme un partenaire à part entière. Sur les quinze postes ministériels attribués, il y a seize ans, huit l’ont été au SPD et non des moindres puisqu’il s’agissait des ministères du travail et des affaires sociales, des affaires étrangères, de la justice, des finances, de la santé, des transports et enfin de l’environnement et de la sécurité nucléaire.

Armin Laschet : candidat CDU à la Chancellerie

S’allier pour mieux diriger

En 2009, lorsque le parti libéral FDP réalise la meilleur score de son histoire (14,9%), la Chancelière change de coalition et se retrouve aux côtés d’un vice-chancelier, Guido Westerwelle, qui vient de faire publiquement son coming-out pour ne plus cacher son homosexualité. Le gouvernement est alors constitué en fonction du résultat des urnes et le FDP se voit attribuer cinq ministères-clef: les affaires étrangères, la justice, l’économie, la santé et le développement économique. 2013 marquent le retour du parti social-démocrate dans un gouvernement de coalition soutenu alors par près de 80% des députés (504 sur 631). Agée de 51 ans lors de son accession à la Chancellerie, Angela Merkel n’aura de cesse de d’entourer de quinquagénaires. La moyenne d’âge des membres des sept gouvernements constitués et remaniés au cours de ses seize années au pouvoir s’est élevée entre 51 et 54 ans pour une moyenne de 52 ans et deux mois. Aucun gouvernement n’a garanti la parité hommes-femmes, les premiers ayant été représentés deux fois plus que les secondes (quarante contre vingt). La présence d’Angela Merkel à la Chancellerie a été marquée par sa fidélité à l’égard d’une dizaine de ministres qui l’ont accompagnée à divers titres en occupant des postes stratégiques. Parmi eux, Wolfgang Schäuble, passé du ministère de l’Intérieur en 2005 à celui des Finances quatre ans plus tard, un poste qu’il a quitté en octobre 2017 pour devenir président du Bundestag. Idem de la ministre de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse Ursula von der Leyen qui s’est mutée en ministre du travail puis de la défense, avant de s’asseoir à Bruxelles sur le fauteuil de présidente de la Commission Européenne. Ces deux membres éminents de la CDU (Union Chrétienne Démocrate) ont été amenés à collaborer avec des piliers du SPD, Frank-Walter Steinmeier, ministre des affaires étrangères à deux reprises en 2005 et 2013 et actuellement Président de la République, Sigmar Gabriel, ancien ministre de l’environnement puis de l’économie et président du SPD de 2009 à 2015. Le génie politique d’Angela Merkel a consisté à rendre les deux partis historiques complices de sa politique. Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, il n’y a pas eu en Allemagne de réelle opposition car le parti social-démocrate n’est jamais parvenu à hisser à sa tête une figure charismatique comparable à Willy Brandt ou Helmut Schmidt, les deux seuls porte-parole de la sociale-démocratie allemande à être restés ancrés dans la mémoire collective. De toutes les épreuves vécues par la République Fédérale, crises financière puis migratoire, changement de politique énergétique, scandale des moteurs truqués par le premier employeur du pays et enfin, naturellement, crise sanitaire, la Chancelière est sortie indemne tout en jouissant d’une popularité accrue.

Olaf Scholz, candidat SPD en tête dans les sondages mais dont la victoire n’est pas encore assurée

Personne n’est irremplaçable mais …

Lorsqu’elle a annoncé qu’elle ne souhaitait pas se porter candidate à un cinquième mandat, ce n’est pas seulement la CDU mais toutes les autres formations politiques qui ont été prises au dépourvu. Aucune ne manquait de candidats potentiels à la succession de celle qui a été assimilée une dizaine de fois par le magazine Forbes à la femme la plus puissante au monde mais aucune n’a trouvé l’oiseau rare susceptible de la remplacer. A quelques jours du renouvellement du Bundestag et de l’élection du neuvième Chancelier de la République Fédérale, personne n’ose parier sur l’un des trois candidats en lice , le social-démocrate Olaf Scholz, le chrétien-démocrate Armin Laschet et la coprésidente de l’Alliance/Les Verts, Annalena Baerbock, la plus jeune des trois qui, du haut de 41 ans, pourrait créer la surprise en talonnant les deux formations historiques. Ces trois candidats ont un point en commun en se présentant avec des programmes qu’une majorité d’Allemands ne comprend pas. Depuis 1949, c’est-à-dire depuis la création de la RFA, un groupe de chercheurs de l’Université Hohenheim (Stuttgart) examine à la loupe les programmes de tous les candidats à la Chancellerie pour leur attribuer une note de 0 (incompréhensible) à 20 (parfaitement compréhensible). Cette année aucun n’a atteint la moyenne des 10 points et tout se passe comme si le 26 septembre prochain les électeurs allaient accomplir leur devoir civique sans réellement savoir sur quelle voie ils s’engagent. Grâce aux propositions « coup de poing » qu’il propose (taxation accrue des revenus les plus élevés, augmentation des retraites et des salaires, suppression du dispositif Hartz IV, pendant allemand du RSA français et qui, à ce titre, fabrique de la précarité plutôt que de l’éradiquer), le parti de gauche du Die Linke apparaît avec une note de 8,4 points (*)comme le plus intelligible mais aussi le plus irréaliste et ce, pour la simple et unique raison que le bilan d’Angela Merkel a de quoi faire pâlir de jalousie tous ses homologues étrangers. Entre 2005 et 2020, le produit intérieur brut par habitant a augmenté de 43% et aurait pu franchir allègrement la barre des 50% si la pandémie n’avait pas causé les dommages que l’on sait. Sur cette même période merkelienne, le chômage a chuté de 44%. Au 30 juin dernier, on dénombrait en RFA 2,7 millions de demandeurs d’emploi soit 2,5 fois moins qu’en France comparativement aux populations actives des deux pays. Toutes les promesses formulées par la Chancelière ont été tenues.

Friedrich Merz, un homme qui rêve de devenir Chancelier mais ne le sera jamais

Bilan sans faute et promesses tenues

Les entreprises allemandes ont été les mieux armées en 2020 pour affronter la crise sanitaire; laquelle n’a pas provoqué l’effondrement de l’économie et le nombre de défaillances d’entreprises n’a pas été plus élevé l’an dernier qu’il ne l’avait été au cours des années précédentes. Sur le plan sécurité, la cheffe du gouvernement a été sensible aux doléances de la Bundeswehr, dont le budget a augmenté de 90% en l’espace d’une décennie et demie. En tant que vice-chancelier et ministre des finances depuis 2018, Olaf Scholz a naturellement contribué à ce bilan et il apparaît comme le candidat le plus crédible. A la fin du mois d’août, la deuxième chaîne publique ZDF a commandité une enquête d’opinion qui révèle que le candidat du SPD arrive largement en tête dans les intentions de vote. 35% des personnes interrogées estiment qu’il est le plus crédible, 33% le plus sympathique, 43% le plus compétent et 30% le mieux préparé aux enjeux du futur. Sur ces quatre critères, il écrase son concurrent de la CDU qui ne recueille respectivement que 8, 9, 11 et 10% d’avis favorables. N’ayant jamais été ministre à l’échelon fédéral, Armin Laschet ne peut se prévaloir que de ses expériences au niveau régional en tant qu’ancien président de Rhénanie-du Nord Westphalie, un land qui non seulement souffre du vieillissement de sa population mais doit s’adapter à la lutte contre le réchauffement climatique et à la reconversion de son tissu industriel. Lors des récentes inondations qui ont ravagé sa région, Laschet en a sous-estimé publiquement les effets ce qui l’a fait chuté dans les sondages au profit d’Olaf Scholz. Face à cette dégringolade dans les sondages, le candidat CDU le plus solidaire d’Angela Merkel lors de la crise migratoire au point de se voir attribué le sobriquet d’Armin le Turc, a constitué en urgence un «Zukunftsteam» (Une équipe pour le futur) qui a été très vite assimilée par les observateurs comme une «brigade de la dernière chance». Dans ce groupe de huit membres (quatre femmes et quatre hommes), une personne se détache, en l’occurrence Friedrich Merz, un baron de la CDU qui a rêvé à plusieurs reprises de prendre la présidence du parti mais n’y est jamais parvenu à cause de ses positions souvent plus proches de l’extrême-droite que de la droite traditionnelle. Merz n’a jamais fait l’unanimité au sein de sa famille politique. Il est admiré de quelques uns qui voient en lui un homme d’affaires redoutable et un financier avisé ayant toujours su trouver sa place dans les conseils d’administration ou de surveillance des groupes valsant avec les milliards, à l’instar de HSBS ou Black Rock.

Tête de Turc et faire-valoir

Il est clair comme de l’eau de roche, que Friedrich Merz fait de l’ombre aux sept autres membres de cette équipe de choc qui ne sont ni plus ni moins que des faire-valoir destinés à prouver que la CDU est armée pour affronter l’avenir. Armin Laschet ne tarit pas d’éloges sur son «ami» Friedrich, lequel se verrait bien à la tête d’un super-ministère de l’économie ou des finances. Mais il semble d’ores et déjà évident que l’initiative d’Armin Laschet n’a pas eu l’effet escompté car la majorité des enquêtes d’opinion donne toujours un léger avantage au parti social-démocrate incarné par un homme qui à l’instar de la Chancelière est réputé pour son pragmatisme et son attirance pour toute forme de dialogue constructif. S’il est nommé Chancelier, Olaf Scholz ne formera pas un gouvernement sans tenir compte du résultat des urnes. A l’instar de ses huit prédécesseurs, son parti ne pourra gouverner seul. Il n’est pas inutile de rappeler que les portes des deux premiers gouvernements formés par le premier Chancelier, Konrad Adenauer, avaient été ouvertes à quatre et cinq formations politiques. Ne serait-ce pas une victoire de la démocratie qu’il en soit de même lors d’une crise sanitaire inédite dont personne ne connaît l’épilogue ? vjp

(*) Le programme le plus flou et le moins compréhensible est celui des Verts (5,6 points), suivi de celui du parti d’extrême-droite AfD (6,8 points), du parti libéral FDP (6,9 points), de la CDU-CSU (7,7 points) et du SPD (8 points).

 

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