La Bulgarie toujours en quête de démocratie réelle

Bulgarie/UE – La Bulgarie souffre d’une maladie chronique, en l’occurrence la défiance de la population à l’égard de la politique ou plus exactement de ses représentants. Trente ans après la désagrégation de l’Union Soviétique et quatorze ans après son intégration dans l’Union Européenne, le pays reste le plus pauvre de la communauté en terme de produit intérieur brut pas habitant et de fait s’est avéré le plus fragile lors de la crise sanitaire. Il affiche un des taux de vaccination les plus bas de l’UE (à peine 20%). La pandémie a frappé prioritairement les Roms, une communauté qui est toujours méprisée et rejetée par la majorité de la population, dont les membres vivent à proximité les uns des autres, se marient dès le plus jeune âge et sont souvent porteurs de maladies chroniques, autant de facteurs qui sont peu propices à l’éradication d’une pandémie et nourrit préjugés et stéréotypes.  Le coronavirus a naturellement accentué les tensions mais il n’est pas le seul responsable du climat délétère qui s’est instauré dans le pays à partir de 2014, année au cours de laquelle le Parti Socialiste Bulgare porté par le candidat pro-russe Rumen Radov a fait une entrée remarquée au Parlement en ravissant trente neuf sièges. Paradoxalement, les deux événements majeurs mentionnés ci-avant en suscitant un appel d’air démocratique ont embrumé le paysage politique. Alors qu’ils s’étaient habitués à une coalition gouvernementale unissant le GERB («Citoyens pour un développement européen») et le parti réformateur-conservateur RB, les Bulgares ont assisté à la naissance et à l’ascension d’autres formations qui, à l’instar de «Bulgarie Démocratique» ou «Debout, Bulgarie! Nous arrivons! » sont venues brouiller les cartes et semer le trouble. En 2016, prenant conscience que la coalition gouvernementale n’est plus majoritaire, le 1er ministre en fonction, Boïko Borissov (photo ci-dessus), envisage de démissionner, une décision qu’il ne prend pas, car des élections anticipées au Parlement permettent à son parti, le GERB, de s’accaparer plus de 32% des suffrages, loin devant le parti socialiste (27%) et les nationalistes (9%). Le 4 mai 2017, B.Borissov retrouve pour la quatrième  fois son fauteuil de chef du gouvernement, un poste qu’il a déjà occupé entre 2009 et 2013 puis à deux reprises entre 2014 et 2021. Parmi les quatorze 1er Ministres nommés au cours des trois dernières décennies, Borissov est le seul à avoir pu tenir la barre du navire bulgare plus de trois années consécutives. Cela ne suffit néanmoins pas à ce pompier professionnel, ancien garde du corps et accessoirement ceinture noire de karaté très populaire auprès du «petit» peuple avec lequel il tient le même langage en utilisant le même vocabulaire, pour cimenter une population qui préfère fuir les urnes plutôt que de s’engager sur une nouvelle voie dont elle ignore quelle en sera l’issue. Lors des dernières élections législatives, le 4 avril dernier, son parti GERB est certes arrivé en tête avec 25% des voix, un pourcentage qui compte tenu d’un taux d’abstentions de 51%, ne suscite guère l’enthousiasme et n’assure pas une réelle légitimité. Borissov s’attendait à tout sauf à ce qu’un chanteur, producteur et animateur de télévision, Slavi Trifonov, vienne s’immiscer dans la campagne après avoir créé un parti aussi atypique que lui, ITN, abréviation de «Il y a un tel peuple», une formule à l’emporte-pièce qui pourrait se résumer en seul mot, le «dégagisme».

Populisme ou épuration ?

Les deux visages …
d’un candidat insolite à la tête d’une formation qu’il a lui-même créée sans s’imaginer qu’elle allait bouleverser la scène politique bulgare. Difficile de trouver personnage plus atypique que Slavi Trifonov. A l’instar du Président ukrainien, Volodimyr Zelenski, il est devenu célèbre pour ses prestations sur scène et sur les plateaux de télévision mais contrairement à Zelenski, il n’a aucune intention de gouverner.

En mobilisant 17% de l’électorat, Trifonov a brouillé toutes les cartes du jeu politique, poussé Borissov à la démission et provoqué de nouvelles élections qui ont eu lieu le 11 juillet dernier. Ces dernières, organisées en toute hâte, ont confirmé la lassitude des électeurs (42% de participation) et le goût pour l’aventure de l’électorat, lequel a hissé l’ITN à la première place avec un score (24,1%) légèrement supérieur à celui du GERB (23,5%). Cette avance d’à peine 16.000 voix (15.662) sur son concurrent Borissov, Slavi Trifonov la doit essentiellement aux résultats dans le district de Pleven, ville où il est né il y a 55 ans et au vote des ressortissants bulgares à l’étranger. Sur ces deux pôles électoraux, il a été plébiscité par plus de 35% des électeurs; lesquels semblent s’être identifiés à cet homme qui s’est exprimé sur la scène politique comme sur la scène tout court c’est-à-dire sans langue de bois et sans fausses promesses. «La Bulgarie est devenue une République de premiers ministres et ces dernières années , le Parlement a été écrasé, marginalisé et humilié» déclare-t-il mais, lucide, reconnaît qu’il est un homme sans expérience politique et, de fait le moins bien placé pour devenir chef du gouvernement. Que veut-il en réalité ? Tout simplement, mettre son potentiel électoral et les sièges de son parti au Parlement au service d’un gouvernement d’experts qu’il entend proposer. S’il parvient à ses fins, il fera alors de la Bulgarie le seul pays de l’Union Européenne à être dirigé par une équipe de personnes qui, toutes parleront une ou plusieurs langues étrangères et seront diplômées d’Universités Internationales. Slavi Trifonov ne veut pas entendre parler de gouvernements de coalition qui laisseraient le porte ouverte à de mauvais compromis, à des concessions douteuses mais aussi à la corruption qui sévit toujours dans une République et appauvrit une majorité de la population. Aussi novateur et ambitieux soit-il, le projet de Slavi Trifonov a toutefois peu de chance d’aboutir car il lui sera difficile avec 65 députés sur 240 (27%) de faire adopter les lois nécessaires au renouveau qu’attendent les Bulgares de leurs dirigeants. Depuis près d’un siècle, la Bulgarie a le triste privilège d’être un des pays européens le plus difficile à gérer. Qu’elle ait à la tête de son gouvernement des socialistes, des conservateurs, des libéraux voire entre 2001 et 2005 un roi sans couronne, Simeon II, cette République n’est comparable à aucune autre. Pendant des décennies, ses frontières ont été fragiles et ses relations avec ses voisins serbe, turc, grec et macédonien souvent tendues. A bien y réfléchir, les tensions que décrivait Albert Londres dans «Les Comitadjis», un ouvrage de synthèse des dix-neuf reportages qu’il avait effectués en 1931 (*) dans la République des Balkans, est toujours d’actualité. Il n’est plus question, aujourd’hui,  de conflits entre terroristes et contre-terroristes mais l’esprit de clans n’a pas disparu. Entre les deux conflits mondiaux, la Bulgarie était l’épicentre d’une guerre civile permanente entre communistes, révolutionnaires et ligues fascistes et de ce passé elle a hérité un goût prononcé pour la division. Lors des dernières élections les 6,5 millions d’électeurs ont eu le choix entre plus de vingt formations représentant autant de lobbies. Bon nombre d’observateurs se sont imaginés, naïvement, qu’en intégrant l’Union Européenne le pays allait se réformer en profondeur. Mais il semblerait que la majorité des Bulgares soit aussi sceptique à l’égard de Bruxelles que de Sofia. En 2019, lors des élections européennes, à peine le tiers des inscrits (32,5%) s’est rendu aux urnes. kr

(*) Cet ouvrage est le dernier publié par Albert Londres, disparu en 1932 dans des conditions mystérieuses lors du naufrage du paquebot Georges-Philipar. L’écrivain, journaliste et grand reporter décrit dans «Les Comitadjis», le rôle qu’ont joué les membres de l’organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (Orim) et de son leader Ivan Mikaïloff dans la gestion très chaotique de la Bulgarie dans l’entre deux-guerres due à des conflits permanents entre clans et factions. L’effondrement du communisme puis l’intégration dans l’Union Européenne n’ont pas apporté de réponses claires aux questions maudites qui se posent toujours dans ce pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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