La Roumanie toujours rongée par la corruption

Roumanie/UE – Sorina Pintea n’est pas restée très longtemps à la tête du ministère de la santé roumain, à peine deux ans entre janvier 2018 et novembre 2019, mais cette durée lui a suffi pour s’enrichir sur le dos de ses compatriotes. Après des mois de procédures, elle vient d’être condamnée à trois ans et demi de prison ferme par le tribunal de Bucarest pour « corruption continue » conformément à l’article 396 du Code Pénal.

Sorina Pintea, ancienne ministre de la santé a fait appel de la décision lui infligeant plusieurs années d’emprisonnement.

Parallèlement, elle se voit interdire, à titre de peine complémentaire et en vertu de l’article 67 du même code, l’exercice du droit d’être élue dans quelqu’autorité publique que ce soit mais aussi dans toute fonction de direction d’un organisme ou établissement financé ou contrôlé par l’Etat. De fait, Sorina Pintea ne devrait plus pouvoir occuper le poste de directrice d’hôpital, un métier qu’elle a exercé à l’hôpital de Baia Mare, ville où elle a vu le jour en 1965, avant et après son passage au ministère de la Santé. Et c’est au demeurant lors de travaux d’aménagement effectués dans ce centre hospitalier que l’ancienne ministre a empoché deux enveloppes, la première en décembre 2019 d’un montant de 10.000 euros et la seconde le 28 février 2020 de 120.000 lei, soit plus de 24.000 euros. En bonne gestionnaire de ces fonds frauduleux, elle était partie sur la base d’une commission de 7% sur l’ensemble des travaux d’aménagement d’un bloc opératoire spécialisé dans la chirurgie cardiovasculaire et thoracique, intégré dans le service d’urgence. C’est lors du versement du second pot-de-vin qu’elle a été prise la main dans le sac par des enquêteurs de la DNA, l’agence spécialisée dans la lutte contre la corruption. Les procureurs ont alors pris l’initiative de saisir immédiatement deux appartements lui appartiennent dont on saura peut-être un jour si elle les a acquis grâce à son travail ou à ses relations douteuses. Le 29 février 2020, soit le lendemain de la perquisition, l’ancienne ministre fut placée en détention provisoire mais à peine une semaine plus tard, elle fut libérée sous contrôle judiciaire, ses avocats ayant invoqué un état de santé incompatible avec sa détention. Selon eux, Sorina Pintea souffrirait d’une maladie auto-immune, une dermatomyosite qui nécessite un traitement sous cortisone et immunoglobulines. Pour étayer cette argumentation, leur cliente avait demandé à plusieurs reprises de séjourner à l’hôpital plutôt que d’être rapatriée chez elle.

Laura Kövesi a été destituée de ses fonctions pour avoir dénoncé les agissements des puissants du pays. Elle est actuellement à la tête du Parquet Européen.

Des enquêteurs sous pression

La DNA a beau être opérationnelle depuis près de vingt ans, elle n’est toujours pas parvenue à éradiquer ce fléau qu’est la corruption, à tel point qu’on est en droit de se demander si elle y parviendra un jour. On ne peut pas reprocher à cet organisme d’être resté inactif mais il est face à un mal tellement chronique et généralisé qu’il en devient impuissant. Pire, la corruption redouble d’ampleur lorsque l’occasion lui en est donnée, comme ce fut le cas lors de la pandémie dont le bilan ne s’est pas limité au nombre de victimes mais à celui des malversations constatées. C’est ainsi que le bilan 2022 affiche un montant global des dommages causés par les affaires dévoilées à plus de 4,2 milliards d’euros, soit 2,5 fois plus qu’en 2021. En 2022, 779 prévenus se sont retrouvés devant les tribunaux dont deux ministres, quatre parlementaires et un préfet, mais seuls 11% ont été blanchis. Les 89% restants ayant été condamnés à des peines de prison ferme ou avec sursis, ou à des amendes. Mais, il apparaît de plus en plus évident que ces peines ne sont pas suffisamment lourdes pour s’avérer rédhibitoires. Malgré ces performances pour le moins éloquentes, les peines infligées ne découragent pas les corrompus et corrupteurs de poursuivre leurs agissements.

Sorin Oprescu, 73 ans, Sénateur social-démocrate de 2000 à 2008 puis maire de Bucarest de 2008 à 2015, a écopé d’une peine de prison de dix ans et huit mois pour avoir créer un vaste réseaux de fonctionnaires de l’administration de la capitale, lesquels étaient chargés de négocier des commissions occultes sur les marchés publics dont 10% étaient censés atterrir dans les poches du premier magistrat. Pour échapper à sa peine Oprescu s’est enfui en Grèce.
V.Ponta, 52 ans, ancien 1er ministre est à lui seul l’incarnation du mal endémique roumain qu’est la corruption. Il a été impliqué dans une multitude d’affaires louches allant du blanchiment d’argent aux conflits d’intérêts en passant par l’aide aux évadés fiscaux.

Dans l’ombre de Ceaucescu

La Roumanie se distingue des autres Républiques du centre de l’Europe par une libéralisation du joug soviétique incarnée par le dictateur Nicolae Ceauscescu, qui s’est avérée pour le moins chaotique. Une véritable « épuration » n’ayant pas eu lieu, les sbires actifs ou passifs de l’ancien dictateur ont trouvé une échappatoire et tenté de faire oublier leur passé en créant des partis qui ne sont parvenus à s’imposer dans le paysage politique et gouverner qu’en nouant des alliances. Depuis 1990, les cinq présidents de la République qui se sont succédé à ce poste et représentant les couleurs d’autant de formations politiques , ont été amenés à nommer vingt-six premiers ministres dont sept par intérim. Tous ou presque ont mis a profit leur fonction pour constituer des gouvernements pléthoriques. A cet égard, le plus prolifique a été Viktor Ponta qui a formé entre 2012 et 2015 pas moins de quatre gouvernements qui ont abouti à la nomination de 55 ministres au total issus de sept partis, le Parti Social-Démocrate (PSD) auquel il appartient, l’Union Sociale Libérale (USL), le Parti National Libéral (PNL), le parti conservateur (PC), l’Union Démocrate Magyare de Roumanie (UDMR), l’Union Nationale pour le Progrès de Roumanie (UNPR) et l’Alliance des Libéraux et Démocrates (ALDE), une jeune formation créée en 2015 qui n’est jamais parvenue à s’imposer dans le paysage politique et a été dissoute en 2022. Pour ne pas froisser les susceptibilités des leaders de formations indispensables à la gouvernance, le chef de gouvernement s’entoure alors de vice-premiers ministres qui utilisent généralement cette fonction non pas par vocation mais comme tremplin à leur propre carrière. C’est ainsi qu’en 2014, Viktor Ponta a dirigé le pays sur les mois de mars à décembre avec quatre premiers ministres adjoints, Liviu Dragnea, comme lui membre du PSD, Gabriel Oprea (UNPR), Daniel Constantin (PC) et Hunor Kelemen (UDMR). Bien que de nombreux ministres ou ministres-délégués n’exercent leur fonction que sur une courte période, ils ont cependant le temps nécessaire pour « placer » des amis ou membres de leur entourage à des postes clefs. Ce phénomène domino permet d’établir le profil des femmes et hommes politiques corrompu(e)s déjà décrit en 2010 par Daniel Morar, le prédécesseur de Laure Köwesi, à la tête de la DNA. A la fin de sa mission, il constatait que parmi les coupables de délits de corruption, « les ministres et secrétaires d’Etat abusent pour la plupart des fonds européens, les parlementaires font pression sur diverses autorités pour résoudre leurs propres problèmes tandis que les autorités locales, les maires et les préfets aiment simuler des appels d’offres afin de transférer les marchés publics à des entreprises de leur choix qu’ils rançonnent ». Mais pour revenir à Sorina Pintea qui s’inscrit dans cette logique, elle fait figure, avec ses quelque dizaines de milliers d’euros de pots-de-vin, d’enfant de choeur. Un de ses collègues en charge de l’agriculture et deux en charge des finances auraient pu en effet lui prodiguer quelques cours magistraux en matière de malversations.

Darius Valcov, ministre social-démocrate des finances pendant seulement quatre mois de décembre 2014 à mars 2015. Une période qui lui a suffi pour abuser de ses pouvoirs. 
Sebastian Vladescu: à l’instar d’Oprescu il a tenté d’échapper à sa condamnation en fuyant en Italie mais il a été extradé en 2023 pour purger sa peine en Roumanie.

Des tableaux de Renoir dans une crypte !

Le premier s’appelle Ioan Avram Murseam, il a été ministre de l’agriculture et reconnu coupable d’avoir détourné un prêt de l’agence américaine pour le développement international (USAID) d’un montant de 1,2 million de dollars. Il a été par ailleurs accusé d’avoir fourni illégalement 5.000 tonnes d’huile alimentaire provenant des réserves de l’Etat au profit d’une entreprise privée implantée à Constanta. Lorsque ces scandales ont été mis à jour, en 2003, la DNA n’était pas autorisée à engager des procédures à l’encontre des ministres et des parlementaires,  membres du gouvernement et du Parlement, y compris contre les anciens membres de ces deux institutions, ce qui explique en partie la propension des chefs de gouvernement à s’entourer d’un nombre pléthorique de ministres. Il a été mis fin par une loi à cette immunité en 2008, ce qui n’a pas pourtant découragé les plus corrompus des corrompus, à l’instar de l’ancien ministre des finances, Darius Valcov, ex-sénateur et ex- maire de la ville industrielle de Slatina (70.000 habitants), trois fonctions qui lui ont permis de détourner des millions d’euros. Lors d’une perquisition en 2015, les agents de la DNA ont découverts plusieurs millions d’euros sous forme de billets ou de lingots d’or mais aussi, ce qui n’a pas manqué de les surprendre , un nombre considérable de tableaux, signés notamment par Auguste Renoir ou Jean Cocteau. Cette collection avait été cachée en plusieurs lieux dont des cryptes. Parmi les autres plus grands corrompus du pays, il faut également citer l’ex-ministre des finances Sebastian Vladescu qui a encaissé plus de deux millions d’euros en provenance d’un consortium d’entreprises chargé des travaux de rénovation de la ligne ferroviaire Bucarest-Constanta. Après enquête, la DNA a constaté que ce pot-de-vin avait transité par des sociétés offshore implantées dans des paradis fiscaux. Valcov et Valdescu ont été respectivement condamnés à six et sept et demi de prison Le premier a tenté d’échapper à la justice en s’installant en Italie d’où il a été extradé en août 2023. Il ne se passe de semaines sans que des actes de délinquance financière impliquant des personnalités politiques peu scrupuleuses ne soient dévoilés. Se produiraient-ils dans d’autres pays d’Europe Centrale, à l’instar de la Pologne ou de la Hongrie, ils seraient alors vivement dénoncés à Bruxelles et à Strasbourg mais singulièrement lorsqu’il s’agit de la Roumanie tout le monde ou presque ferme les yeux alors que la corruption est le délit le plus à même de mettre en danger l’Etat de droit. A quelques jours de l’élection des députés au Parlement Européen, les électeurs devraient savoir qu’une partie de leur contribution destinée à bon fonctionnement de la démocratie part dans les poches de politiciens véreux et sans scrupule.

Les institutions européennes : déficientes ou complices ?

Les fraudeurs et corrompus roumains semblent partir du principe que quitte à prendre des risques, il est préférable de le faire à grande échelle. C’est au demeurant ce que révèle le bilan 2023 du parquet européen présenté par sa directrice Laura Kövesi qui n’a pas été surprise de voir son pays arriver en tête de ce classement peu élogieux des pays s’inscrivant parmi les plus corrompus. Le parquet européen a en effet ouvert 215 dossiers de fraudes avec des fonds européens en Roumanie qui ont représenté des dommages à hauteur de 1,87 milliards, soit quelque 8,7 millions (!) en moyenne par fraude. Au total, 260 procédures seraient actuellement en cours représentant un préjudice de deux milliards d’euros. Selon les procureurs de l’Union Européenne, seules sept et vingt-neuf personnes ont été respectivement condamnées et inculpées et dans sept procès les procédures dite « simplifiées » ont permis d’obtenir des aveux. Par ordre d’importance, les cas de fraudes concernent les fonds destinés au développement régional, les fonds à l’agriculture suivis des fonds du plan de reconstruction et de résilience. Bien que ce volume de fraudes soit astronomique, Laura Kövesi est persuadée qu’il ne reflète pas la réalité car son pays n’a signalé l’an dernier au Parquet Européen que quatre cas de fraude à la TVA et un seul (!) à la fraude douanière. Ce même Parquet planche depuis plusieurs semaines sur une affaire ultra-sensible, en l’occurrence un appel d’offres prétendument fictif pour l’achat de véhicules BMW destinés à la police. Dans cette affaire, la DNA avait mis fin à l’enquête. Pour quelle raison ? Les Roumains ne l’ont jamais su mais le pire provient du fait qu’ils n’ont jamais réellement cherché à le savoir, comme si la corruption était un mal acquis. Il n’en demeure pas moins, qu’on a du mal comprendre comment de tels abus liés à des préjudices aussi élevés puissent échapper à la vigilance des milliers d’agents des institutions européennes. vjp

Cet article est une synthèse des informations publiées par l’Allgemeine Deutsche Zeitung (ADZ), support indépendant avec lequel notre site collabore depuis sa création en 2015. pg5i.eu fait partie des rares médias qui traitent des faits de corruption en Roumanie et qui en disent long sur l’incapacité des institutions européennes à éradiquer ce fléau qui interdit à ce pays et à ses habitants de trouver la place qu’ils méritent au sein de l’Union. (Nombre de mots : 2.116)

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