Allemagne/Pologne – Après plusieurs années de procédure, le tribunal de grande instance d’Itzehoe, situé dans le land du Schleswig-Holstein, a décidé hier du sort d’Irmgard F., une femme de 97 ans accusée de complicité dans la disparition de plus de 10.000 détenu(e)s dans le camp de concentration de Stutthof, un des premiers à avoir été construit en Pologne et réservé, au départ, à la détention de Polonais réfractaires au régime national-socialiste.
Parce qu’Irmgard F. n’était âgée que de 18 ans au moment des faits, c’est la cour pénale réservée aux mineurs qui a été amené à prononcer un jugement, épilogue de quatre années de procédure. Il lui est reproché d’avoir travaillé, entre 1943 et 1945, en tant que secrétaire des commandants du camp, un « poste-clef » qui a contribué à la condamnation à mort de 10.000 personnes, un nombre sous-estimé si on le compare aux 65.000 détenu(e)s qui, selon les chiffres officiels, également contestables, ont perdu la vie à Stutthof. Ce procès est avant tout symbolique et il est destiné à prouver que l’Allemagne accomplit son devoir de mémoire face à l’époque la plus ténébreuse de son histoire. Compte tenu de l’âge très avancée de l’accusée, le parquet a requis une peine pour mineurs de deux ans de prison avec sursis. Résidente dans un établissement pour personnes âgées, Irmgard F. semble être tout sauf sénile car dès qu’elle apprit l’existence d’un procédure à son encontre, elle tenta de se soustraire à la justice en s’échappant en taxi de sa résidence. Son avocat a demandé l’acquittement car, selon lui, il n’a pas pu être prouvé avec certitude qu’elle était au courant des tueries systématiques dans le camp. Un argument qui est pour le moins difficile à avaler pour une personne qui a été chargée pendant trois années consécutives d’enregistrer le nombre d’entrées dans le camp. Il est toujours avancé, lorsqu’il est question de juger des subalternes, qu’ils ont forcés d’agir sous la pression de leurs supérieurs. Or, il s’avère, comme l’histoire et les rescapés en ont témoigné, que ces sous-fifres zélé(e)s étaient avant tout réputé(e)es pour leur perversité, leur sadisme et leur cruauté. La plupart d’entre eux ou d’entre elles ont longtemps échappé à la justice et il a fallu attendre des décennies pour que leurs agissements soient enfin mis à jour et sanctionnés. Le procès d’Irmgard F. a lieu douze ans après celui, très médiatisé, de John Demjanjuk, ancien gardien du camp de Treblinka où plus de 750.000 personnes ont été exterminées, puis celui de Sobibor. Dans ce second camp de concentration, situé à l’est de la Pologne et jouxtant la frontière biélorusse, de 200.000 à 250.000 détenus, majoritairement juifs ont perdu la vie. De nationalité ukrainienne, Demjanjuk, surnommé « Ivan le Terrible » est parvenu après la guerre à échapper à la justice jusqu’en 1988, année au cours de laquelle il fut condamné à mort par un tribunal israélien. Une peine à laquelle il échappa grâce au KGB qui prétendit alors que « Ivan le terrible » n’était pas Demjanjuk (*) mais un certain Marchenko, dont les traces sont été perdues. Le procès d’Irmgard F. est probablement le dernier des dossiers sur lequel la justice allemande aura été amené à se pencher. Il est à la fois louable et malsain. Louable parce qu’il prouve que l’histoire finit toujours par faire son travail, malsain parce qu’il permet d’occulter des milliers d’autres procès qui n’ont jamais eu lieu, ce qui a permis à autant de bourreaux de 3ième Reich de vivre paisiblement jusqu’à la fin de leurs jours.
(*) Haut en couleurs très sombres, Demjanjuk est le sujet d’une série documentaire en cinq épisodes produite par Netflix et intitulée « Procès d’un bourreau : un nazi rattrapé par l’histoire ».