Nouvelle vague de dissidents sur You Tube

Russie – Les quatre prédécesseurs de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du Comité Central de Parti Communiste soviétique, Nikolaï Podgorny, Leonid Brejnev, Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko, doivent se retourner dans leur tombe et s’interroger à savoir, comment de jeunes Russes peuvent aujourd’hui remettre en cause les fondements d’une dictature « douce » née de la guerre froide. On ose imaginer la force de frappe qu’aurait eue « L’archipel du goulag », si Alexandre Soljenitsyne avait disposé d’un outil comparable à You Tube. Face ce concert permanent de critiques et de préjugés proférés à l’encontre de la Russie, déploiement de propagande  qui contribue à assimiler toutes les populations de cette fédération à leurs dirigeants, il est rassurant ou plus exactement réjouissant de constater que sous ce régime autoritaire qu’est celui instauré par Vladimir Poutine, une nouvelle forme de dissidence est possible. Les nouveaux rebelles russes contrairement à leurs aînés tchécoslovaques, polonais, roumains , hongrois, etc. ont la possibilité, grâce aux réseaux sociaux, de diffuser leurs messages non pas de manière confidentielle mais auprès de millions d’Internautes et il en est certains qui ne s’en privent pas, allant même jusqu’à accomplir un travail dans les coins les plus reculés de la fédération  et de ses vingt-et-une Républiques, autonomes sur le papier mais par toujours dans la réalité. L’hebdomadaire Moskauer Deutsche Zeitung (MDZ), partenaire de notre site, a dressé récemment le portrait de trois d’entre eux,  dont les programmes proposés et réactualisés sur You Tube, sont regardés par plusieurs millions d’Internautes. Etant donné que tous trois contribuent à faire connaître ce qui se passe réellement dans cette Russie tant décriée, nous avons jugé  utile de les faire découvrir dans les pays de langue française. Une façon à nous de mettre fin aux clichés et stéréotypes dont sont toujours victimes les citoyens de la Fédération de Russie dont beaucoup reprochent toujours à Mikhaïl Gorbatchev d’avoir démantelé l’Union Soviétique mais dont un nombre croissant estime que des relations cordiales avec l’occident, empreintes de compréhension mutuelle, sont possibles.

Il faut espérer que ces personnes qui se révoltent par la pensée et non pas les armes soient suffisamment épaulées et soutenues à l’international pour qu’ils puissent trouver, chez eux, la place qu’ils méritent. Pour notre site et notre Association pour un Dialogue Est-Ouest Culturel, Social et Economique (ADEOCSE) , ces trois représentants d’une nouvelle société russe  ne sont pas seulement des sources d’information mais plutôt d’inspiration. Ils apportent la preuve que, même les situations les plus difficiles à l’instar de celles vécues  en France par l’auteur de cet article et ses amis lorsque l’idée « saugrenue » leur est venue de valoriser le potentiel des pays d’Europe Centrale et Orientale (1), il est possible de se faire entendre et lire pour bâtir un monde plus juste et égalitaire. Nous tenons à les présenter dans l’ordre alphabétique.

Il s’appelle Iouri Jud, est né à Potsdam en Allemagne il y a 34 ans et a lancé sa chaîne You Tube, WDud,  en 2017 après avoir fait ses armes en tant que rédacteur sportif. Avenant et curieux de tout, il s’est mis à interviewer artistes, femmes et hommes politiques et diverses personnalités. Aussitôt, son style intrépide et sa façon de poser des questions percutantes séduisent les interviewés qui, aussitôt, se sentent à l’aise. Il n’hésite pas à leur demander où et quand ils ont participé à une orgie, ce qu’ils pensent de Vladimir Poutine ou comment ils donnent un sens à leur vie . Avec ce genre de questions, le bouche à oreille aidant, Iouri Dud, est très vite devenu le blogueur le plus connu de Russie avec quelque 8,2 millions d’abonnés. Mais plutôt que de se contenter de cette popularité, il a préféré la mettre au service de causes plus nobles et se pencher sur des sujets sensibles ayant trait à la politique mais aussi à l’histoire. Depuis des années, il s’interrogeait sur la manière dont les Russes géraient l’héritage du goulag. Il s’est alors plongé dans ce symbole le plus sordide mais aussi le plus controversé de l’histoire contemporaine russe et a produit un documentaire de deux heures et demie qu’il a sous-titré en anglais pour être accessibles aux publics du monde entier. Grâce à « Kolyma », Iouri Dud s’est imposé comme un observateur avisé et objectif de la nouvelle société russe. En 2019, le jeune cinéaste avait produit et réalisé un premier documentaire d’environ trois heures sur l’attaque terroriste de Beslan, diffusé à l’occasion du 15ième anniversaire de ce massacre qui avait causé la mort de 336 civils dont 186 enfants.

Il s’appelle Alexeï Piwowarow et a participé, dès l’âge de 14 ans, à un programme pour enfants à la radio soviétique. Jeune adulte, il intègre la chaîne de télévision NTW et dans les années 1990 marquées par la libéralisation des Républiques soviétiques, il  rejoint l’équipe rédactionnelle de la station indépendante RTVi. Ayant vécu sur le terrain l’évolution de la Russie et des Etats de la Fédération, il a jugé utile de créer l’an dernier sur You Tube la chaîne Redakzija, dont l’objectif est de diffuser des enquêtes dans un  style cinématographique sur des sujets sensibles, politiques et sociétaux. Pour couper court à  toute polémique, Alexeï Piwowarow  s’abstient de tout commentaire, partant d’un principe, occulté par la plupart des médias, que les spectateurs sont suffisamment intelligents pour se forger leur propre opinion. A la fin des génériques de chaque émission apparaît sur l’écran « Tirez vous-même les conclusions » et c’est sans doute en responsabilisant de la sorte ses abonnés qu’il en acquiert chaque jour davantage. Redakzija, dont le nombre de fidèles dépasse les 1,6 million,  traite de sujets d’actualités à l’instar de la guerre dans le Haut-Karabagh mais se distingue en prenant du recul par rapport à certains événements qui présentent le risque de tomber dans les oubliettes. La chaîne YouTube est ainsi revenue récemment sur la chasse à l’homme du tueur en série Mikhaïl Popkov, dont on ignore avec précision le nombre de crimes qu’il a perpétrés (2) et sur la dissimulation de la catastrophe écologique au large de Kamchatka.

Il s’appelle Ilja Warlowow, est âgé de 36 ans, porte une double casquette professionnelle en tant qu’urbaniste et informaticien et a décidé de fonder sa propre chaîne éponyme pour lutter à sa façon contre les rumeurs et la propagande. Une stratégie éditoriale qui contribue à ce que les deux émissions  phare de « Warlowow », « Ce qui nous échappe ! » et « Fake News » soient visionnées chaque semaine  par  1,9 million d’abonnés. Avant sa percée sur le Net,  Ilja Warlowow avait déjà acquis une réputation de photographe pour ses clichés témoignant des manifestations de l’opposition russe . Il a suivi de près les protestations en Biélorussie et voulu en savoir davantage sur les opposants à la vaccination contre le covid 19 . A l’opposé d’Alexej Piwowarow, Warlowow ne revendique aucune objectivité. En tant qu’opposant fortuné et curieux de tout, il a les moyens de ses ambitions et se caractérise comme  un « globe-trotter agité »  et pacifiquement agitateur. Non dénué d’humour , il monte lui-même ses vidéos et il n’hésite pas à montrer une personnalité russe parlant de la crise sanitaire avec des palmiers africains en arrière- plan ! Warlowow a le génie de savoir aborder tous les sujets, l’architecture et l’urbanisme naturellement, mais aussi l’économie, le monde de la finance, la culture, la religion, etc.  Il contribue ainsi à vulgariser des thèmes qui échappent généralement au grand public. (Source : mdz / Birger Schütz – Adaptation en français : pg5i / vjp) – Nombre de mots 1.450

(1) Le lancement de www.pg5i.eu puis de l’association ADEOCSE est loin d’avoir été de tout repos pour leurs deux fondateurs et leurs amis. Il semblerait qu’en souhaitant valoriser le potentiel des dix Républiques ayant intégré l’Union Européenne en 2005 et 2007, ils se soient faits davantage d’ennemis que d’alliés. Les problèmes administratifs qu’ils ont rencontrés ont pris une telle dimension qu’ils ont atterri au Conseil d’Etat pour revenir au Tribunal Administratif de Lyon. Etant donné qu’ils sont toujours entre les mains de la justice, notre site, s’abstient de les commenter. Néanmoins, lorsqu’ils auront trouvé leur épilogue, ils feront l’objet d’un essai qui en dira long sur les capacités de certains agents de la fonction publique à détruire les meilleures volontés, fabriquer de la violence sociale et à détourner l’esprit de la loi. A ce sujet, nos lecteurs peuvent déjà se reporter à l’article publié le 21 février dernier par le quotidien « Le Monde » et consacré à « l’enfer des contrôles diligentés par les CAF ».

(2) Mikhaïl Popkov est considéré comme le plus grand tueur en série de tous les temps. On estime à plus 80 le nombre de jeunes filles et jeunes femmes assassinées par ce policier qui usait de sa profession pour rassurer les victimes en prétendant vouloir les raccompagner chez elles en toute sécurité. A priori au dessus de tout soupçon, il a pu perpétrer ses actes en toute impunité pendant plus de 20 ans.  

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