Migration: compromis allemand en demi-teinte

Allemagne/UE – Après de longs mois de dissensions, le gouvernement fédéral et les lands sont parvenus à un consensus lors d’un sommet qui a eu lieu en début de semaine. Cette rencontre, souhaitée par le Chancelier Olaf Scholz en personne, avait pour objectif de clarifier le dossier ultrasensible qu’est celui de l’immigration.

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Il faut préciser qu’au cours des neuf premiers mois de l’année en cours, 233.744 premières demandes d’asile ont été déposées auprès de l’Office Fédéral de l’Immigration et des Réfugiés (OFIR), soit davantage que sur l’ensemble de l’année 2022. Jusqu’à présent, ces citoyens étrangers étaient répartis sur le territoire sans que les lands et les communes n’aient leur mot à dire, alors qu’ils et elles se retrouvent en première ligne pour les intégrer, leur garantir un toit, les nourrir, les former et leur assurer un minimum de ressources dont ils ont besoin pour s’habiller et se déplacer. Pour de nombreuses municipalités, placées devant le fait accompli, cette situation devenait intenable, d’autant qu’à l’afflux « traditionnel » de migrants originaires des Proche et Moyen Orient et d’Afghanistan, est venu se greffer celui d’Ukraine; lequel fait l’objet d’un traitement spécifique dans le sens où les ressortissants en provenance de ce pays sont épargnées par les réglementations en vigueur encadrant l’immigration.

Une bouffée d’oxygène à plusieurs milliards d’euros

Le Chancelier a annoncé que l’Etat versera un forfait annuel de 7.500 euro par personne déposant une demande d’asile pour la première fois. Ce montant a été fixé sur la base du nombre d’arrivées enregistrées cette année et il devrait permettre aux lands et à leurs collectivités territoriales d’engranger globalement 3,5 milliards d’euros, dont la moitié (1,75 milliard) leur sera versée, sous forme d’acompte, dans le courant du premier semestre 2024. Cette mesure était réclamée par les lands qui mettaient en avant le fait qu’ils n’ont eux-mêmes aucune influence sur le nombre de personnes arrivant en Allemagne. Les autorités fédérales et les ministres-présidents des seize lands ont constaté le nombre croissant de personnes qui fuient en direction de la République Férale considéré comme plus « social » que ses voisins européens, et sont à l’unisson pour prendre des mesures « claires et ciblées » pour lutter contre l’immigration clandestine. Ainsi, il a été décidé de maintenir les contrôles aux frontières avec l’Autriche, la Suisse, la République Tchèque et la Pologne voire de les renforcer afin de lutter plus efficacement contre l »immigration irrégulière. En parallèle, le gouvernement va tout mettre en oeuvre pour accélérer les demandes asile dont les procédures devront être closes dans un délai maximum de trois à six mois en fonction du taux de reconnaissance du droit à l’asile. Cette mesure risque toutefois d’être difficile à mettre en place car le nombre de demandes  augmente de jour en jour. En 2022, la République Fédérale a accordé l’asile à plus de 250.000 personnes dont 28,6% originaires de Syrie, 15,8% d’Afghanistan, 14% de Turquie, 3,4% d’Irak et 3% d’Iran. Les quelque 35% restants, soit près de 90.000 personnes ont majoritairement fui leur pays pour des raisons qui s’inscrivent dans des conditions d’octroi au statut de réfugiés. Pour que ce dernier soit reconnu, l’OFIR est tenu de traiter toutes les demandes de manière individuelle. En 2022, les taux de reconnaissance des réfugiés syriens et afghans se sont élevés respectivement à 90,3 et 83,5%. Des pourcentages comparables ont été enregistrés pour les réfugiés en provenance d’Erythrée (84%) et de Somalie (63,7%). En revanche, les demandes émanant de pays du l’est européen reçoivent à une très forte majorité une fin de non-recevoir. C’est notamment le cas de la Géorgie. Sur les 7.187 demandes, seules vingt-huit ont abouti, soit 0,4%. Idem en ce qui concerne la Macédoine du Nord (0,3%) et la Moldavie (0,2%). Les ressortissants de ces territoires considérés comme « sûrs » n’auront de fait aucune chance de s’implanter sur le sol allemand, ce qui n’est assurément pas le meilleur moyen pour édifier une réelle Union Européenne, démocratique et solidaire,  comme en rêvaient ses fondateurs dans les années 1950.

Markus Söder, ministre-président de Bavière, ne peut gouverner son land sans le mouvement ultra-conservateur « Electeurs Libres », ce qui l’oblige à tenir un double-langage.

Des réactions mitigées

Le compromis élaboré par les lands et le gouvernement, aussi louable soit-il, ne fait pas l’unanimité. Le forfait de 7.500 euros versé par demandeur d’asile est certes supérieur au montant proposé au départ par le Chancelier mais demeure inférieur à celui souhaité par les lands qui l’avait fixé à 10.500 euros. Olaf Scholz justifie cette différence en invoquant les risques d’allongement des procédures d’asile. Elle permet à l’Etat de respecter ses engagements sur une période de trois ans et non de dix-huit mois. Lors d’une conférence de presse qu’il a tenue à l’issue des négociations, le chef du gouvernement a évoqué « un changement considérable » dans la gestion de l’immigration, un point de vue qui a fait immédiatement réagir le ministre-président CSU de Bavière, Markus Söder, qui s’est exprimé sur la plateforme X en écrivant : « Positif : les choses bougent ! Négatif : ce n’est pas encore suffisant !« . Le président de la CSU n’a pas caché son intention de « continuer à faire pression sur le gouvernement pour limiter l’immigration« . Son collègue de l’Union Démocrate Chrétienne (CDU), Friedrich Merz craint de son côté que la concrétisation des mesures, décidées lors des négociations, traîne en longueur. Il exige que les mesures prévues se transforment en lois pour qu’elles soient adoptées par le Bundestag et puissent entrer en vigueur dès le 1er janvier 2024. Singulièrement, le seul parti qui se réjouit du consensus est l’AfD qui s’en approprie et le considère comme son propre succès. Le chef de file de la fraction du parti d’extrême-droite au Bundestag, Bernd Baumann, estime que l’initiative du sommet n’a été ni plus, ni moins que l’aboutissement d’un sentiment de panique face aux succès électoraux de sa formation . Evoquant les blocs CDU/CSU et SPD, B.Baumann a lancé : « C’est nous qui les avons forcés à essayer au moins quelque chose. » Quelle que soit l’issue que trouvera ce compromis, il ne résoudra pas tous les problèmes que pose l’immigration en Allemagne. Ici comme ailleurs une politique migratoire ne peut porter ses fruits que lorsque les populations civiles des pays accueillants y sont réellement associées. Ce n’est plus aux dirigeants d’imposer une stratégie qui, de toute façon, sera vouée à l’échec si la société toute entière n’y adhère pas. En 2015, les Allemands étaient majoritairement favorables à l’accueil des réfugiés, huit ans plus tard ce sont ces mêmes réfugiés qui clivent la société allemande et la rendent de plus en plus ingouvernable. Pour ne pas creuser davantage le fossé séparant les pro des anti-migrants, la création d’une commission destinée à piloter la politique migratoire devrait prochainement voir le jour. Y seront intégrés des représentants de toutes les confessions, des syndicats, des organisations non gouvernementales mais aussi des historiens et des scientifiques. L’existence de ce nouvel organisme sera-t-elle suffisante pour résoudre tous les problèmes et dissiper tous les malentendus et préjugés ? Seul l’avenir pourra nous le dire. kb & vjp (Nombre de mots : 1.161 / Temps de lecture: 7 minutes)

 

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