Lutte contre les violences sociales: un combat au quotidien

Roumanie/UE – La Roumanie a beau avoir rejoint en 2007 l’Union Européenne, s’engageant ainsi à en respecter les valeurs, force est de constater que seize plus tard, en ce qui concerne la lutte contre les violences dont les femmes et des minorités sont les principales victimes, il reste encore beaucoup à faire et de lacunes à combler pour que ce pays soit authentiquement européen. Les derniers rapports d’Amnesty International et du Département d’Etat américain (US-DOS : US Department of States), ainsi qu’une enquête financée par l’ambassade d’Allemagne à Bucarest, fondés sur des faits et données incontestables, révèlent des entorses à la loi dans les rouages les plus sensibles de la société, dont celui des forces de l’ordre.

Femmes luttant contre les agissements de la police

« En 2022, les préoccupations concernant l’usage de la force par la police sont restées largement répandues et les communautés Rom et LGBT ont continué à faire l’objet de discriminations systématiques » est-il noté dans le premier de ces documents dans lequel il est par ailleurs précisé que « de nombreux problèmes bien connus sont toujours d’actualité en Roumanie, même si on ne les remarque pas toujours dans la vie de tous les jours». Les deux organismes ont porté leur attention sur la situation dans les prisons, laquelle ne correspond pas aux normes internationales. Se basant sur un bilan du comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants, un organe dépendant du Conseil de l’Europe, il s’avère qu’un « nombre considérable d’allégations de mauvais traitements sur des détenus a été enregistré et plus particulièrement dans les centres pénitentiaires de Giurgu, Craiova et Galati ». Parmi les tortures les plus fréquemment infligées dans ces établissements, les détenus citent la « falaka », une bastonnade qui consiste à donner des coups à répétition sur la plante des pieds. Dans certaines prisons, tout est mis en place par la police pour que leurs occupants ne puissent pas avoir droit à une défense juridique efficace et impartiale. Une atmosphère de violence est instaurée afin que le nombre de plaintes pour abus présumés soit limité. Par crainte de cette violence, les détenus préfèrent renoncer à des dépôts de plainte et ce, pour éviter des agissements encore plus brutaux de la part du personnel des prisons.

Les femmes toujours au cœur des préoccupations

De ce cercle vicieux , les femmes en sont également victimes car les policiers les dissuadent d’engager une procédure contre leur agresseur lorsqu’elles ont été victimes de viols ou de violences conjugales. Cette attitude de la part de la police, largement répandue, contribue à légitimer la discrimination des femmes dans la société. Celles qui parviennent à leurs fins et voient leur calvaire reconnu par la justice ne sont pas pour autant au bout de leurs peines car les mesures d’injonction qui obligent les agresseurs de s’éloigner de leurs victimes, ne sont que rarement respectées ou ne sont appliquées que sur une courte durée. En janvier 2022, un homme demeurant à Bacau a enfreint la mesure d’injonction et s’est rendu au domicile de sa femme pour se venger en l’assassinant. Comme l’ont révélé plusieurs journalistes ayant couvert ce sordide fait divers, la police n’avait pas pris la peine de surveiller l’application effective de l’injonction , ce qui prouve que l’épouse assassinée avait purement simplement été abandonnée par l’appareil d’Etat.

La communauté Rom toujours exclue de la société roumaine.

Les préjugés contre les Roms persistent

La situation de la communauté Rom laisse aussi à désirer. Contrairement à d’autres pays européens où elle s’est améliorée depuis 2016, année au cours de laquelle l’Agence des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne s’était penchée sur la ségrégation dont ils sont victimes, en Roumanie cette dernière persiste et selon l’US-DOS, les Roms sont toujours « confrontés à la pauvreté, à l’exclusion sociale et à une discrimination généralisée perceptible dans l’éducation, la santé, le logement et naturellement le monde du travail ». Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là , ils n’ont généralement pas accès à la justice qu’elle soit civile ou pénale car les avocats sont de plus en plus nombreux à ne pas vouloir les défendre et faire prévaloir leurs droits. A cela s’ajoute la propension de certains procureurs et juges à entretenir des stéréotypes négatifs sur les Roms qui, quelles que soient les circonstances, parce qu’ils sont Roms, sont forcément les coupables. Beaucoup de membres de la communauté ne parviennent pas par ailleurs à obtenir leurs documents d’identité,ce qui les empêche de participer aux élections, de recevoir les prestations sociales auxquelles ils devraient avoir accès, de sécuriser leurs documents de propriété et de s’intégrer dans le marché du travail.

Ligia Deca, ministre de l’Education
Gabriela Firea, ministre de la Famille et l’égalité des chances.

Une République misogyne et homophobe

Mais le gros problème auquel la Roumanie est confrontée et qui fait d’elle un membre à part dans l’Union Européenne est son machisme endémique particulièrement visible dans les plus hautes sphères de l’Etat. Sur les vingt-un ministres qui entourent le chef de gouvernement, on ne dénombre que deux femmes, Gabriela Firea, qui, après avoir été maire de Bucarest entre 2016 et 2020, s’être retrouvée miraculeusement à la tête du ministère de la famille, et Ligia Deca en charge du ministère de l’Education. Isolées les femmes le sont aussi au Parlement où elles n’occupent que 20% des sièges, soit 12,6 points de moins que la moyenne européenne. En terme de parité, la Roumanie se situe en queue de peloton juste devant  la Grèce  et la Hongrie, deux pays où les femmes n’occupent respectivement que 19 et 13% des sièges. Depuis son intégration dans l’Union Européenne, seule une dizaine de femmes sont parvenues à occuper des fonctions ministérielles et lorsque cela a été le cas elles ont souvent contribué à salir leur image. La plupart d’entre elles ont fait un passage éclair au sein des divers gouvernements et mise à part Carmen Dan qui est parvenue à rester deux ans et demi à la tête du ministère de l’Intérieur, toutes les autres ont été victimes de divers remaniements destinés à les évincer du pouvoir. Mais ce qui caractérise souvent les femmes politiques roumaines de leurs homologues européennes provient du fait qu’elles ont la fâcheuse tendance d’user de leur pouvoir pour imiter les hommes. Il en a été ainsi de la seule femme depuis 1947 à avoir été cheffe de gouvernement. Entre janvier 2018 et novembre 2019, période au cours de laquelle Viorica Dancila a occupé cette fonction, aucune loi significative n’a été adoptée pour améliorer la situation des femmes dans le pays. Quant à l’ancienne ministre du tourisme sous les deux gouvernements successifs d’Emil Boc, Elena Udrea, elle a mis à profit la longévité de sa mission (de décembre 2008 à février 2012), pour s’immiscer dans des affaires de corruption. Après avoir été accusée d’avoir perçu des pots-de-vin lors de l’organisation d’un gala en l’honneur du boxeur Lucian Bute, elle a écopé en 2011 d’une peine de prison ferme de six ans. Pour échapper à cette sanction, l’ex-ministre s’est enfuie au Costa Rica, puis en Grèce et enfin en Bulgarie où elle a pu être récemment interpellée . Ce type d’événements contribue naturellement à dévaloriser la communauté féminine dans son ensemble et à renforcer les préjugés. 

Jeune mère roumaine recueillie par l’ONG suisse ORA International
Elena Udrea, ancienne ministre du tourisme sur les plages du Costa Rica pour échapper à la justice !

Des statistiques éloquentes

Lorsque l’appareil d’Etat et plus particulièrement les services de police n’effectuent pas le travail qu’on attend d’eux, il est alors difficile de connaître avec précision la réalité de la violence à l’égard des minorités et des femmes. Un des meilleurs moyens de lutter contre ce fléau consiste en premier lieu à sonder la population ce à quoi s’est attelée l’ambassade de la République Fédérale d’Allemagne en Roumanie dans le cadre d’une enquête d’opinion s’inscrivant dans le projet « Savoir c’est pouvoir : recherche et plaidoyer pour améliorer la politique de lutte contre la violence basée sur le genre ». Jusqu’en 2022, aucune enquête d’opinion publique n’avait été menée sur l’attitude de la société face à la violence envers les femmes. Une étude similaire avait été réalisée, en 2002, par le Centre Partenariat pour l’égalité avec le soutien de l’Open Institute Society  et de l’ONG Gallup mais étant donné que les statistiques se limitaient à Bucarest, elles ne pouvaient être représentatives. Pour mener à bien sa mission, l’ambassade de RFA a eu recours à l’Institut roumain d’évaluation et de stratégie (IRES), qui a sélectionné d’un échantillon de 1363 personnes, hommes et femmes confondus, issues de tous les milieux et vivant sur tout le territoire national ainsi qu’à Ionela Băluță et Claudiu Tufiș, tous deux enseignants à la Faculté des sciences politiques de l’Université de Bucarest. Le premier enseignement qu’on peut tirer de cette enquête est la discordance entre les personnes violentées et la population en général, car 67% des sondés s’accordent à dire que les victimes devraient d’abord signaler l’acte de violence à la police, 19% qu’elles devraient s’adresser à leur famille, tandis que les 14 % restants conseillent de chercher de l’aide auprès d’un psychologue, des services sociaux de l’État, d’un aumônier, d’amis, de voisins ou d’associations de soutien. Qu’une forte majorité de la population fasse confiance à la police alors que celle-ci est décriée par les victimes en dit long sur le travail qu’il reste à faire en Roumanie. Cette enquête prouve que la société roumaine a évolué dans le bon sens au cours des vingt dernières années mais qu’il reste encore beaucoup à faire. A titre d’exemple, le nombre d’hommes n’autorisant pas leur partenaire à dépenser leur propre argent de manière autonome a chuté de 12% entre 2002 et 2022, mais demeure toujours, avec 42% très élevé. En ce qui concerne les violences physiques, coups, blessures et viols, elles sont désavouées par une forte majorité de la population (entre 85 et 91%) mais il n’en demeure pas moins que les 9 à 15% restants suffisent pour mettre en danger des dizaines des milliers de personnes vulnérables, surtout lorsqu’elles vivent à l’abri des regards. 13% des personnes interrogées ne considèrent pas comme très grave le viol d’une femme par une personne qu’elle connaît. Ce pourcentage passe à 19% si l’acte répréhensible a eu lieu chez l’agresseur où la victime s’est rendue. Autre pourcentage significatif, 12% des personnes interrogées estiment que l’auteur d’un viol est excusable, si sa victime le provoque en portant des tenus affriolantes. Enfin 15% n’estiment pas choquant qu’un adulte ait des relations sexuelles avec des mineur(e)s de moins de 15 ans.

Pamona Strugariu, élue et rémunérée pour s’interroger au Parlement Européen.

Un tissu démographique propice aux violences

Le nombre d’agresseurs potentiels est élevé car, en 2021, celui des hommes âgés de 18 ans et plus dépassait les 7,8 millions. La majorité d’entre eux vivent dans des villes de petite et moyenne taille car la Roumanie est un pays semi-urbain. Sur les cent plus grandes cités du pays, 58 ont moins de 50.000 habitants dont 32 moins de 30.000. Sur les 320 municipalités dont est doté le pays, 126 ont moins de 10.000 habitants, soit 39,3%. Pour que la lutte contre les violences faites aux femmes mais aussi aux diverses minorités soit efficace, il faudrait que dans la plupart de ces lieux de vie des structures d’accueil soient mises en place, ce qui paraît d’autant plus utopique que 95% des maires de ces municipalités sont des hommes. Le problème de la soumission des femmes en Roumanie revient régulièrement à l’ordre du jour dans les instances nationales et européennes. Les premières sont souvent, à l’instar de la République Tchèque, dans l’incapacité de faire ratifier la convention d’Istanbul, les secondes se noient dans des discours et des bonnes intentions qui ne sont jamais suivis d’effets concrets sur le terrain. En 2020, la députée européenne, Ramona Strugariu, membre du groupe Renew Europe au Parlement Européen déclarait sur Radio Romania  à propos de la Roumanie « nous sommes dans un pays où 63% de la population pense que la violence basée sur le genre et la violence familiale ne sont pas de vrais problèmes, qu’elles n’existent pas nécessairement et qu’elles ne constituent pas un problème pour la société. Sur la base de ces données et chiffres, nous devrions réfléchir à ce qu’il convient de faire » et l’élue de s’interroger « quelles mesures structurées et concrètes pouvons-nous prendre au niveau européen ? Que pouvons-nous faire au niveau national, non seulement au niveau de la législation, mais aussi au niveau de la mise en œuvre pratique des mesures et du respect des lois ? Et que pouvons-nous faire au niveau des mentalités et de l’éducation ? ». Autant de questions qui demeurent toujours sans réponse ce qui est paradoxal, car les solutions existent et sont faciles à mettre en œuvre. Si on prend l’exemple de la Roumanie et qui vaut aussi pour d’autres territoires, sa démographie s’élève à 19,2 millions d’habitants et son produit intérieur brut se situe à 13.520 euros par habitant, soit pour une tranche de 10.000 habitants 135,2 millions. La vraie question qu’il faut alors se poser est celle de savoir pourquoi les politiques sont-ils incapables de créer des structures d’accueil décentralisées et disponibles sur tout le territoire sur le modèle des centres d’Ora International (1) et ce, pour éviter que les actes de violence cachés, les plus difficiles à détecter, perdurent. Les investissements nécessaires à ce type d’établissements seraient par ailleurs en partie compensés voire amortis par les économies réalisées sur les budgets alloués à la police, à la justice et aux administrations pénitentiaires. Lors de la pandémie les autorités et les dirigeants sont parvenus à mettre au pas la population toute entière, alors comment se fait-il qu’il ait été impossible d’en faire de même avec les auteurs des 51.222 délits qui ont été enregistrés en 2021 dans la République des Carpates (2). Mais si l’urgence est d’épauler au mieux les victimes pour qu’elles puissent revivre normalement, le seconde priorité consiste à engager une combat sous toutes ses formes . Combat qui commence par apprendre aux enfants à se respecter mutuellement en particulier au sein de la famille mais aussi et surtout de l’école, des églises et des associations. Ce n’est pas seulement le développement de l’économie qui doit être durable mais aussi celui de la société toute entière. (Source : Valentin Brendler/ADZ & vjp/pg5i) Nombre de mots : 2.600

(1)-L’association ORA International a été créée en Suisse en 1991 et ses quelque 1.000 bénévoles luttent contre la pauvreté et la violence sociale dans le monde et ce plus particulièrement dans les pays dits émergents. La Roumanie est le seul pays de l’Union Européenne où ORA vient en aide aux personnes âgées, aux mères célibataires et aux femmes victimes de violence conjugale. Ces dernières bénéficient alors d’un encadrement qui leur permet de se protéger de leurs conjoints lorsqu’ils ne respectent pas les mesures d’éloignement. Elles sont par ailleurs formées afin de pouvoir reprendre ou redémarrer une carrière professionnelle indispensable à leur indépendance. L’adhésion à l’UE devait marquer un tournant pour tous les Roumains mais dans les régions rurales les groupes les plus vulnérables sont désormais moins bien lotis que sous l’époque du communisme. La personne qui gagne 1.500 lei par mois, soit environ 300 euros, doit en moyenne consacrer la moitié de ce revenu à son loyer et avec les 150 euros restants il est alors impossible de survivre.

(2)- Sur ces 51.222 victimes de violence sous toutes ses formes, 8.500, soit 16,6% étaient des mineur(e)s. Sur les 42.700 adultes, les deux tiers (28.282) étaient des femmes et un tiers des hommes. La police roumaine ne communique pas de statistiques en fonction des délits mais confirme que les cas de viols et de violences sexuelles sont perpétrés à hauteur de 59% sur des jeunes filles mineures, 32% sur des femmes adultes et 9% sur des jeunes hommes mineurs, ce qui prouver à quel point le pays est gangrené par ce type de violence. Autre donnée inquiétante : la violation des interdictions d’approcher les victimes a concerné 87% des femmes qui étaient censées être protégées par la justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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