Copinage et vénalité chez les Verts allemands

Robert Habeck, 54 ans, n’a jamais étudié l’économie mais la philosophie et la philologie. Avant de se lancer dans la politique en rejoignant le mouvement Allianz/Die Grünen, en 2005, il était connu des milieux littéraires pour avoir coécrit avec l’écrivaine Andrea Paluch de nombreux ouvrages pour enfants. Sa nomination aux postes de ministre de l’Economie et de vice-chancelier a surpris la plupart des observateurs. Robert Habeck est toutefois parvenu à s’imposer comme l’un des membres du gouvernement les plus populaires.

Allemagne – Lorsqu’un parti a été privé pendant longtemps des postes les plus stratégiques d’un gouvernement, comme cela fut le cas en Allemagne avec les Verts, le risque est grand, une fois cette lacune comblée, que certains ministres soient tentés de rattraper le temps perdu. Parmi les membres de l’équipe gouvernementale actuelle, il en est un qui s’est fait un devoir de ne pas oublier ses amis d’antan. Il s’appelle Robert Habeck et en tant que ministre de l’Economie, il n’a rien trouvé de mieux, à peine nommé à ce poste de recruter Patrick Graichen, un compagnon de longue date, au poste de secrétaire d’Etat.

 « Le clan Graichen »

Dans ce genre de situation s’opère un phénomène boule de neige et c’est ainsi qu’à peine nommé à cette fonction, Patrick Graichen a immédiatement imposé son témoin de mariage , Michael Schäfer au poste de directeur de l’Agence Allemande de l’Energie. Robert Habeck a exprimé ses regrets en prétextant qu’il n’avait « malheureusement pas fait attention » ! Cette double nomination serait passée vraisemblablement inaperçue si la sœur du secrétaire d’Etat, Verena Graichen n’était pas mariée avec le secrétaire d’Etat parlementaire en charge de l’écologie, Michael Kellner et si son frère, Jakob Graichen, n’occupait pas un poste stratégique en tant que chercheur à l’Öko-Institut, un organisme implanté à Fribourg qui, bien qu’employant quelque 180 permanents, doit recourir à des collaborateurs extérieurs grassement rémunérés pour réaliser des études, pondre des rapports et élaborer des projets. Tous publient chaque année des dizaines de documents coûtant des millions d’euros aux contribuables allemands. Huit et cinq d’entre eux ont été facturés en 2021 et 2022 à hauteur respective de 2,4 et 3,5 millions d’euros. C’est à l’Öko-Institut que le ministre de l’économie et ses deux secrétaires d’Etat ont confié l’étude « Projections en matière d’énergie et de protection du climat pour 2035/2050 ». La soeur du premier d’entre, Verena Graichen, épouse Kellner, met à profit sa fonction de coprésidente de l’association BUND Amis de la Terre pour exprimer son point de vue sur tout et n’importe quoi avec d’autant plus d’aisance qu’elle sait que les quelque 670.000 adhérents et les 2000 groupes bénévoles de ce mastodonte relaieront sans rechigner son discours d’une banalité parfois consternante à l’instar de celui qui consiste à s’engager « pour une agriculture écologique et des aliments sains pour la protection du climat, le développement des énergies renouvelables, la protection des espèces menacées, de la forêt et de l’eau ».

Patrick Graichen, 41 ans, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Eonomie : il se bat pour que d’ici 2024, 65% de la consommation énergétique domestique proviennent des énergies renouvelables Pour ce faire, il encourage l’acquisition de pompes à chaleur.
Jakob Grainer, 51 ans, occupe la fonction de sénior-chercheur au sein de l’Öko-Institut et a été à ce titre co-auteur du projet « projections en matière d’énergie et de protection du climat 2035-2050 ». Une prestation qui a été facturée 2,4 millions d’euros.

La valse des millions

C’est en rabâchant ce type de propos que la femme du secrétaire d’Etat parlementaire a compris à quel point l’écologie peut enrichir ceux qui la défende. Elle n’avait que 26 ans, en 2005, lorsqu’elle a participé en collaboration avec le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) à une première étude intitulée « Accroître l’efficacité environnementale du système européen d’échange de quotas d’émission », un sujet d’autant plus ardu qu’il est dix-huit ans plus tard toujours d’actualité. Mme Graichen sait ouvrir toutes les portes des organismes qui sont sur la même longueur d’onde qu’elle lorsqu’il est question et surtout possible de convaincre ceux qui ont le pouvoir de distribuer les deniers publics. Elle a contribué à des études ou projets de la commission européenne de l’industrie, de la recherche et de l’énergie et de la direction générale de l’action pour le climat. Elle a apporté sa contribution au programme « neutralité carbone » du Costa Rica. A l’échelon national, elle collabore naturellement avec les ministères de l’environnement et de l’économie mais aussi celui des Affaires Etrangères dans le cadre de la GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit/Société pour la coopération internationale), dont l’objectif est de promouvoir la gestion durable des ressources et la protection de la biodiversité en Afrique et plus particulièrement dans les pays membres de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC). Il va sans dire que Mme Graichen s’est fait un devoir d’apporter son « expertise » dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission. De ce quintet Robert Habeck, Patrick, Jakob et Verena Graichen et Michael Kellner, de plus ne plus appelé « clan Graichen », dépend la réussite ou non du plan de transition énergétique élaboré par le ministère de l’économie ; lequel est loin de faire l’unanimité dans le pays, les uns le considérant comme trop précipité et trop coûteux, les autres comme trop lents et pas assez ambitieux. Et par ailleurs, ce qui ne manque pas de sel, c’est dans ce second camp qu’on retrouve le plus grand nombre d’écologistes (!), dont beaucoup, déçus, quittent le parti des Verts pour rejoindre des formations radicales, se coller sur des autoroutes ou vandaliser des œuvres d’art dans les musées les plus prestigieux.

« Dans la coalition tricolore actuelle, en particulier chez les Verts, on se prend pour des surdoués de la morale, mais on continue à faire exactement comme dans les gouvernements précédents »

Verena Graichen, épouse Kellner, 34 ans, est diplômée en sciences administratives de l’Université Potsdam. Elle a intégré en 2005 à l’âge de 26 ans l’Öko-Institut avant de devenir quelques années plus tard coprésidente du BUND où elle s’épanouit en tant que lobbyist et influenceuse.
Michael Kellner, époux Graichen, 46 ans, avait à peine 20 ans lorsqu’il a adhéré au parti des Verts. Entre 2004 et 2009, il a été chef de cabinet de Claudia Roth, ex-vice-présidente du Bundestag aujourd’hui ministre d’Etat en charge de la Culture et des Médias. Lors des négociations précédant la formation du gouvernement, c’est à lui que le parti des Verts a confié la mission de défendre ses intérêts.

Soupçons de conflits d’intérêt

Depuis plusieurs semaines, les liens familiaux et financiers du secrétaire d’Etat à l’économie avec l’Öko-Institut laissent suggérer des conflits d’intérêts car les deux personnes concernées, Patrick Graichen et Michael Kellner, tous deux des figures historiques des Verts, entretiennent des liens étroits avec des scientifiques mais aussi par conséquence avec des entreprises publiques et privées. Si le prédécesseur de Robert Habeck, Peter Altmaier, s’était comporté de la sorte sous le dernier gouvernement d’Angela Merkel, des cris d’orfraie auraient été lancés de toutes parts. Jusqu’à présent, concernant la coalition, le seul opposant à avoir demandé la démission immédiate de Patrick Graichen, est le secrétaire général de l’Union Chrétienne Démocrate (CDU), Mario Cazja, qui reproche au secrétaire d’Etat de recruter à tour de bras des personnes de son parti et de placer à des postes stratégiques des membres de son entourage. Le directeur du groupe de gauche au Parlement, Jan Korte, un ancien membre des Verts qui a démissionné de ce mouvement en 1999 , a exigé de son côté une «transparence maximale » quant à l’utilisation des fonds destinés à l’écologie. « Dans la coalition tricolore actuelle, en particulier chez les Verts, on se prend pour des surdoués de la morale, mais on continue à faire exactement comme dans les gouvernements précédents». Jan Korte demande à ce que tous les contrats externes soient surveillés de prés, à partir du jour où ils sont attribués jusqu’à celui où ils sont finalisés.

Secrétaires d’Etat : parlementaires et nantis

Les secrétaires d’État parlementaires, souvent peu connus du grand public assistent le ministre fédéral auquel ils sont rattachés dans l’accomplissement de ses tâches politiques. Ils doivent être membres du Bundestag allemand et s’engagent à assurer la liaison avec les deux chambres du Parlement, Bundestag et Bundesrat. Ils sont également en contact avec les groupes parlementaires du Bundestag, leurs groupes de travail et les partis politiques. Le ministre détermine les tâches que le ou les secrétaires d’État parlementaires doivent assumer pour lui. Dans ces domaines d’activité, ils peuvent également représenter le ministre fédéral lors de déclarations devant le Bundestag, le Bundesrat et lors de réunions du gouvernement fédéral. Ils sont proposés par le Chancelier Fédéral, en accord avec le ministre de tutelle. La plupart des ministres sont dotés de deux secrétaires d’Etat

Le poste de secrétaire d’État parlementaire existe depuis 1967 et son titulaire est censé servir d’interface entre les élus et les ministères, puisqu’il est à la fois fonctionnaire du gouvernement et député du Bundestag. A l’origine, cette fonction devait permettre aux jeunes politiciens talentueux de se préparer à une future carrière ministérielle. Mais au fil des années, la fonction est devenue un instrument de politique de pouvoir qui se prête parfaitement au parrainage et à la gestion de prébendes, le tout aux frais du contribuable. Trente-sept secrétaires d’État parlementaires, soit 2,6 par ministère, occupent actuellement cette fonction, dont l’existence est régulièrement dénoncée par l’association fédérale de défense des contribuables. En effet, en plus de leur salaire de 12 928 euros, les secrétaires parlementaires reçoivent une indemnité mensuelle non imposable de 230 euros. Mais comme ils sont également députés, ils perçoivent du Bundestag une demi-diète de 5.161 euros ainsi qu’une indemnité forfaitaire de 3.544 euros, également non imposable. Cela représente un revenu mensuel de près de 22.000 euros, soit un total annuel de près de dix millions d’euros. A cette coquette somme s’ajoute environ 300.000 euros par an et par secrétaire d’Etat afin que ce dernier puisse jouir d’un bureau, d’un secrétariat et d’une voiture avec chauffeur, soit au total 11,1 millions d’euros. Les rémunérations des secrétaires d’Etat parlementaires et les prestations auxquelles ils peuvent prétendre s’élèvent au total à plus de vingt millions d’euros, ce qui correspond au salaire annuel de quelque 520 infirmières expérimentées. Il faut par ailleurs préciser que certains gouvernements régionaux nomment, eux aussi, des secrétaires d’Etat parlementaires, c’est le cas notamment du land Rhénanie-du-Nord Westphalie qui en a, à lui seul, recruté quinze. kb (Nombre de mots : 1.677)

 

 

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