L’Union Européenne entre deux blocs à risques

Dans l’interview qu’il a accordée à l’agence OÖN et que nous avons publiée en français hier sur notre site, le généticien Josef Penninger ne croit pas à une éradication rapide du coronavirus, car il craint qu’après l’hémisphère nord, actuellement le plus touché par la pandémie, l’hémisphère sud, le plus peuplé, soit également concerné, ce qui, compte tenu des structures sanitaires défaillantes de la plupart des territoires, risque d’avoir des conséquences infiniment plus graves que celles vécues actuellement en occident. A cette crainte justifiée, le risque est grand que s’en ajoute une autre qui concernera essentiellement l’Europe Occidentale, laquelle devant alors se prévenir des dangers arrivant et de la partie sud de la planète, et de la partie orientale du continent.

La victoire dans l’UE ne suffira pas

Il est difficile de croire un seul instant que la bataille contre le virus sera gagnée quand tous les pays membres de l’Union Européenne seront tirés d’affaire. Avant de s’impliquer dans la lutte contre le Covid 19 en soutenant des pays suffisamment riches pour trouver eux-mêmes leurs solutions, les instances européennes devraient plutôt réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour protéger les populations d’Europe Orientale que tout le monde oublie alors qu’elles représentent plus de cent millions d’habitants. A quoi cela sert-il de se satisfaire d’une stabilisation ou d’une légère baisse du nombre de victimes, si à quelques centaines voire dizaines de kilomètres des milliers de personnes continuent de mourir dans l’indifférence la plus totale. Parmi les pays les plus fragiles, se trouve naturellement l’Ukraine qui a le triste privilège de cumuler tous les paramètres dont un virus est friand lorsqu’il se croit plus fort que l’intelligence humaine. En effet, quel plus beau terrain d’attaque qu’un territoire toujours partiellement en double guerre, civile et militaire, qu’un territoire dont la majorité de la population vit d’une économie parallèle, qu’un territoire où le nombre de tuberculeux est un des plus élevés au monde (69 pour 100.000 habitants), qu’un territoire où près de 400.000 vétérans âgés de moins de 40 ans n’ont plus d’avenir, qu’un territoire qui manque cruellement d’infrastructures sanitaires de base. Si les membres de l’Union Européenne ne s’engagent pas sur un plan d’aide massive aux pays d’Europe Orientale, toutes les mesures qu’ils prennent à l’heure actuelle pour se protéger risquent d’être sans effets. On s’inquiète à juste titre à ce jour du nombre de décès en France, Espagne, Italie, Angleterre, etc. mais on passe sous silence les ravages que risque de provoquer le virus dans les pays du Caucase, en Ukraine ou en Biélorussie.

Arsen Awakow, ministre de l’Intérieur, il pourra indemniser, s’il survit !

Des étudiants cueilleurs de fraises

Mais c’est à Kiev, capitale du pays le plus peuplé et devenu une source de main d’œuvre pour les membres de l’Union que doit être gérée une crise sanitaire qui non seulement n’est pas inédite mais qui exacerbe des problèmes qui étaient déjà récurrents avant la pandémie. Les pays de l’Union peuvent se permettre d’imposer le confinement mais l’Ukraine ne peut s’autoriser une telle mesure car le risque serait alors grand que le pays revive la grande famine qu’il a connue au début des années 1930 et qui demeure gravée dans sa mémoire collective. Il y a trois ans, lorsque l’Union Européenne a délivré des visas pour répondre aux besoins de ses membres en bras sous-qualifiés, des milliers d’Ukrainiens en ont profité pour venir tenter leur chance en occident. Des étudiantes et étudiants ont fait alors le choix d’interrompre leurs études pour aller ramasser des asperges en Allemagne, cueillir des myrtilles en Pologne ou tailler des vignes en Hongrie. Lorsqu’ils se sont aperçus qu’ils gagnaient trois à quatre fois plus en faisant ce travail que leurs parents avocats, chirurgiens ou professeurs d’Université restés au pays, ils se sont comportés exactement comme les Anglais, Irlandais et Calabrais partis à la conquête des Etats-Unis, ils ont voulu rester sur leur terre d’accueil mais non pas pour y faire fortune mais pour subvenir aux besoins de leur terre d’origine. Plus de 10% du produit intérieur brut ukrainien ont été garantis l’an dernier par le rapatriement de salaires perçus en occident. Lorsque les entreprises de l’Union cessent leurs activités, leurs salariés autochtones peuvent survivre mais les familles de leurs personnels ukrainien, biélorusse, géorgien et arménien risquent de mourir de faim. Combien sont-ils du Portugal à la Suède et de l’Ecosse à la Sicile dans cette situation ? Personne ne le sait car personne ne se préoccupe de leur sort. Plusieurs centaines de milliers ? Plusieurs dizaines de millions ? Le nombre de ces citoyens européens de seconde catégorie est incalculable car ils échappent à toutes statistiques fiables. Beaucoup vivent dans la clandestinité et s’organisent au sein de leur diaspora. Ils se confinaient avant la propagation du Covid 19 car ils étaient tous menacés d’expulsion et désormais, ils n’osent plus rentrer dans leur pays car on les soupçonne d’importer le virus. Aussi brutal que cela puisse paraître, les problèmes auxquels sont confrontées la France, l’Italie et l’Espagne, sont dérisoires comparativement à ceux de l’Ukraine. Le gouvernement et le jeune président Wolodymyr Seleskkyj doivent en effet se battre sur plusieurs fronts. Pour ne pas provoquer l’ire des institutions européennes, le pays a dû se conformer à des mesures parfois radicales qui ont eu des conséquences dramatiques. La plus emblématique d’entre elles a été l’arrêt des transports publics desquels dépend l’activité du personnel soignant. Ni les médecins, ni les infirmières et encore mois les aides soignants n’ont pu se rendre que leurs lieux de travail. Au milieu de la semaine dernière les métros de Kiev, Kahrkiv et Dnipro ont cessé de circuler et les autres modes de transport public ont dû limiter leur nombre de passagers à dix, ce qui a provoqué d’innombrables files d’attente et la colère de nombreuses personnes non autorisées à se déplacer parce qu’elles n’avaient pas encore reçu l’autorisation de se déplacer. Dans ce genre de situation, la distanciation sociale n’a guère de signification et dans ce type de pays, la vision du futur et la valeur de la vie n’ont pas le même sens. Un Ukrainien vit en moyenne douze ans de moins qu’un Français, une Ukrainienne quatorze de moins qu’une Française. On ne peut donc reprocher à ces populations leur tendance à vouloir vivre au jour le jour sans penser réellement au lendemain. Dans ce contexte, se produise des situations indignes d’une société civilisée, celle qui, par exemple, a consisté à vouloir lyncher un groupe d’Ukrainiens rapatriés de Chine avant sa mise en quarantaine. Les dirigeants ukrainiens sont contraints de gérer une crise sanitaire dans un contexte social extrêmement tendu. Leur pays n’est pas préparé à un fléau de cette ampleur. Il ne dispose que de 600 respirateurs et s’il est tenu de faire porter des masques et d’effectuer des tests, il ne pourra le faire que si la Chine vient à son aide. Quant aux répercussions sur le plan économique, personne n’ose les évoquer, y compris le ministre de l’Intérieur, Arsen Awakow. Ce partisan du confinement se réfugie dans le fatalisme. « Nous penserons aux pertes et aux indemnisations plus tard, si nous survivons ! » a-t-il récemment déclaré. Pas de quoi redonner le moral aux troupes ! vjp

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