Un généticien autrichien de renom s’exprime : « L’éradication n’est pas pour demain »

Autriche/Italie/Chine/ Monde – Il va fêter, en septembre prochain, son 56ième anniversaire, a été à 39 ans nommé directeur scientifique à l’Institut de Biotechnologie Moléculaire à l’Académie des Sciences autrichienne (IMBA), un poste qu’il a occupé pendant 15 ans avant d’être promu, en 2018, à  la tête de l’Institut des Sciences de la Vie à l’Université de Colombie Britannique. Il fait partie des quelques généticiens les plus reconnus et écoutés à l’international. Peu enclin à l’esbroufe et aux effets d’annonce, Josef Penninger a toutefois accepté d’accorder une interview à l’agence OÖN. Un témoignage lucide et réaliste, mi-optimiste,  mi-pessimiste, qui inspire espoir et inquiétude. Selon lui, la science aura raison du virus mais il faudra faire preuve de patience et de vigilance, car une fois vaincu dans l’hémisphère nord, il risque de faire des ravages dans l’hémisphère sud. L’éradication à l’échelon planétaire n’est pas pour demain.

 

OÖN : Le monde entier attend un médicament contre le Covid-19. Vous faites également des recherches sur un produit, quand sera-t-il prêt ?

Josef Penninger : Notre médicament, développé par notre société de biotechnologie Apeiron (1), a été déposé il y a une semaine en  Autriche et en Chine. Nous attendons maintenant l’approbation des autorités, et si elle est approuvée, cela peut se faire relativement rapidement.

Dans quel délai ?

J.P :Cela peut aller très vite, peut-être la semaine prochaine, peut-être plus tard. Mais il est important qu’il soit testé correctement. Nous ne rendons service à personne en effectuant de mauvais tests et en mettant sur le marché des médicaments qui ne fonctionnent pas. Nous avons fait de très bons progrès et nous espérons pouvoir faire des tests sur les patients rapidement.

De quelle manière va agir votre médicament ?

J.P : Il va réduire l’infection virale directement au niveau du récepteur et devrait protéger contre les lésions des organes. Quatre approches sont actuellement promues par l’OMS. Deux d’entre elles sont des médicaments pour traiter le VIH, dont l’objectif est d’obtenir des informations génétiques sur le virus. Une autre approche consiste à utiliser le médicament « Remdesivir », déjà utilisé avec succès contre Ebola, et la quatrième est la chloroquine issue des médicaments contre la malaria. Ici aussi, il existe des données qui pourraient être utiles, mais  il ne faut écouter que le son d’une seule cloche.  Nous espérons et prions pour que cela fonctionne, et cela fonctionnera probablement,  mais les données fiables ne sont pas encore disponibles.

Et qu’en est-il d’un vaccin ?

J.P : De nombreuses personnes expérimentées s’y attèlent et la science et la politique font toutes sortes de choses. Nous en savons déjà beaucoup sur la maladie, sa propagation et ce que nous pouvons faire pour l’éradiquer. Nous sommes sur une très bonne voie. Il y a déjà eu des essais de vaccins sur l’homme. Mais il faut généralement dix à quinze ans pour mettre au point un vaccin. Dans le meilleur des cas, il faut compter entre un an et un an et demi, ce qui serait extraordinaire. Je crois que nous serons en mesure de créer un vaccin, mais l’espoir que ce soit le cas dans trois ou quatre mois est vain. Nous devons avoir la garantie que les vaccins sont sûrs. Ensuite, la question se pose également à  savoir combien de temps il faudra pour vacciner le plus grand nombre possible de personnes. Dans le cas de la polio, il a fallu des décennies. Les pays riches peuvent probablement être vaccinés plus rapidement, mais il y a aussi des régions plus pauvres avec de mauvaises infrastructures, par exemple en Afrique ou en Inde. Quand les choses commencent vraiment à se passer ici, elles deviennent sérieuses.

Ce qui est frappant, c’est la différence de mortalité jusqu’à présent – en Italie et en Allemagne, par exemple. Existe-t-il plusieurs formes de virus ?

J.P : D’une part, cela est dû à la démographie. L’Italie a une population très âgée et les premières infections en Autriche et en Allemagne se sont produites chez des personnes plus jeunes et en bonne santé pendant leurs vacances aux sports d’hiver. C’est une différence. Mais il existe aussi et vraisemblablement différentes variantes génétiques – dans le système immunitaire et dans le virus. A priori,  il existerait  huit types de virus différents. Nous en savons encore trop peu sur  ce sujet.

Est-on immunisé après avoir été guéri ?

J.P : C’est une question difficile. Une chose est sûre : notre système immunitaire n’y est pas préparé. Mais comme il y a beaucoup de gens qui ne tombent pas malades, cela signifie que notre système immunitaire peut le supporter, sinon nous en mourrions tous. Il faut du temps pour découvrir ce qu’il y a derrière. Mais ce qui me fait peur, c’est qu’il y a des cas où les patients sortent de l’hôpital après cinq ou six jours, le virus n’étant plus détectable – et quelques jours plus tard, ils sont de nouveau malades. Ce qui prouve que le virus n’est évidemment pas aussi inoffensif comme certains le prétendent. Il peut se cacher et réapparaître. C’est la question cruciale en ce qui concerne les vaccins.

Que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement, telles que le port obligatoire de masques de protection ?

J.P : Personne ici n’a su,  comment faire face à une telle situation. Je pense que le gouvernement, les hôpitaux et les médecins font un excellent travail. Bien sûr, on peut toujours faire mieux, comme en Corée du Sud, mais nous devrions tous collaborer ensemble pour  que cela se réalise. Il ne faut pas  seulement pointer du doigt et chercher les erreurs. Le message de la Corée est clair : testons le plus grand nombre de personnes possible, mettons des masques et lavons-vous souvent les mains. Mais nous ne devons pas travailler avec des masques de mauvaise qualité qui ne serviront à rien.

Comment évaluez-vous l’évolution future de la pandémie ?

J.P : Des épidémiologistes sérieux ont calculé qu’en Autriche, nous nous dirigeons vers le sommet. Que la situation s’améliore vers l’été et que le virus disparaisse ensuite,  ce serait alors le meilleur scénario. La probabilité que cela se produise est de dix pour cent au maximum. Ce qui est réaliste, c’est qu’après le pic, la courbe s’aplatisse, mais que la vague d’infection se répande dans l’hémisphère sud où commencera l’hiver. Il est possible que le virus devienne une maladie comme la grippe, qui se manifeste de façon saisonnière et revient en période de froid. Nous devons ensuite apprendre à nous en occuper et attendre un bon vaccin. Je ne suis pas effrayé par le virus, mais par l’ampleur de la maladie et de sa propagation – c’est effrayant. Apprendre à comprendre cela, c’est la clé. (Interview sélectionnée par www.pg5i.eu)

(1) Créée en 2005 à Vienne, la société Apeiron est spécialisée dans le traitement des cancers. Elle est à l’origine de très nombreux brevets et emploie une trentaine de chercheu

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