Le gouvernement allemand face au défi de l’extrême-droite

Allemagne – Longtemps, une majorité dAllemands mais aussi la plupart des observateurs étrangers se sont imaginés que la montée de l’extrême-droite dans la République Fédérale était un phénomène propre aux territoires de l’ex-RDA. Depuis dimanche dernier, force est de constater que ce n’est plus le cas et que le discours du parti AfD (Alternative für Deutschland) est en passe de s’imposer sur l’ensemble du territoire, y compris dans les lands qui semblaient jusque là réfractaires à toute rétorique raciste, antisémite et antilibérale.

Que l’AfD soit parvenue à se hisser à la seconde place en raflant 18,4% des suffrages dans le land de Hesse en dit long sur la capacité de cette formation à mobiliser des électeurs qui ne se retrouvent plus dans les partis traditionnels. Les commentateurs allemands sont unanimes sur un point : les succès de l’AfD n’auraient pas été aussi éclatants, si les membres de l’équipe gouvernementale en fonction à Berlin avaient été unis sur les dossiers les plus sensibles plutôt que de passer leur temps à se quereller. Parmi les électeurs déçus votant davantage par dépit que par conviction, se trouvent tous ceux qui croyaient vivre dans un pays prospère à l’abri de tous les aléas du libéralisme et qui s’aperçoivent aujourd’hui qu’il n’en est rien. L’ Allemagne se désindustrialise, ses entreprises délocalisent leurs activités, le taux d’inflation est de trois à quatre fois supérieur à celui auquel elle s’était habituée, ses banlieues ne sont plus à l’abri des guerres de clans, le trafic de stupéfiants prospère et pour couronner le tout la République doit composer avec une pénurie de personnels dans les secteurs stratégiques que sont ceux de la santé, de l’enseignement et de la défense.

Alice Weidel et Tino Chrupalla, co-président(e)s de l’AfD : grâce à leur discours antisystème, ils sont parvenus à humilier le parti social-démocrate mais aussi celui des Verts et des libéraux.

Un sentiment de non gouvernance

Pour un nombre croissant d’Allemands et pas seulement pour ceux qui ont fait le choix de l’AfD, la République Fédérale n’a plus les moyens de ses ambitions, sous-entendu, elle ne peut plus assumer la politique de « bienvenue » prônée en 2015 par l’ex-Chancelière Angela Merkel. Dans ce genre de contexte et cela vaut pour l’Allemagne comme pour tous les autres pays, c’est toujours, après le chef de gouvernement, le ministre de l’Intérieur qui se retrouve en première ligne parce qu’il est, de fait, responsable de l’immigration et de la sécurité intérieure. Nancy Faeser, qui occupe cette fonction à Berlin, en a fait les frais dans la Hesse, un land dont elle espérait devenir la présidente. Sa défaite n’a été une surprise pour personne car les enquêtes d’opinion, dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’elles sont de plus en plus fiables, l’avaient annoncée. Tous les instituts de sondages avaient prédit une chute de 4 à 6% du Parti Social-Démocrate dans la perspective d’une candidature Faeser et les urnes leur ont donné raison. Le fait que le plus vieux parti d’Allemagne, celui qui a compté dans ses rangs des figures politiques emblématiques à l’instar de Willy Brand, Helmut Schmid ou Friedrich-Ebert ou des théoriciens et intellectuels mondialement reconnus (Günter Grass, Rosa Luxemburg) a été, avec seulement 15,1% des suffrages, relégué à la troisième place derrière l’AfD (18,4%) dans le land qui a vu naître Goethe, devrait normalement suffire à ses leaders pour se lancer un nouveau défi consistant à changer radicalement de stratégie et à tirer les leçons du passé récent. Il faut en effet rappeler qu’Angela Merkel a formé, entre 2005 et 2021, quatre gouvernements de coalition bipartite, trois avec le SPD et un avec les libéraux du FDP. Son successeur a fait le choix du tripartisme sans savoir naturellement qu’un an plus tard la guerre en Ukraine allait éclater et tout bouleverser sur son passage. Ce conflit n’a pas seulement chambouler l’économie mais la société civile toute entière; laquelle dans un premier temps a fait preuve d’une empathie sans faille à l’égard de la population ukrainienne puis peu à peu s’en est désolidarisée. Il a par conséquent été facile pour l’AfD, qui n’a jamais caché ses sentiments pro-russes, de mobiliser un nombre croissant de sympathisants. La formation d’extrême-droite a profité pleinement des incohérences de la politique menée à Berlin. Au moment même où des milliards d’euros étaient débloqués pour venir en aide à l’Ukraine, étaient annoncées des restrictions budgétaires dans l’enseignement et la santé. De plus en plus d’Allemands ont le sentiment de ne plus être gouvernés de manière rationnelle. Lorsqu’un ministre propose une loi, un autre la remet aussitôt en question. Ce fut le cas avec celle du chauffage puis avec celle instaurant un revenu citoyen. Il a été par conséquent aisé pour l’AfD de se frayer un chemin dans cet univers chargé de contradictions voire de règlements de compte. Si on ajoute à ce contexte une série de faits divers qui ont choqué l’opinion à l’instar du vandalisme dont a été la cible la Porte de Brandebourg badigeonnée par des activités du climat, du viol collectif dont a été victime une jeune femme dans un parc berlinois ou pire encore l’assassinat par arme blanche d’une fillette par un de ses camarades de classe âgé de 14 ans, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’AfD a le vent en poupe ! kb

 

 

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