La droite allemande cherche à culpabiliser les pauvres

Allemagne/UE – Que ce soit en Allemagne ou dans la plupart des autres pays européens, le recette est toujours la même. Lorsqu’un gouvernement se retrouve face à une pénurie de main d’oeuvre, qualifiée ou non, il ne trouve d’autre moyen que de tenir responsable les chômeurs de cette situation. A aucun moment, il ne vient à l’esprit des dirigeants de se faire ne serait-ce qu’une once d’autocritique sur la manière dont ils ont été amenés à gérer le monde du travail.

Issu d’une riche famille de Rhénanie du Nord Westphalie, Carsten Linnemann n’est pas le mieux placé pour s’identifier aux plus vulnérables.

Il est plus facile de calculer le coût social des demandeurs d’emplois que de remettre en question les sommes colossales qui sont chaque année vouées à la lutte contre le chômage. Il est plus aisé d’assimiler celui qui va pointer à une agence pour l’emploi à un paresseux plutôt que s’interroger sur les causes réelles qui l’oblige à effectuer cette démarche. Qu’il y ait en Allemagne comme ailleurs des personnes qui abusent du système est une évidence mais delà à dire que tous les chômeurs se contentent de cette situation est un pas qu’il serait dangereux de franchir. Ce qu’on appelle en France le Revenu de Solidarité Active (RSA) porte, en Allemagne, depuis début 2023 le non de revenu citoyen (Bürgergeld), un appellation qui tend à culpabiliser tous ceux qui le perçoivent et qui ont inconsciemment le sentiment de vivre sur le dos de son voisin ou de son cousin qui travaille. Ce revenu citoyen assure une protection sociale de base qui est financée par l’impôt. Pour l’obtenir, il faut être âgé de plus de 15 ans, avoir un besoin avéré d’assistance, ne pas avoir naturellement atteint l’âge légal d’accès à la retraite et enfin être apte au travail. Et c’est justement cette dernière condition qui autorise les détracteurs du système à considérer les bénéficiaires comme des parasites et non comme de potentiels membres actifs et solidaires de la vie en société. Vilipender les allocataires du « Bürgergeld » permet à de nombreux partis politiques d’attirer dans leur rang les masses laborieuses, lesquelles représentent un nombre important d’électeurs. Le parti chrétien-démocrate CDU dont une partie conséquente des troupes est de plus en plus attirée par les thèses de l’extrême-droite remet en cause le revenu citoyen.

Il est hors de question pour Lars Klingbeil de remettre en cause le revenu minimum.

« De la CDU à l’état pur »

Son secrétaire général, Carsten Linnemann, plaide pour sa suppression et part du principe que « dans un contexte de pénurie croissante de main d’oeuvre et de ressources limitées de l’Etat, il faut mobiliser davantage de travailleurs. » Toujours selon lui, il est nécessaire que « les obstacles à l’obtention d’aides publiques soient relevés » et il n’hésite pas à proclamer haut et fort que « c’est de la CDU à l’état pur. » A aucun moment, le secrétaire général du premier parti d’opposition ne prend en considération le rôle qu’a joué l’ancienne chancelière Angela Merkel à la tête du parti pendant près de 20 ans (de 2000 à 2018) et qui, une fois à la tête du gouvernement n’a jamais remis en cause les réformes de son prédécesseur, Gerhard Schröder à l’origine du revenu de base. Quant aux « ressources limitées de l’Etat », il est permis d’en douter lorsqu’on prend en considération les sommes colossales qui sont investies dans l’agence fédérale pour l’emploi dont les cent cinquante succursales et six cents antennes emploient plus de 110.000 personnes, un personnel pléthorique qui est, dans la plupart des cas, dans l’incapacité d’aiguiller les chômeurs vers des emplois ou des formations conformes à leurs capacités physiques ou intellectuelles.

Pour Maria Loheide de la Diakonie, les visées de la CDU sont à la fois « irresponsables et populistes« .

Loin de la réalité du terrain

Il va sans dire que la prise de position de Carsten Linnemann n’est pas restée sans réaction. Selon le chef du parti social-démocrate (SPD), il s’agit d’une « attaque contre l’Etat social », un point de vue partagé par sa collègue de l’Alliance/les Verts qui estime que « le concept de la CDU est conçu pour créer des sentiments contre les personnes ayant peu de moyens. » Des propos similaires sont tenus par les deux plus grandes associations ecclésiastiques Diakonie et Caritas, qui pour être en contact permanent avec les premières personnes concernées savent de quoi elles parlent et sont convaincues que ce n’est pas de gaîté de cœur que des milliers de citoyens de tous âges et de toutes nationalités viennent frapper à leurs portes. Pour Maria Loheide, membre du conseil d’administration de Diakonie, les propositions de la CDU sont à la fois « irresponsables et populistes », un avis partagé par la présidente de Caritas, Eva-Maria Welskop-Deffaa, qui rappelle que pour 18% des bénéficiaires du « Bürgergeld », soit 700.000 allocataires, travailler est impossible, soit parce qu’ils n’ont pas trouvé de place dans les crèches, soit parce qu’ils doivent s’occuper d’un proche, âgé ou handicapé, ou soit parce qu’ils sont inscrits dans une école. Et c’est justement pour toutes ces raisons que la Cour Constitutionnelle Fédérale avait rendu en 2019, sous l’ère Merkel (!) un jugement très clair selon lequel le minimum vital doit être protégé et respecté par tout gouvernement fédéral. kb

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