La « crise » migratoire : une aubaine pour l’économie allemande

Allemagne/Ukraine – Dans les quinze prochaines années, plus de quinze millions de personnes actuellement actives vont partir à la retraite en Allemagne mais sur la même période à peine douze millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes auront atteint l’âge de travailler . Quand bien même cette jeune population commencerait-elle à se mettre à l’ouvrage dès la fin de sa scolarité, ce qui n’est pas garanti, étant donné que de nombreux métiers nécessitent des formations très longues, elle ne parviendrait pas à remplacer les baby-boomers amenés à cesser leurs activités.

Des dizaines de milliers d’Ukrainiens sont arrivés en Allemagne au lendemain de l’annexion de leur pays par la Russie.

Très bien venus en Allemagne

Un tel scénario aurait des conséquences dramatiques sur l’avenir économique de la République Fédérale et la croissance dont elle a besoin pour conserver son leadership en Europe et son rang de quatrième puissance économique mondiale. Tous les secteurs professionnels ou presque souffrent déjà d’un manque de personnels qualifiés ou spécialisés et selon les projections du ministère du travail le nombre total de travailleurs disponibles risque de diminuer de plus de cinq millions d’ici le milieu des années 2030. Le gouvernement de coalition, la majorité des Parlementaires, des représentants des collectivités territoriales mais aussi de la société civile sont conscients de cette future réalité. Tous ces représentants de la République sont également majoritaires pour reconnaître que l’immigration sera le seul moyen de combler de déficit de main d’oeuvre. Le Bundestag a récemment organisé une séance extraordinaire afin de prévoir la mise en application d’un certain nombre de réformes dont la plus importante va consister à simplifier la procédure d’octroi des visas d’entrée sur le territoire et des titres de séjour pour les personnes susceptibles d’entrer sur le marché du travail. Si une loi dans ce sens était adoptée, cela signifierait la reconnaissance de plein droit de la migration économique. Jusqu’à présent il faut avoir un contrat de travail avec un employeur allemand avant d’arriver en Allemagne pour y séjourner en tant que travailleur. S’inspirant du modèle canadien, la RFA prévoit de mettre en place un système de points qui permettrait à toute personne étrangère ayant une expérience professionnelle dans son pays d’origine et de bonnes connaissances de la langue allemande, de venir chercher du travail en Allemagne. Elle serait alors titulaire d’une « carte des chances » qui l’autoriserait à rester plus longtemps sur le territoire.

La politique de bienvenue d’Angela Merkel saluée par les premiers concernés.

La migration économique devient une nécessité

Avec ce projet de loi, le gouvernement espère attirer chaque année 75.000 travailleurs qualifiés de plus qu’à l’heure actuelle, un nombre modeste comparativement aux 400.000 salariés supplémentaires dont le pays va avoir besoin chaque année dans un avenir proche pour combler le déficit démographique. Selon l’Office Fédéral des Statistiques, fin 2022, 351.000 étrangers originaires de pays non membres de l’Union Européenne sont venus en Allemagne pour y travailler avec un titre de séjour temporaire c’est-à-dire susceptible de ne pas être renouvelé. Tous sont souvent soumis à une bureaucratie lourde et tatillonne, ce qui pèse lourdement sur le budget de l’Etat. En aménageant la législation sur l’asile, les titres de séjours et les autorisations de travail, le gouvernement va devoir redoubler de prudence pour ne pas ostraciser les demandeurs d’asile en provenance de pays en guerre et qui ne possèdent pas les atouts que les autorités allemandes attendent d’eux pour intégrer le marché du travail. La RFA a accueilli l’an dernier environ un million de réfugiés ukrainiens et quelque 250.000 demandeurs d’asile en provenance d’autres pays à des fins humanitaires. Parmi les premiers, 762.000 étaient en âge de travailler et selon l’Agence Fédérale pour l’Emploi, 129.000, soit 16,9% ont déjà trouvé un emploi à temps plein, 30.000 (3,9%) à temps partiel, 164.000, soit 21,5%, se sont inscrits à des cours de langue, de formation ou de soutien, prouvant ainsi leur désir d’intégration. 460.000, soit 60,3%, en ont fait de même auprès des agences pour l’emploi dont la mission consiste à les aiguiller vers les branches d’activités manquant cruellement de personnels. Le problème crucial face auquel l’Allemagne est confrontée est son manque flagrant de main d’oeuvre nationale, dont le potentiel est, à court et moyen termes, déjà épuisé car dans la tranche des 25-59 ans, les taux d’activité s’élèvent à 92% chez les hommes et 83% chez les femmes et, selon l’Office des Statistiques des données similaires sont enregistrées chez le étrangers en provenance de l’Union Européenne. Autre difficulté qu’il sera difficile pour l’Allemagne d’occulter est la place prépondérante qu’occupe la communauté turque dans le vie économique. Avec près de 1,5 million de ressortissants, elle est de loin la plus puissante du pays mais étant donné que l’âge moyen de ses membres est de 46,7 ans, dans quinze ans la plupart d’entre eux aura elle-aussi atteint l’âge légal d’accès à la retraite.

Nancy Faeser, ministre de l’Intérieur, très fière de sa future réforme du marché du travail.
Rainer Dulger, président du patronat allemand : il espère que l’intendance suivra.

Le pari gagné d’Angela Merkel

Les données concernant l’Ukraine sont naturellement encourageantes car elle prouve qu’il est possible en l’espace de quelques mois d’intégrer un nombre conséquent de personnes qui acceptent d’exercer des professions boudées par les autochtones y compris lorsque ces dernières ne correspondent pas à leur formation. Des médecins ayant exercé à Kiev ou à Louhansk qui se retrouvent chauffeurs de bus à Berlin ou à Hambourg ne sont pas des exceptions. Toutefois, personne ne sait sous quelle forme va évoluer la diaspora ukrainienne. Est-elle temporaire ? Va-t-elle se pérenniser ? Dans le cas de cette première hypothèse, l’Allemagne risquera alors de se retrouver à court terme dans la même situation qu’à l’heure actuelle. Dans le second cas, cette même Allemagne se verra accuser de freiner la reconstruction de l’Ukraine qui, quelle que soit l’issue du conflit, va avoir besoin d’une forte main d’oeuvre couvrant tous les secteurs d’une économie ravagée par la guerre. Le président Volodymyr Zelenski s’est en effet fixé comme objectif prioritaire le retour de son peuple dans le pays, ce qui n’est toutefois pas garanti si les hostilités s’éternisent. La plus grande marge de manœuvre demeure celle des migrants du Proche et Moyen Orient. Les plus nombreux d’entre eux sont originaires de Syrie et constituent le seconde plus grosse communauté d’étrangers après les Turcs. 923.805 Syriennes et Syriens vivaient en Allemagne fin 2022, soit 228.000 de plus que les Afghans, Irakiens, Iraniens et Libanais confondus (1). A partie du début de l’année 2015, l’Allemagne a été, sans discontinuité, le pays à avoir accueilli le plus grand nombre de personnes fuyant ces territoires en guerre permanente. Cette politique de bienvenue prônée par l’ex-Chancelière Angela Merkel pour ne pas été comprise a fait l’objet de vives critiques notamment de la part du parti d’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland) qui l’a utilisée pour rameuter ses troupes. Il s’avère aujourd’hui que l’ancienne cheffe du gouvernement n’a pas à rougir de ses choix et les dernières données publiées par l’Agence Fédérale pour l’Emploi révèlent que 34% de l’ensemble des ressortissants des Proche et Moyen Orient ont un emploi, pourcentage qui s’élève à 78% chez les 15 à 20 ans, ce qui signifie que les plans de formation mis en place par les autorités et les entreprises allemandes ont porté leurs fruits. Ces résultats vont encourager le gouvernement à faciliter l’arrivée de migrants, non pas pour des raisons humanitaires, mais dans le but de leur fournir un travail demandé. La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, parle d’un « changement de cap » qui va faire de l’Allemagne « le pays des droits d’immigration le plus moderne au monde ». Depuis plusieurs années, ce sont naturellement les entreprises quelles que soient leurs tailles, qui souffrent des difficultés à trouver la bonne personne occupant le bon poste. Beaucoup sont obligées de renoncer à des commandes ou à participer à des appels d’offres car elles craignent de ne pas pouvoir respecter leurs engagements. Le président du syndicat des employeurs, Rainer Dulger, compte parmi les premiers à se réjouir de ce tournant tout en croisant les doigts pour la logistique suive. Il plaide par ailleurs pour une grande flexibilité des horaires de travail mais aussi pour l’abolition de la retraite à 63 ans, une erreur selon lui, car les salariés les plus expérimentés resteront toujours les mieux placés pour former les nouvelles générations. kb (Nombre de mots : 1371)

(1) En 2022, la population étrangère hors Union Européenne, comptait dans ses rangs 271.805 Afghans, 259.500 Irakiens, 123.400 Iraniens, et 41.090 Libanais.

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