L’accueil de réfugiés ukrainiens : l’exemplarité tchèque

République Tchèque/ Ukraine – Bien que sa population dépasse à peine les dix millions d’habitants, la République Tchèque a accueilli quelque 500.000 réfugiés ukrainiens, prouvant ainsi qu’elle est le pays le plus hospitalier de l’Union Européenne. On peut qualifier d’exemplaire la façon dont ce pays a géré cette crise migratoire inédite depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Et s’il a en été ainsi, c’est parce que la République Tchèque, davantage que tout autre territoire européen, s’est distinguée par son intuition, convaincue qu’elle était que les velléités expansionnistes de Vladimir Poutine risquaient de n’avoir aucune limite. Le Printemps de Prague est encore profondément ancré dans la mémoire collective tchèque et « l’opération spéciale » menée par le chef du Kremlin n’a pas été une surprise mais plutôt une redite de 1968. 54 ans plus tard le contexte n’est plus le même, la République Tchèque est membre de l’Union Européenne et de l’OTAN, ce qui ne l’empêche pas, tirant les leçons de son propre passé, de jour sa propre partition. Les Tchèques ont tout mis en œuvre pour que les Ukrainiens ne vivent pas ce qu’eux-mêmes ont enduré il y a plus d’un demi-siècle. A l’inverse de la plupart des membres de l’Union Européenne, elle s’était préparée à une possible intervention militaire de la Russie et cette intuition a contribué à une réaction immédiate sur le plan militaire mais aussi et surtout humanitaire.

Vit Rakusan, ministre tchèque de l’Intérieur: grâce à lui, les réfugiés ukrainiens se sont sentis presque chez eux.

Une réaction quasi immédiate

A peine deux jours après l’annexion de l’est de l’Ukraine et l’arrivée massive de réfugiés le plan de soutien élaboré précédemment par le ministre de l’intérieur, Vit Rakusan, a pu entrer en application. Ce plan, soutenu par toutes les formations politiques, y compris celles réputées jusque là pour leur « russophilie », a permis d’enclencher toutes les mesures d’urgence approuvées par une population qui, dès le 24 février, a fait preuve d’une solidarité sans borne à l’égard d’un peuple auquel elle s’est identifiée. Le ministre Vit Rakusan a commencé par s’adresser aux membres de la diaspora ukrainienne implantée dans son pays et leur a conseillé de contacter leur entourage et leur famille pour les informer que la République Tchèque était disposée à les accueillir. Cette initiative explique sans aucune doute le nombre très important de réfugiés venus d’Ukraine où de partout dans le pays-hôte les attendaient des structures d’accueil dont la logistique avait été mûrement réfléchie. Pour décongestionner la capitale où ils sont majoritairement arrivés, les migrants ont été répartis en fonction de l’importance démographique des provinces et de leur potentiel économique. Les employés des dix-sept centres d’accueil et d’assistance, incluant des policiers, des pompiers, des personnels soignants et des enseignants, tous épaulés par des dizaines voire des centaines de bénévoles, ont veillé à ce qu’en l’espace de quelques semaines, les nouveaux arrivants ne se sentent pas sur une terre étrangère mais au contraire dans un territoire foncièrement solidaire. Les autorités ont mené leur action par étapes successives dont la première a consisté à délester les nouveaux arrivants des contraintes administratives généralement de règle dans ce genre de situation. Tous ont obtenu un statut de protection, des visas temporaires valables dans tous les pays de l’Union Européenne et des titres de séjour les autorisant à travailler. Des logements provisoires ont été construits afin de leur garantir un minimum de confort. A l’inverse de ce qui s’est produit dans d’autres pays, les problèmes liés à l’hébergement des réfugiés ont été relativement bien maîtrisés grâce à l’importance de la diaspora ukrainienne (1) mais aussi à la solidarité des Tchèques à l’égard d’un peuple qui sur de nombreux point est proche du leur. En vivant chez l’habitant, les réfugiés ont pu rapidement se familiariser avec la langue tchèque. Une des priorités a consisté à protéger au mieux les familles et plus particulièrement les enfants, dont 86% ont été scolarisés quelques jours à peine après leur arrivée. Afin qu’ils puissent intégrer le système scolaire, les autorités sanitaires ont engagé une vaste campagne de vaccination contre le Covid mais aussi d’autres maladies, dont la tuberculose une affection contre laquelle de nombreux adultes n’étaient pas, eux-aussi, immunisés. Pour éviter leur traumatisme, deux formes d’enseignement ont été élaborées, soit les enfants participent à des cours d’adaptation assurés dans leur langue d’origine pour rejoindre par la suite les classes tchèques, soit ils intègrent des classes où l’enseignement est assuré en Ukrainien par un corps enseignant également ukrainien recruté parmi les professeurs émigrés. Etant donné qu’environ un tiers des réfugiés doit être scolarisé, les autorités tchèques reconnaissent que le système éducatif pourrait rapidement atteindre ses limites si avait lieu une nouvelle vague d’immigration.

Des populistes de mauvaise foi

Le gouvernement tchèque est contraint toutefois d’avancer prudemment dans sa politique de soutien aux réfugiés ukrainiens car le risque est grand, qu’à une période d’empathie succède une phase de rejet. Le scepticisme des Tchèques voire leur aversion à toute forme d’immigration lors de la crise migratoire de 2015 fragilise la politique menée actuellement, laquelle est déjà mise à l’épreuve par certains membres de l’opposition populiste qui l’utilisent pour remobiliser leurs troupes. C’est le cas notamment de l’ancien Premier Ministre Andrej Babis, fondateur du parti ANO, qui affirme que l’équipe gouvernementale actuelle « aide les réfugiés ukrainiens aux dépens des citoyens tchèques. » Sur les réseaux sociaux, il a été à maintes reprises prétendu que les Ukrainiens percevaient des aides supérieures aux retraites. Des propos qui ont été immédiatement démentis par le ministre des Affaires Etrangères , Jan Lipavsky qui a rappelé que « les dépenses pour les réfugiés ukrainiens ne représentent qu’un fraction de l’aide financière totale que le gouvernement a mis à la disposition des citoyens tchèques pendant la crise énergétique et financière. » De son côté le ministère des finances a précisé que le tiers de l’aide globale vouée aux Ukrainiens (1,2 milliard d’euros) a été consacrée à l’aide sociale des réfugiés, soit 200 euros par mois et par personne inactive. Ce que les opposants au gouvernement se gardent bien de mettre en avant, est le fait que l’Etat n’a pas que des dépenses avec les réfugiés mais aussi qu’il engrange des ressources qui sont tout sauf négligeables. Selon Zbynek Stanjura, ministre des Fiances « l’Etat a déjà encaissé quelque 350 millions d’euros grâce aux impôts et taxes acquittés par les Ukrainiennes et Ukrainiens ayant trouvé un travail » ce qui lui permet d’ajouter que « le coût des réfugiés ukrainiens sera moins élevé qu’initialement prévu ». Si ces mêmes réfugiés se sont aussi rapidement intégrés c’est d’une part parce qu’ils ont pu rapidement maîtriser la langue tchèque, sous de nombreux aspects analogue à la leur, d’autre part parce qu’ils ont accepté, sans rechigner, des emplois dont leur pays d’accueil avait besoin, y compris lorsque ces derniers ne correspondaient ni à leur formation, ni à leurs attentes. De nombreux arrivants acceptent d’occuper des emplois sous-qualifiés et mal payés car leurs diplômes ou leurs certificats de travail ne sont pas reconnus ou acceptés. Une réalité que le président de l’Union du Commerce et du Tourisme, Tomas Prouza, est le premier à déplorer car les Ukrainiens représentent selon lui un énorme atout pour l’économie tchèque qui, à l’instar de l’Allemagne, manque cruellement de main d’oeuvre, son taux de chômage avec 2,2% étant le plus bas de l’Union Européenne. T.Prouza recommande au gouvernement de se concentrer sur ce potentiel et sur la manière appropriée de l’exploiter. On peut faire confiance à l’équipe gouvernementale actuelle pour mener à bien cette mission sans qu’elle porte préjudice à la future économie ukrainienne. Ce serait en effet le pire des scénarios que de voir des millions de ressortissants ukrainiens rester dans les territoires qui les ont accueillis plutôt que de repartir dans leur pays pour le reconstruire. ls (Nombre de mots : 1.300)

(1) Avant le conflit, la diaspora ukrainienne en République Tchèque comptait plus de 160.000 membres, faisant de cette communauté la plus importante minorité étrangère du pays.

error: Content is protected !!