La corruption tue toujours en Roumanie

Roumanie/UE – La petite ville de Crevedia, située à une vingtaine de kilomètres au nord de Bucarest a été cette semaine au coeur de l’actualité à cause d’une explosion qui a détruit une station de gaz de pétrole liquéfié.

Au cours des dernières années, des riverains avaient alerté à plus reprises les autorités car ils s’interrogeaient sur les fréquentes odeurs de gaz qui s’échappaient de ce site auquel se rendaient des clients pour faire le plein de leur véhicule ou pour s’approvisionner en bonbonnes de gaz à usage domestique. L’explosion a fait trois victimes dont le couple ayant lancé l’alerte. Le mari est décédé d’un arrêt cardiaque après avoir vu son épouse brûlée vive. Plus de cinquante blessés, dont trente neuf pompiers, ont été hospitalisés, certains dans un état très grave, ce qui laisse supposer que le bilan risque de s’alourdir.

Les forces de sécurité ont payé un lourd tribut lors d’une explosion qui aurait pu être évitée.

Des inspections pour des prunes !

En 2020, cette station service avait fait l’objet d’un contrôle au cours duquel des conditions d’exploitation douteuses avaient été constatées. Les normes de sécurité n’ayant pas été respectées, la licence fut alors retirée au propriétaire. Ce dernier se plia aux injonctions mais pour contourner la législation, il décida d’ériger des clôtures, ce qui lui permit de poursuivre ses activités illicites à l’abri des regards indiscrets. Est-ce une cigarette mal éteinte, une conséquence de la canicule ou l’utilisation d’une pompe fabriquée de manière improvisée ? Toujours est-il que ce qui était prévisible et craint par les riverains, s’est produit en ce 27 août 2023 au cours duquel les habitants de Crevedia ont entendu des explosions à répétition comparables à un bombardement. Les forces de sécurité, pompiers, gendarmes et militaires réunis, ont mis leur avenir en péril pour sauver des vies et limiter les dégâts, et ce sont parmi elles qu’a été enregistré le plus grand nombre de victimes. Certaines ont dû être transportées en urgence par des avions militaires à partir de l’aéroport Otopeni de Bucarest dans des hôpitaux spécialisés dans les soins prodigués aux grands brûlés, implantés parfois à l’étranger.

Les années se suivent et se ressemblent

Cet événement a déjà permis aux Roumains de se remémorer l’incendie de la discothèque Colectiv, laquelle avait été, en 2015, la proie des flammes. Ce drame dont le bilan se solda avec la mort de 65 jeunes gens et plus de 150 blessés, avait suscité alors une vague d’indignation et provoqué des manifestations de masse dans tout le pays et ce, jusqu’à ce que le Premier Ministre social-démocrate de l’époque, Victor Ponta, daigne remettre sa démission. Dans ces deux cas, les catastrophes auraient pu être évitées et si elles ne l’ont pas été, c’est tout simplement parce que l’exécutif roumain est dans l’incapacité de protéger la population. Quels que soient les partis qu’il représente, ce même exécutif est toujours guidé par la corruption, les intrigues, les batailles partisanes, le copinage, l’incompétence et surtout l’indifférence à l’égard de ceux qui l’a hissé au sommet de l’Etat. Mais c’est aussi parce que les institutions européennes, sont complices de ces agissements. Plutôt que de se focaliser sur les entraves à l’Etat de droit en Pologne et en Hongrie, il serait temps qu’elles se penchent sur les méthodes en vigueur dans la République de Roumanie. Faut-il rappeler qu’entre 2021 et 2017, il est prévu que ce pays de plus en plus déserté par ses forces vives, perçoive quelque 70 milliards d’aides européennes ? Le moment n’est-il pas venu de contrôler de manière rigoureuse l’usage qui est fait de cette manne financière ? Il ne faut en effet pas oublier que l’incendie de Crevedia n’est qu’un tout petit bout visible de l’iceberg. Des établissements qui, à l’instar de la station-service, n’ont pas d’autorisation pour être exploités, le pays en compte des milliers. On l’a constaté cet été avec cette terrible affaire des « foyers de l’horreur » (1) qui a mis à jour une maltraitance de règle dans de nombreuses maisons de retraite et centres d’hébergement pour handicapés. Et chaque fois que de tels actes sont révélés au grand public, on assiste à la même ritournelle qui consiste pour les hauts fonctionnaires responsables et leurs ministres de tutelle à s’apitoyer sur le sort des victimes et promettre que « ça ne se reproduira plus !« . Or, chacun sait que cet engagement ne sera jamais tenu car il ne se passe de mois voire de semaines sans qu’un nouveau fait divers sordide ne soit relaté par la presse. En juillet dernier, à Urziceni, ville située à 60 kilomètres de Bucarest, une femme enceinte dont l’accouchement se présentait mal s’est vue interdire l’entrée de l’hôpital et elle a dû accoucher seule dans une allée extérieure. Quelques semaines plus tard, une jeune Roumaine de 25 ans enceinte de trois mois de son quatrième enfant a été transportée en urgence à l’hôpital de Botosani (3) à cause d’une hémorragie. Alors que son état se détériorait de minute en minute, aucun médecin, ni aucune infirmière n’a été en mesure de la prendre en charge et elle est décédée sept heures (!) plus tard, laissant derrière elle trois jeunes orphelins.

Des institutions incontrôlées car incontrolables

Mais le fait-divers le plus sordide dont les Roumains ont eu récemment connaissance, concerne cette jeune fille de 15 ans, qui après avoir été kidnappée par un prédateur sexuel, était parvenue après plusieurs tentatives à joindre la police par le truchement du numéro d’urgence (le 112). Mais plutôt que de lui venir en aide, l’opératrice en ligne l’a priée de « cesser de mobiliser la ligne pour des choses inutiles !« . Quelques instants plus tard, le jeune adolescente était assassinée. A dates régulières la presse met à jour des actes dont on ne peut imaginer un seul instant qu’ils puissent de produire en Europe. Le cas de la tragédie de Crevedia est exemplaire car il illustre parfaitement la façon dont fonctionne un système fondé sur le népotisme. Depuis trois ans, la station-service partie en fumée est gérée par le fils d’un ponte régional du parti social-démocrate qui en est l’actionnaire majoritaire. De ces connexions sont nés des contrats approvisionnement avec de nombreuses administrations, ce qui explique la raison pour laquelle l’entreprise est restée en activité malgré la suspension de sa licence. Les institutions publiques évitent de contrôler de telles sociétés pour ne pas entraver les affaires. Souvent, les contrôleurs sont d’anciens proches collaborateurs d’hommes politiques influents. Des dépendances et des réseaux de protection mutuelle et de bienfaiteurs réciproques se créent. Les illégalités ne sont pas sanctionnées, les responsables ne sont pas punis lorsqu’ils commettent des erreurs. Dans la plupart des cas, les tragédies en Roumanie se situent au bout d’une longue chaîne ramifiée d’actes de corruption dont les personnes impliquées sont convaincues qu’elles ne seront jamais découvertes. Elles se sentent intouchables dans leur zone d’influence face à un Etat qui semble absent et défaillant, ou du moins qui ferme les yeux sur la corruption et l’incompétence. Les observateurs parlent même d’une complicité entre l’Etat et des structures mafieuses au sein des institutions étatiques. Et que reste-t-il après une telle catastrophe ? Aux yeux de nombreux Roumains, il n’y a pour l’instant que la certitude que la prochaine ne tardera pas à arriver. (Source : adz/ Adaptation en français: pg5i/vjp)

(1) Nous avons consacré plusieurs articles les 13, 14, 15 et 19 juillet derniers à cette affaire qui a eu un retentissement national.

 

 

 

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