Interdire l’AfD : une idée saugrenue !

Allemagne – Tous les sondages publiés au cours de derniers mois classent le parti d’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland) au second rang des formations politiques les plus appréciées du pays.

Depuis qu’elle a été nommée présidente du groupe AfD au Bundestag en 2017 et coprésidente du parti deux ans plus tard, Alice Weidel se fait un devoir de remettre en cause toutes les décisions prises par les gouvernements en fonction, qu’ils soient de gauche ou conservateurs.

Si on se fie à ces enquêtes d’opinion, si des élections législatives avaient lieu actuellement, l’AfD s’accaparerait au moins 20% des suffrages, soit nettement plus que les partis actuellement au pouvoir, dont le parti social-démocrate SPD (18%) et celui des Verts qui, avec 13%, réaliserait l’un de ses plus mauvais scores. Le bloc d’opposition qui regroupe la CDU et la CSU (Unions Chrétienne-Démocrate et Chrétienne-Sociale) stagnerait à 28%. Ces sondages ne font que confirmer une phénomène perceptible depuis plusieurs années dans le pays, en l’occurrence la défiance des Allemands à l’égard des partis traditionnels. Mais ces derniers, plutôt que d’en chercher l’origine, cherchent à interdire purement et simplement le parti qui les gêne. C’est ainsi que le député CDU Marco Wanderwitz a adressé une lettre aux membres de son groupe au Parlement dans laquelle il précise qu’à son avis, « toutes les conditions sont réunies pour une interdiction de l’AfD ». Selon lui, ce parti « met sans cesse la hache dans les fondements de notre démocratie, agit de manière agressive et combative contre l’ordre fondamental, libéral et démocratique ». Or, d’après la loi fondamentale, un parti est considéré comme anticonstitutionnel lorsqu’il met en danger l’existence de la République Fédérale d’Allemagne, ce qui ne semble pas être le cas. Ce n’est pas parce que quelques fonctionnaires de haut-rang dénigrent régulièrement leurs adversaires politiques ou parce que quelques députés de l’AfD sympathisent avec certains de leurs homologues d’Europe de l’Est doutant de l’Holocauste, que la RFA est en danger. Avant de tenter une procédure d’interdiction, les parlementaires de la CDU devraient tout d’abord se pencher sur l’histoire de leur très chère République libérale et démocratique. Ils constateraient alors que depuis la création de la RFA, seuls deux partis ont été interdits, le Parti Socialiste du Reich néonazi en 1952 et quatre ans plus tard le Parti Communiste Allemand. Plus récemment les gouvernements successifs de Gerhard Schröder (SPD) puis d’Angela Merkel (CDU) ont tenté de mettre fin aux activités du minuscule parti d’extrême-droite NPD mais il n’y sont pas parvenus, bien qu’ils aient engagé de multiples procédures. Dans ce genre de contexte, toutes les formations politiques traditionnelles et historiques marchent sur des œufs, car essayer d’interdire un parti qui mobilise le cinquième de l’électorat est la preuve flagrante de leur impuissance et de la faiblesse de leurs programme et discours. Une interdiction peut très vite s’avérer contre-productive car elle risque de renforcer les partisans de l’AfD dans leur conviction. Plus que jamais, ces derniers partiront du principe que leur parti avec ses contenus de droite a raison et qu’il doit être muselé. Censurer un parti, c’est faire de ses adeptes des martyrs; lesquels auront de toute façon d’autres moyens à leur disposition pour se faire entendre et ce par des discours et actes encore plus radicaux. A l’heure du numérique et des réseaux sociaux, les parlementaires de la CDU devraient prendre conscience qu’ils se battent contre des moulins à vent. L’AfD, à l’instar de tous les mouvements dits d’extrême-droite en Europe, n’est pas un mouvement homogène. Elle possède un noyau dur, un certain nombre de cadres ouverts au dialogue mais aussi et surtout des centaines de milliers de suiveurs et suiveuses, qui peuvent très vite changer de camp à condition que les dirigeants aillent à leur rencontre et daignent les écouter. Une réelle ouverture au débat serait plus utile qu’une tentative d’interdiction vouée de toute façon à l’échec. Kb

 

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