Instauration d’une « Journée des vétérans » : une initiative saluée et contestée

Allemagne – Depuis qu’il a pris les rênes du ministère de la Défense, Boris Pistorius ne cesse d’alerter ses compatriotes sur les risques de guerre que fait peser sur eux le chef du Kremlin. A l’entendre,  de plus en plus d’Allemands ayant vécu la guerre froide ont l’impression de revivre cette époque au cours de laquelle il ne se passait de jour sans que ne soit évoqué le « péril rouge ».

Boris Pistorius photographié ici lors d’un entrainement militaire.

Cette vision apocalyptique d’un futur proche ne cesse d’inspirer le ministre et de cette cogitation lui est venu l’idée d’instaurer une «Journée National des Vétérans» , une initiative saluée, singulièrement, par les trois partis au pouvoir, dont les Verts pourtant historiquement connus pour leur distance à l’égard du militarisme sous toutes ses formes, mais aussi par les formations d’opposition que sont l’Union Démocrate Chrétienne (CDU) et la très conservatrice Union Sociale-Chrétienne (CSU). Dans un communiqué commun soumis au Bundestag, il est précisé que cette Journée des Anciens Combattants a pour principal objectif de « promouvoir la compréhension et la prise de conscience dans la société des réalisations , des privations et des sacrifices associés au service militaire ». Selon Merle Spellerberg, membre de l’Alliance/les Verts, il s’agit de « rendre hommage de manière appropriée au service militaire, à l’engagement et aux réalisations des soldats de la Bundeswehr qui sont ou ont été déployés ». Les initiateurs ont également choisi à l’unanimité la date, le 15 juin, un mois crucial dans l’histoire contemporaine allemande car c’est en juin que se déroula la révolte de 1953 réprimée par l’armée russe et c’est encore en juin, qu’eut lieu en 1990, la restitution des biens saisis en Allemagne de l’Est par le régime communiste. Tous ceux qui ont combattu, de gré ou de force, sont concernés y compris les anciens membres de la Wehrmacht ou de la NVA (Nationale Volksarmee / armée de l’ex-RDA), mais à condition qu’ils aient poursuivi leur carrière dans la Bundeswehr. La qualité d’ancien combattant ne fait pas de distinction entre ceux qui se sont portés volontaires et ceux qui ont été soumis au service militaire obligatoire avant la suspension de le conscription en 2011. Ce large éventail concerne quelque dix millions de personnes.

Katina Schubert dénonce la glorification de la guerre.
Willi van Ooyen s’est pour mission de lutter contre la « belligérance suicidaire« .

Une initiative vivement contestée par la gauche

Le parti Die Linke (La Gauche) est le seul à s’être opposé à cette initiative qui ostracise tous ceux qui ont préféré, plutôt que de s’essayer aux armes et picoler dans les casernes, mettre à profit la conscription pour venir en aide à des personnes dans le besoin dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou les centres pour handicapés. «  Cette forme de journées de commémoration héroïques, comme les aimait le régime national-socialiste, favorise la militarisation de la société » a déclaré Katina Schubert à la tête de la direction générale du parti. A l’instar de ce qui se produit en France avec le défilé du 14 juillet, ce genre de manifestation coûte cher, très cher, et plutôt que de dépenser des sommes astronomiques dans ce type d’événements, il serait plus judicieux de les investir dans les soins prodigués à des soldats ayant été traumatisés lors de missions à l’étranger. C’est le cas notamment de tous ceux qui ont été stationnés en Afghanistan et qui souffrent toujours d’anxiété, de dépression et de relations brisées les privant à jamais d’un retour à une vie normale. L’assocation des persécutés par le régime national-socialiste et des antifascistes (VVN-BdA) se montre, elle -aussi, très sceptique. Selon sa présidente, Cornelia Kerth, le slogan de la Bundeswehr (« Faites ce qui compte vraiment ») est discutable en soi car « il glorifie l’entraînement à tuer et à mourir ». De manière encore plus sceptique à l’égard de cette journée des anciens combattants, s’exprime Willi van Ooyen, président de l’atelier de Francfort pour la paix, qui regrette que le militarisme et la guerre redeviennent la base de la politique allemande. Il est évident que l’instauration de cette journée en hommage à l’engagement militaire met à mal tous les mouvements qui ont fait de l’Allemagne au fil des décennies un pays de paix et de démocratie par excellence, un tournant que Van Ooyen est le premier à déplorer sans pour autant perdre espoir. Le moment est venu, déclare-t-il, « pour relancer un large front des Lumières contre la belligérance suicidaire ». kb & vjp (Nombre de mots : 724)

 

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