La gabegie des finances publiques n’a pas de frontière !

Agnès Saal et ses colossaux frais de taxi…

Allemagne/France/Autriche – Tous les pays démocratiques disposent d’une Cour des Comptes chargée du contrôle des finances publiques. Une des plus anciennes, telles qu’on les connaît aujourd’hui, remonte au début du 19è siècle et a été créée en 1807 par Napoléon.  Chaque année, ces organismes publient un rapport qui fait un jour durant la une des quotidiens et des journaux télévisées, puis avec un peu de chance l’objet d’articles plus détaillés dans des périodiques. En France, le premier président de la Cour des Comptes arrive, sur le plan protocolaire, naturellement loin derrière le président de la République, le premier ministre, les présidents du Sénat et de l’Assemblée Nationale, les anciens présidents de la République, le président du Conseil Constitutionnel et ceux  du Conseil Economique et Social et de la Cour de Cassation.  De présidents, la France à l’instar de ses voisins qu’elle a souvent inspirés, ne manque pas. Le président français de la Cour des Comptes s’appelle Didier Migaud, a été député dans de l’Isère, directeur de cabinet du président du Conseil Général de ce département, Louis Mermaz, devenu plus tard celui de l’Assemblée Nationale. Chaque année, on assiste au même rituel : M.Migaud est invité à commenter sur les plateaux TV le rapport qu’il vient de remettre au Président de la République. Et puis, il faut attendre douze longs mois pour le revoir à la même place pour nous égrainer les défauts de gestion les plus emblématiques. Que ce soit à Paris, à Berlin, à Vienne ou partout ailleurs, les présidents des Cours des Comptes sont toujours félicités par leurs chefs suprêmes qui les remercient d’avoir effectué un aussi brillant travail d’investigation.  Mais à l’opposé d’un évêque qui égraine son chapelet par souci de rédemption, les dirigeants ne tirent généralement aucune leçon des recommandations émises par cette institution dont on se demande souvent si elle a encore une raison d’être. Pis, les Cours des Comptes réitèrent les mêmes critiques plusieurs années consécutives sur les mêmes dossiers. Pour illustrer ce propos, comment ne pas citer le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin qui fait l’objet depuis bientôt dix ans de polémiques, de batailles de chiffres et provoquent des tensions politiques de chaque côté des Alpes.  Une chose est sûre, l’aboutissement de ce colossal chantier est conditionné par une enveloppe d’un montant scandaleusement plus élevé que celui prévu au départ. On en vient à se demander s’il n’eût pas été plus judicieux et peut-être moins coûteux que les deux pays concernés s’engageassent dans un tunnel sous la Méditerranée !

Des Allemands pas toujours bien organisés !

Mais la gabegie des finances publiques n’est pas l’apanage des nations latines. Le dernier rapport de la Cour des Comptes du land de Berlin Brandenburg a dressé ce printemps le même constat. Certes, les sommes en jeu sont insignifiantes par rapport à celles censées renforcer l’amitié franco-italienne, mais elles n’en demeurent pas moins inquiétantes. Avec Brème, Berlin est la ville la plus endettée d’Allemagne. C’est la raison pour laquelle, le Sénat et les maires qui se sont succédé depuis la Chute du Mur, s’efforcent de réduire le déficit. Ils ont engagé une politique d’austérité qui porte ses fruits  sur le plan comptable, la part du remboursement de la dette dans le budget de la ville étant passée de 16,2 à 9,9% entre 2009 et 2014, mais pose de nombreux problèmes sur le plan structurel. La Cour des Comptes s’en inquiète d’autant plus que le souci d’économie a conduit à des erreurs de gestion et de choix d’investissements qui a terme pourraient coûter cher à la capitale. Bâtie sur des marais, ce qui fait son charme et garantit son cadre de vie, elle est dotée de 821 ponts dont près des trois quarts (73,4%) doivent impérativement été restaurés. Beaucoup ont été bombardés,  reconstruits à la hâte et depuis peu rénovés. Les remettre aux normes va nécessiter plus d’un milliard d’euros. Autre dossier sensible : l’Opéra National Unter den Linden. Vitrine touristique et culturelle de Berlin, il devait rouvrir en 2013, il ne le sera (peut-être) qu’en 2017. Les travaux, évalués au départ à 239 millions d’euros, vont passer à plus de 400 millions, soit 67% de plus que les prévisions.  La Cour des Comptes, à maintes reprises, a dénoncé les changements d’orientation, architecturale notamment, qui ont abouti à des retards et d’importants frais d’études.

Une Autrichienne, championne toute catégorie des malversations

Agnès Saal, qui a été récemment démise de ses fonctions à la tête de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) pour s’être fait rembourser quarante mille euros de frais de taxi, fait figure de petite chanteuse d’opérette, comparée à Silvia Stantejsky, l’ancienne directrice commerciale du Burgtheater de Vienne. Le Burgtheater est à Vienne ce que la Comédie Française est à Paris : une institution. Construit par les  architectes Karl von Hasenauer et Gottfried Semper, dont l’opéra de Dresde porte le nom, ce théâtre, depuis son ouverture en 1888, a vu défiler la crème de la crème des metteurs en scène, des actrices et acteurs, des décorateurs et costumiers. Il est peut-être plus qu’une institution mais le symbole d’un pays qui a toujours considéré le théâtre comme un facteur essentiel de reconnaissance internationale. Lorsque Vienne fut bombardée, l’édifice détruit à 90% fut le premier à être reconstruit et il fut difficile lors de sa réouverture, dix ans plus tard,  de penser qu’il eût pu être anéanti. C’est dire si les Autrichiens y sont attachés et aucune voix à l’époque ne s’est élevée pour dénoncer les millions investis dans sa réhabilitation. Alors, naturellement, lorsque les Viennois ont appris que Silvia Stantejsky, la codirectrice en charge des finances, avait détourné plusieurs centaines de milliers d’euros, leur sang n’a fait qu’un tour et ils se sont sentis trahis. La Cour des Comptes autrichienne a découvert cette année des faits insensés qui se sont déroulés en 2013 et 2014. Sur ces deux exercices, la comptabilité a été tenue en dépit de tous les principes de gestion. Artistes payés au noir, détournement de fonds, 80% des acomptes versés sans justificatifs, bref les fonctionnaires de la Cour ont constaté des insuffisances à décorner un bœuf, des irrégularités qui ont permis à la direction de l’institution de rémunérer pour 11,77 millions de prestations en liquide.  Ce qui aurait pu être une très mauvaise pièce de boulevard, est devenu un drame interprété par une femme cynique accompagnée de rôles secondaires mais pas  totalement innocents, tels le directeur général Matthias Hartmann qui de 2006 à 2014 a perçu 2,23 millions d’euros pour des missions dont la Cour des Comptes n’a pu déceler la finalité, telle Claudia Schmied, alors ministre de la culture, qui, en 2012, a reconduit pour deux ans M.Hartmann à ses fonctions de directeur, alors que déjà la gestion du Burgtheater était suspecte.  Mais comparer  Agnès Saal avec Silvia Stantejsky n’est pas vraiment possible. Alors que la première s’est soumise aux sanctions, la seconde n’a rien  trouvé de mieux que de déposer plainte au tribunal du travail et des affaires sociales pour licenciement abusif. Elle aurait peut-être mieux fait de s’abstenir car cette affaire de gros sous suscite la curiosité du ministère public en charge de la lutte contre la corruption. Sans s’en rendre compte, la vipère se mord peut-être la queue à défaut de se mordre les doigts. vjp

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