Festival de Berlin : le serpent démocratique se mord la queue !

Allemagne – A l’occasion de chaque édition du festival de Berlin le tradition veut que les Sénateurs de la ville soient conviés à la cérémonie d’ouverture, quel que soit le groupe politique auquel ils appartiennent. Mais cette année le contexte est différent car ce rendez-vous cinématographique, le plus important au monde après celui de Cannes, se déroule dans un climat de tension savamment organisé par le parti d’extrême-droite AfD, lequel en prônant l’expulsion de tous les étrangers mais aussi des Allemands d’origine étrangère a provoqué l’ire de tous les mouvements et partis démocratiques.

Mariette Rissenbeek estime s’en être tenue aux règles protocolaires.
Kristin Brinker sera présente à la cérémonie d’ouverture. Elle fait partie de la branche modérée de l’AfD.

Depuis que cette affaire de  « rémigration » a éclaté au début du mois de janvier, on compte déjà par centaines le nombre de manifestions anti-AfD qui ont été organisées, souvent de manière plus ou moins spontanée, à travers tout le pays et souvent dans des villes de petite et moyenne tailles qui n’étaient pas habituées jusque- là à ce type de mobilisation. Tout se passe à ce jour en Allemagne comme si les citoyens lambda voulaient prouver à la face du monde que jamais, non jamais au grand jamais, ils accepteront de vivre demain ce que leurs ascendants ont subi dans les années 1930. Dans cette atmosphère rendue délétère par les extrémistes de droite, les artistes ne pouvaient rester silencieux et ils partent du principe que dans certaines circonstances il est des règles auxquelles il est urgent et indispensable de déroger. Et c’est en partant de ce principe que cinq cents réalisateurs et réalisatrices ont envoyé une lettre à la directrice du festival de Berlin, Mariette Rissenbeek, dans laquelle ils et elles lui demandent d’annuler les invitations envoyées aux Sénateurs AfD, lesquels, selon les signataires, n’ont pas leur place dans l’ouverture d’un festival dont les programmateurs, depuis sa création en 1951, se sont toujours efforcés de défendre la liberté d’expression de toutes les minorités, de ces minorités que l’AfD rêve de voir disparaître des scènes culturelle et médiatique. La directrice du festival a réagi en déclarant qu’elle n’avait fait que respecter le protocole qui précise que, parallèlement au ministre de la Culture, soient invités des Sénateurs dont le nombre varie en fonction de celui des sièges qu’ils occupent dans l’assemblée, lequel s’élève à seize (sur 159) en ce qui concerne l’AfD, ce qui représentait cette année cinq invitations.

Le producteur Jens Meurer est sceptique quant à la pétition de ses collègues réalisateurs. Il préfèrerait que les invitations soient envoyées aux cinéphiles plutôt qu’à des personnalités triées sur le volet.

L’AfD : plus qu’une alternative, une réalité

Deux ont été immédiatement déclinées par les récipiendaires, deux sont demeurées lettre morte et seule la cinquième envoyée à la Sénatrice Kristin Brinker a reçu une réponse favorable. Si une majorité du personnel de la Berlinale s’est déclarée choquée par la présence de représentants de l’AfD lors de la cérémonie d’ouverture, certains professionnels s’expriment quant à eux de manière moins incisive. C’est le cas notamment de Jens Meurer, directeur général de la société de production Egoli Tossell Pictures qui a apporté son point de vue au quotidien berlinois Berliner Zeitung. Selon lui, cette polémique s’inscrit en réalité dans « l’histoire du festival qui a toujours été ponctuée par des événements d’ordre politique.» On peut toutefois s’interroger à savoir, si le moment n’est pas venu de remettre en question ces manifestations élitistes que sont les cérémonies d’ouverture des événements culturels les plus emblématiques. Le fait qu’elles soient réservées à une minorité de quelques privilégiés n’est pas en soi un symbole de démocratie. Aussi louable soit-elle, l’initiative des réalisateurs risque de se retourner contre eux car, à preuve du contraire Mme Kristin Brinker a été élue, à l’instar de ses collègues, démocratiquement. Lui dénier sa présence à la cérémonie d’ouverture revient à juger toutes celles et tous ceux qui ont voté pour le parti qu’elle représente au Sénat. Or,  dans la capitale allemande, l’AfD n’est plus  une alternative, elle est devenue une réalité. Aux dernières élections, sur les 2,24 millions d’inscrits 226,000 ont voté pour elle, soit près de 10% des suffrages. Et Jens Meurer d’apporter son point de vue personne : « Si j’étais à la tête de la Berlinale, ce sont 50.000 cinéphiles berlinois que j’aurais invités pour montrer au monde où se situe Berlin en matière d’ouverture et de démocratie. » Pour éviter d’en rajouter une couche et se parer de toute nouvelle polémique, les organisateurs du festival ont choisi comme film d’ouverture un long-métrage, dont tout laisse à penser qu’il ne provoquera aucun remous. La production irlando-belge « Small Things Like These » réalisé par Tim Mielants, présentée en avant-première mondiale et en compétition, a en effet l’avantage d’être tiré d’un roman à succès éponyme de l’écrivaine Claire Keegan. Son scénario a été écrit par un autre auteur, également irlandais, de renommée internationale, Enda Walsh et quant au rôle principal, il a été attribué à Cillian Murphy, dont le talent allié au physique font de lui un des acteurs les plus sollicités au monde. De quoi calmer les esprits dans un climat de tension exacerbée depuis des mois par des activistes du climat, des agriculteurs en colère, des conducteurs de locomotives en grève sans oublier des querelles au sein d’une coalition gouvernementale qui donnent de plus en plus de fils à retordre au Chancelier. kb & vjp

error: Content is protected !!