La fabuleuse reconversion écologique de Hambourg

Allemagne – Grâce à un produit intérieur brut par habitant atteignant près de 77.000 euros, la ville hanséatique du nord de l’Allemagne est de loin la métropole la plus riche du pays. Cette spécificité ne porte toutefois pas en elle que des avantages mais au contraire de multiples inconvénients. Etant très riches, les Hambourgeois consomment beaucoup, s’équipent de grosses cylindrées et les plus privilégiés d’entre eux s’octroient des espaces dont est de plus en plus privée une grande majorité de la population. Cette situation devrait changer grâce à la révolution de la mobilité qui s’annonce et dont l’objectif va consister à enfin démocratiser l’espace public.

L’Alster, lac autour duquel a été érigée la ville, demeure le symbole et le ballon d’oxygène de Hambourg. Sur ses rives se concentrent les quartiers les plus huppés de la métropole. Il s’étend sur une superficie de plus de 180 hectares.

Espace libéré supérieur à la Principauté de Monaco

Jusqu’en 2030, les habitants de Hambourg vont voir leur ville se transformer de jour en jour. La limitation du trafic routier, engagée il y a plusieurs années pour réduire les pics de pollution va se poursuivre. Il est prévu d’interdire aux voitures l’accès à des kilomètres de rues, destinées à être réservées aux transports en commun ou à des pistes cyclables, de supprimer des places de stationnement, de fermer des parkings, qu’ils soient ou non souterrains et enfin de démanteler les stations services situées à proximité des zones habitées. Ces différentes mesures devraient permettre de libérer plus de 2,7 millions de mètres carrés au sol, soit une superficie supérieure à celles, cumulées, de la Principauté de Monaco et du Vatican. 74% de cette surface sont actuellement voués au stationnement extérieur payant, 23% au stationnement gratuit, 1,8% aux parkings couverts ou non et 1,2% aux stations-service. Comment peut-on reconfigurer tous ces espaces sans renouveler les erreurs commises par les générations précédentes et comment concilier cette métamorphose avec les enjeux du présent et du futur ? A ces deux questions le quotidien Tageszeitung a tenté d’y répondre en interrogeant des architectes et urbanistes impliqués dans le processus de reconversion de l’espace urbain.

Konrad Rothfuchs, un architecte qui aspire à faire de Hambourg un exemple en matière de gestion rationnelle des sols.

Une ville pour tous

Tous sont unanimes, le plus important est de savoir comment les habitants de Hambourg utilisent leur espace et surtout comment ils s’y déplacent ? Ces deux questions les autorités de la ville se les posent depuis de longues années. En 2008, une première étude avait eu pour objet d’estimer le nombre de kilomètres parcourus à pied, à bicyclette, par les transports en commun ou les véhicules motorisés (voitures et motos). Ce dernier mode de mobilité représentait alors 39% des déplacements, et n’a cessé de chuter pour ne pas dépasser en 2022 les 32%, ce qui signifie que moins d’un tiers des Hambourgeois utilise sa voiture pour se mouvoir. A ce rythme, en 2030, année butoir, ce sera alors moins de un sur cinq. Les grandes artères à quatre voies de circulation n’auront alors plus aucun sens, comme le constate le cabinet d’ingénieurs Argus Stadt und Verkehr qui conseille la municipalité. Cumulées, elles s’étendent à ce jour sur une distance de plus 564 kilomètres. Les faire passer de quatre à deux voies aboutirait à un gain en surface libre de plus 642.000 mètres carrés, ce qui autoriserait la plantation d’au moins 5.355 arbres. Ce qui vaut pour les grands axes routiers urbains, le vaut aussi pour de nombreuses voies d’accès, dont les moins fréquentées pourront aisément être réservées aux piétons et cyclistes avec éventuellement une seule voie vouée aux bus. L’objectif émis par Konrad Rothfuchs, planificateur et directeur d’Argus, consiste à transformer les quartiers de la ville en une mosaïque de villages. Tout avoir à proximité sans être obligé de faire des kilomètres pour acheter son pain, faire ses courses ou récupérer ses enfants à la maternelle, est le souhait exprimé par une grande majorité de la population. Attendre pendant une heure ou plus dans des bouchons pour faire ensuite la queue dans des hypermarchés, est un mode de vie dont les habitants ne veulent plus. Ces derniers ont pris conscience, lors de la pandémie, du rôle essentiel que jouent les commerces de proximité dans l’équilibre de la société. Toutes les enquêtes prouvent que les habitants souhaitent se réapproprier l’espace public mais l’un des plus grands défis auquel s’attelle la municipalité consiste à changer la destination des places de stationnement dont le nombre dépasse les 200.000, soit 2,11% de la superficie de la ville ou 15,95 kilomètres carrés. Il est prévu que 12,8% de cette surface soient sacrifiés au détriment du stationnement, soit plus de deux millions de mètres carrés. Les urbanistes ont pour objectif de profiter de cette transformation des espaces pour les diversifier et les rénover. Les pavés et le bitume qui empêchent l’infiltration des eaux pluviales seront remplacés par des revêtements facilitant l’entretien de parterres fleuris. Le tournant que s’apprête à prendre la ville hanséatique passionne architectes et urbanistes à l’instar de Sabine Rabe qui trouve « fantastique la longueur et la dimension des rues et leur possibilité de connexion. » Dans le cabinet auquel elle est associée, jaillissent chaque jour de nouvelles idées. Pour cette architecte environnementale, il faut profiter de cette opportunité et tout mettre en œuvre pour que les riverains apprennent à mieux se connaître et s’apprécier. Et lorsque les voitures symboles d’égoïsme, d’individualisme et souvent de mépris disparaissant, tout est possible pour redonner l’ espoir d’une vie réellement sociale. C’est ainsi que tout peut être imaginé et réalisé : des rues « spécialisées » dans le jogging, la marche à pied, l’apprentissage du vélo, des rollers ou du skate, des espaces réservés au street-art au sol et non plus seulement sur les murs, une immense jardin potager ouvert à tous, une école forestière, un poste d’observation de la faune et de la flore, des bassins à barboter pour les enfants susceptibles d’être transformés l’hiver en patinoires, un espace de gymnastique en plein air et pourquoi pas un champ de tournesols.

Des stations-service et parkings bientôt inutiles

Parallèlement à l’aménagement des rues, cours et boulevards, la municipalité travaille sur celui des stations-service et des parkings. Les premières dont le nombre s’élève à 202, occupent actuellement une superficie de 42.206 mètres carrés. Si on se fie aux prévisions en terme de vente de voitures électriques, celle-ci atteindra, en 2030, 16% du parc automobile et conduira à la fermeture de stations-service classiques qui occupent à ce jour 12.361 mètres carrés qui pourront être transformés en autant d’espaces fleuris. Plus difficile et hasardeuse s’annonce la reconversion des parkings qu’ils soient couverts ou à ciel ouvert. Des ouvrages qui, à Hambourg comme ailleurs, sont davantage des verrues que des joyaux dans le paysage urbain. A Hambourg, on n’en compte pas moins de 166 qui occupent une superficie de plus de 384.000 mètres carrés. A l’instar des stations-service, un nombre conséquent d’entre eux pourront être soit reconvertis après rénovation, à l’instar d’expériences tentées dans d’autre villes dont Berlin, soit détruits pour se métamorphoser en espaces verts. 

Planification d’un village urbain

  • Quand les Hambourgeois découvrent leur futur quartier.
Toutefois, malgré toutes les initiatives prises par le Sénat hambourgeois où sont représentés majoritairement les sociaux-démocrates et les Verts (1), le tournant énergétique et ses conséquences sur l’espace public ne suffiront pas pour mettre un terme aux problèmes liés à la densité urbaine. Hambourg a néanmoins des atouts dont est privée la plupart des autres métropoles. Grâce à sa superficie de 755 kilomètres carrés, soit sept fois supérieur à celle de Paris intra-muros, elle dispose encore de centaines d’hectares susceptibles d’être urbanisés. Sur cette voie, le land de Hambourg s’y est déjà engagé en 2017, année au cours de laquelle il a été envisagé d’ aménager le quartier d’Oberbillwerder, situé à 16 kilomètres de la gare centrale. Il est prévu, sur une superficie de 118 hectares, de construire entre 6,000 et 7.000 appartements, quatorze crèches, deux écoles primaires, un centre de formation, une salle des fêtes, un centre d’activités sportives et une piscine. Tous ces équipements seront dispatchés autour ou à l’intérieur d’un immense jardin public qui occupera 23% de la surface au sol, soit dix-huit hectares. La conception du quartier se réalise en concertation avec les futurs habitants dans le cadre de consultations publiques. Le quartier de Oberbillwerder (le 105ième de la ville) n’est pas destiné à devenir une nouvelle banlieue encore moins un ghetto mais plutôt un grand village urbain qui aura le double avantage de répondre à ce qu’on attend des bienfaits des vies citadine et rurale. Sur le plan architectural, les logements et immeubles, qu’ils soient sociaux ou non, seront d’apparences similaires afin d’occulter les différences sociales. Les voitures ne seront naturellement pas bannies à Oberbillwerder mais leurs propriétaires n’y seront plus les rois. kb & vp

(1) Historiquement, Hambourg a toujours été le pré-carré du parti social-démocrate. Sur les quatorze maires qui ont dirigé la ville depuis 1946, onze ont été des représentants éminents du SPD, à l’instar du Chancelier Olaf Scholz qui a occupé le poste entre 2011 et 2018. Lors de élections municipales de 2020, le SPD n’est toutefois pas parvenu, avec 55 sièges à obtenir la majorité absolue (62 fauteuils sur 123), ce qui l’a contraint à cohabiter avec l’Alliance-les Verts qui détient 33 sièges. La forte implication des écologistes dans la gestion de la ville explique les choix et paris faits dans le secteur de l’urbanisme.

 

 

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