Elvira Nabiullina : pourra-t-elle encore sauver le rouble ?

Elvira Nabiullina : elle est face à un nouveau défi de…taille !

Russie/Ukraine – La directrice de la banque centrale russe Elwira Nabiullina fait la une de tous les journaux financiers car c’est d’elle que dépendent les conséquences, soit catastrophiques, soit supportables pour la population que vont avoir les sanctions occidentales sur l’économie du pays. Depuis des années, elle sauve l’économie de l’effondrement grâce à sa politique. Mais cette fois, à cause de l’embargo sur le pétrole, sa mission risque d’être plus périlleuse que dans le passé. Pour l’instant, elle ne semble pas perdre la face comme l’explique Moskauer Deutsche Zeitung  (MDZ) partenaire de notre site.

« La Russie doit s’adapter à la nouvelle situation et modifier sa politique afin d’augmenter le niveau de vie des habitants du pays » a déclaré Elvira Nabiullina fin avril devant la Douma. « les Russes ne doivent pas avoir peur, car la Russie a des ressources, la Russie a toutes les ressources nécessaires. Il n’y a pas de menace de défaut de paiement », a souligné la patronne de la banque centrale russe devant les parlementaires, tentant par la même occasion de dissiper les craintes d’un scénario comparable à celui de 1998. A l’époque, la Russie n’avait pas pu honorer sa dette extérieure et avait plongé dans une grave crise qui avait appauvri de nombreuses personnes.

Nabiullina, 58 ans, est actuellement la personne la plus importante en politique intérieure et la femme du moment. C’est de son habileté que dépendra la capacité de la Russie à surmonter les nouvelles sanctions. Le président Vladimir Poutine fait confiance à la directrice de la banque centrale et en l’avenir grâce à elle pour maîtriser cette mission. Après avoir songé à quitter son poste en mars, selon l’agence de presse Bloomberg, Vladimir Poutine l’aurait dissuadée tout en la convainquant, le 18 mars, d’accepter une troisième mandat. « Le chef de l’Etat a loué à plusieurs reprises le travail de Nabioullina et de la banque centrale et a logiquement présenté sa candidature pour se reconduction« , avait alors expliqué le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov. Le 21 avril, la Douma a finalement approuvé la proposition du président.

D’un milieu modeste au sommet

L’ascension de Nabiullina jusqu’à devenir l’une des plus importantes politiciennes financières du monde n’était pas du tout prédestinée. Cette Tatare de souche est issue d’une famille d’ouvriers d’Oufa, la capitale du Bachkiristan. Le père chauffeur professionnel, la mère conductrice d’installations dans la construction d’appareils, on ne peut guère faire plus prolétaire. En 1986, elle a terminé ses études d’économie à l’université Lomonossov de Moscou qu’elle a poursuivies jusqu’à l’obtention d’un doctorat . « Je ne peux pas dire que j’étais attirée par l’économie. Je ne savais pas ce qu’était l’économie et j’ai été attirée par l’inconnu« , a déclaré Nabiullina en 2014 lors d’une interview avec le journaliste Vladimir Posner. Elle n’a dû être déçue,car s’il est une économie qui a été jonchée d’inconnues, c’est bel et bien celle de la Fédération de Russie qui a connu six crises économiques en trente ans !

Lorsqu’elle a été nommée à la tête de la banque centrale, à la surprise générale, la société et la presse avaient accueilli très positivement le choix de Poutine en 2013. Et le chef du Kremlin savait qu’il pouvait compter sur cette adepte des approches économiques libérales qui a été ministre du développement économique et conseillère du président. Elle a été par ailleurs la première femme à la tête d’une banque centrale dans les pays du G8.

Poutine voulait viser haut avec Nabiullina. On pensait qu’elle serait capable de lancer les réformes nécessaires pour transformer Moscou en un centre financier international. Mais après le rattachement de la Crimée en 2014, la directrice de la banque centrale a été sollicitée pour gérer la crise. Les sanctions de l’époque ont fait perdre au rouble la moitié de sa valeur. Nabiullina s’y est opposée de manière orthodoxe, a brûlé 70 milliards de dollars de réserves de devises et a augmenté le taux directeur à 17 pour cent. Et ce fut un succès. L’inflation a baissé, l’économie s’est rétablie et le rouble a gagné en force sans intervention de la banque centrale. Dans le même temps, elle a constitué l’une des plus grandes réserves de devises au monde, avec 643 milliards de dollars américains. Cette caisse bien remplie étant censée protéger l’économie d’éventuelles nouvelles sanctions.

Assainissement de nombreux secteurs financiers

Les compétences de Nabiullina ont également été remarquées à l’étranger. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, l’a comparée à un « grand chef d’orchestre » et le magazine sectoriel Euromoney l’a élue meilleure directrice de banque centrale en 2015. Régulièrement, Nabiullina est apparue dans la liste Forbes des femmes les plus influentes du monde, la dernière fois en 2021 à la 60e place.

« En Russie, Nabiullina entrera également dans l’histoire comme la personne qui a assaini le secteur bancaire » estime le portail spécialisé Delovoï Petersburg. Depuis 2013, 526 banques ont disparu du marché. Les licences de la plupart d’entre elles  ont été retirées mais « Nabiullina a pourtant fait beaucoup plus, estime Elena Stratjewa, directrice de la corporation professionnelle Microfinance et développement. en réglementant de nombreux segments de marché tels que les assurances, la microfinance, les retraites et les investissements.  Et d’une zone grise, on est passé à des secteurs ouverts et transparents » .

Se détourner de l’Occident

Parmi les grands projets de Nabiullina figurent également la « dédollarisation » et l’introduction du système de paiement « Mir », grâce auxquels la Russie entend devenir moins dépendante de l’Occident. Entre 2013 et 2021, la part des réserves en dollars a diminué d’un quart et la banque centrale a simultanément investi dans l’or et le yuan. Dès 2014, la BCR a pris les premières mesures en vue d’une infrastructure autonome. La menace d’une exclusion du système SWIFT en 2017 a fait avancer les plans. En mars, Nabiullina a annoncé lors d’une rencontre avec Poutine que plus de 90 pour cent des distributeurs automatiques de billets et des systèmes de caisse en Russie acceptaient le « Mir ». Si le trafic des paiements est ainsi assuré à l’intérieur du pays, les Russes n’en profitent guère en voyage. On ne peut payer avec une carte « Mir » que dans quelques pays. Et même là, seulement auprès de quelques banques.

La guerre en Ukraine change toutefois la donne car la BCR va être directement concernée et sa gouverneure va devoir redoubler d’imagination pour relever ce défi. (MDZ/ Adaptation en français : pg5i)

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