Allemagne – Parce qu’elles recourent à des costumes traditionnels, les danseuses retraitées et non professionnelles d’un ballet associatif ont été soupçonnées de racisme. Elles ont été contraintes de retravailler leur spectacle pour être autorisées à se produire.
Des fans d’interprètes populaires
Elles s’appellent Liese, Erika, Elke, Christine ou Jutta, elle ont entre 59 et 85 ans, elles aiment la vie et ne voient pas dans le temps qui s’écoule que les dommages causés par les rides mais elles vivent heureuses dans un monde qui a tendance à les oublier. Pour parvenir à leurs fins, elles appartiennent à un ballet créé en 1980, le premier en Allemagne à avoir popularisé les danses assises permettant aux seniors d’avoir une activité physique. Toutes étaient alors des fans d’Udo Jürgens (1934-2014) (1) de la même génération qu’elles, et pour lui rendre hommage, elle ont décidé de monter d’un cran et d’adapter sur scène (et debout) l’un de ses plus grands succès « Mit 66 Jahren ». Cette chanson, elles se sont mises à l’interpréter vêtues d’un pantalon noir, d’un chemisier blanc et d’un drôle de petit chapeau sur la tête. Ce qu’elles imaginaient n’être qu’une petite prestation locale s’est très vite transformé en vocation. C’est grâce à Udo Jürgens qu’est né et a prospéré l’AWO-Ballett (2) un troupe de danseuses pour le moins insolites qui n’hésitent pas à se transformer en Liza Minelli ou en danseuse de Pigalle. Lorsqu’elles ont appris qu’elles pouvaient être programmées au tout début de la Buga de Mannheim (3), leur sang n’a fait qu’un tour mais pas dans le bon sens car leur prestation a été sujette à polémiques. Pour comprendre, il faut partir du principe qu’à l’heure actuelle, tout événement ne peut être crédible et applaudi que s’il s’inscrit dans un cadre bien établi. Il suffit d’un rien ou de la moindre allusion pour que son organisateur ou organisatrice soit suspecté(e) de racisme ou de misogynie.
Comprenne qui pourra !
Aussi singulier que cela puisse paraître, c’est cette double-accusation qui a été proférée à l’encontre du l’AWO-Ballett par des personnes qui semblent être payées pour semer la zizanie et, avec des arguments fallacieux, chercher des problèmes là où il n’y en a pas. « Des doutes quant à l’effet de certains costumes sont apparus dans le contexte de la discussion actuelle sur la sensibilité aux codifications culturelles et religieuses » (!), peut-on lire sur le communiqué de presse du service culturel de la Buga. Selon le même service, « la discussion a été motivée par la crainte que quelqu’un puisse interpréter le déguisement comme du racisme ».(!!) Et dans ce genre de circonstances il y en a toujours un ou une qui se sent dans l’obligation d’en rajouter une couche pour parfaire le discours et dans le cas qui nous intéresse ce fut l’attachée de presse du salon, Corinna Brod qui a déclaré au quotidien « Mannheimer Morgen » : « Des Mexicains portant une chapeau sombrero ou des costumes asiatiques stéréotypés, ce sont des images que nous ne voulons pas voir à la Buga de Mannheim». (!!!). Cette affaire de sari indien, de kimono japonais ou de sombrero mexicain a pris une ampleur dont Gabriel Chevalier, l’auteur de « Clochemerle » et de « Mascarade« , se serait réjoui. Erika Schmaltz, la directrice de la troupe, du haut de 75 balais, ne comprend plus rien du monde dans lequel elle vit. Elle n’a jamais considéré la vieillesse comme un sinécure, encore moins un naufrage et si elle a intitulé son spectacle « Voyage autour du monde dans un bateau de rêve », c’est justement pour rappeler que le monde peut être beau à condition de rêver. Erika Schmaltz a été déçue parce qu’il ne lui était « même pas vue à l’idée qu’un costume puisse être perçu comme une insulte ». Avec sa chorégraphie, elle s’imaginait en symbiose avec la Buga, qui attire des milliers de visiteurs internationaux. La responsable de la troupe rappelle que bon nombre de ses adhérentes sont originaires de Chine, d’Ukraine ou de Russie et que ce sont elles qui confectionnent la plupart des costumes. Face à la levée de boucliers qu’a provoquée cette affaire, le directeur du programme culturel de l’exposition horticole, Fabien Burstein, a regretté que « des irritations soient apparues ».
Des costumes trop traditionnels !
Des pharaons devenant des ouvriers !
A l’instar d’une insoluble affaire d’Etat, des négociations ont été engagées pour trouver une solution satisfaisante pour les deux camps, les pro et anti-costumes, et il a été convenu que trois des six déguisements litigieux soient bannis du spectacle. Les pharaons vont devenir de simples ouvriers égyptiens, les Mexicains auront droit à leur poncho mais devront renoncer à leur sombrero et enfin les Asiatiques devront tirer un trait sur leurs habits traditionnels pour s’orienter vers des vêtements plus modernes. Erika Schmaltz a pris au final toute cette histoire avec humour et « sans les chapeaux mexicains, nous aurons moins de bagages à transporter » a-t-elle déclaré avant de poursuivre « cela ne valait pas la peine de s’entêter car c’est notre hobby et ce que nous voulons, c’est tout simplement nous amuser. » A force de vouloir tout intellectualiser, les « cultureux » de la Buga se sont retrouvés fort embarrassés et ont dû faire également des concessions. Et c’est ainsi que les prestations de l’AWO-Ballett auront lieu sur la scène principale et devant un public assis et non debout. Malgré leur âge souvent avancé, les danseuses ne s’endorment pas sur leurs lauriers. Le spectacle conçu spécifiquement pour l’exposition horticole est déjà programmé pour sept dates d’ici Noël auxquelles s’ajoutera un nombre important de manifestations auxquelles elles participeront . On peut en effet les voir lors d’anniversaires, de réunions d’anciens élèves ou de fêtes communales. Danses, défilés de mode amusants, sketches, chansons et shows en play-back appartiennent à leur répertoire. Elles se font par ailleurs un devoir d’organiser leur propre tournée avec une quarantaine de dates pas an. Pour prouver que les muscles peuvent d’adapter au temps qui passe, neuf d’entre elles chauffent leurs chaussures en dansant avec des claquettes. Kb
(1)- Né le 30 septembre 1934 en Autriche, Udo Jürgens a été et demeure l’un des chanteurs de variétés le plus connu dans les pays de langue allemande. Découvert en 1966 après avoir remporté le Grand Prix de l’Eurovision, sa carrière a démarré un an plus tard et s’est poursuivie jusqu’ à son décès en 2014 . Udo Jürgens a composé plus de 1.000 chansons, produit cinquante albums qui se sont vendus à plus de 100 millions d’exemplaires. Dans les années 1960-1970, son physique aidant, il faisait partie des personnalités les plus médiatisées tant en Allemagne qu’en Autriche.
(2)- Les AWO (Arbeiterwohlefahrt) sont des associations caritatives dont l’origine remonte à 1928. Elles ont pour objectif de fédérer les adhérents d’autres associations locales et d’entretenir le dialogue et les relations entre elles.
(3)- L’exposition horticole Buga a été créée en 1951 et a lieu tous les deux ans, durée nécessaire à l’aménagement des villes qui l’accueillent. Financée par l’Etat, elle permet aux cités accueillantes de voir réaménagés leurs espaces publics. L’exposition se déroule du mois d’avril au mois d’octobre. Au départ réservée aux grandes métropoles, généralement capitales der länder, elle l’est, depuis les années 1990 à des villes plus petites, parfois de 100.000 habitants. Il arrive que plusieurs sites proches les uns des autres s’associent pour organiser la Buga , comme ce fut le cas en 2007 avec Gera et Ronneburg dans le land de Thuringe. Au fil des ans, la Buga n’est pas seulement un événement voué aux multiples beautés de la nature. Elle permet à toutes les institutions et associations locales et régionales de travailler ensemble et de promouvoir la ville à l’échelon national et international et à chaque édition des artistes nationaux s’y produisent.