Des camionneurs exploités prêts à mourir de faim

Allemagne/Pologne/UE – A Gräfenhausen, commune située à proximité de Francfort-sur-le Main, se trouve la plus grande aire de repos allemande réservée aux poids-lourds. C’est sur ce site que les routiers s’autorisent une pause, se douchent et éventuellement se restaurent, à la condition toutefois qu’ils en aient les moyens, ce qui n’est plus le cas pour un nombre croissant d’entre eux.

Au cours des derniers mois Gräfenhausen est devenu le symbole de l’esclavagisme moderne dont sont victimes des chauffeurs originaires d’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kazasthan, d’Ukraine et de Turquie. Tous travaillent pour le groupe Mazur, une des plus grandes sociétés de transport terrestre européenne implantée en Pologne. Cette dernière recourt à des entreprises intermédiaires dites de « logistique » qui, plutôt que de rémunérer les routiers, s’en dispensent. Déjà, en avril dernier (1), ces forçats de la route avaient fait parler d’eux après avoir décidé d’immobiliser pour une durée indéterminée les véhicules sur l’aire de repos. Après plusieurs semaines de trêve forcée et l’intervention d’un médiateur hollandais, la situation fut débloquée sans pour autant mettre fin aux agissements de la maison-mère, laquelle entrave de la manière le plus abjecte qui soit la législation en vigueur dans l’Union Européenne qui stipule que tout travail effectué sur son sol mérite salaire.

C’est quoi, au juste, une grève de la faim ?

Las de négociations sans fin, les chauffeurs-routiers ont décidé, cette semaine, de passer à l’étape supérieure en annonçant une grève de la faim. L’un d’entre eux, Atema, interviewé par le quotidien allemand TAZ, reconnaît qu’il n’est pas un « expert en grève de la faim » et qu’il ne sait même pas en « quoi ça consiste exactement  et à quoi cela aboutit« . Peu importe, il a appris qu’il fallait en informer la police, ce qu’il n’a pas manqué de faire, ce qui lui a permis de devenir le porte-parole officiel de ses collègues rebelles. Mais Atema a beau être un profane en matière de grève de la faim, il n’est pas tombé pour autant de la dernière pluie. Il estime en effet que Mazur n’est pas le seul coupable dans cette affaire et part du principe que les clients de l’expéditeur sont eux aussi à leur manière, ne serait-ce qu’en fermant les yeux, complices de ces agissements. Ce fut le cas, par exemple, d’une société de transport autrichienne qui attendait des marchandises que les chauffeurs avaient chargées à Gräfenhausen et qui a dû verser 20.000 euros d’acompte en liquide pour les récupérer, somme que a été partagée équitablement sur place par les grévistes. Ce n’est pas la première fois que ces derniers mettent en cause la coresponsabilité des clients directs ou indirects de leur employeur. Le 19 août dernier, ils en avaient publié une liste et le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne répertoriait pas des sociétés inconnues du grand public. Les camionneurs en grève transportent en effet des pièces détachées pour Porsche, Audi ou Volkswagen, des colis pour DHL, des boissons énergisantes pour Redbull, des meubles pour Ikea sans oublier des milliers de tonnes de divers produits destinés aux chaînes de bricolage Obi ou Bauhaus. Interrogées par TAZ, ces marques prétendent ne plus avoir de relations commerciales avec le groupe Mazur, ce qui est assurément faux, étant donné que le trafic routier ne cesse d’augmenter. Il semblerait que la loi allemande encadrant les chaînes d’approvisionnement et imposant aux entreprises locales de veiller à la protection des droits de l’homme (!) et de l’environnement (!!) et ce, de la matière première à la vente du produit fini, ait été vaine. L’organisme qui est chargé de la faire respecter, en l’occurrence l’Office Fédéral de l’Economie et du Contrôle des Exportations (BAFA) n’a en effet, entre janvier et août derniers, enregistré que quatorze plaintes, soit un nombre dérisoire comparativement aux dizaines de milliers de poids-lourds qui sillonenent chaque mois les autoroutes allemandes. kb

(1) Cf.article du 17 avril 2023 sur:  https://www.pg5i.eu/la-trop-longue-revolte-des-nouveaux-esclaves/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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