Ce drôle de complot déjoué à la dernière minute

Allemagne/Autriche – A la veille du premier anniversaire de leur accession au pouvoir, le Chancelier Olaf Scholz et ses ministres s’attendaient à tout, sauf à une tentative de putsch perpétré par un mouvement factieux, dont personne ne sait avec exactitude combien de membres il regroupe et de quels moyens il dispose pour parvenir à ses fins. Alertés par « un abîme de menace terroriste » pour reprendre l’expression de la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, 3.000 agents des forces de l’ordre ont procédé à des descentes au domicile ou dans les bureaux d’adhérents et sympathisants des « Reichsbürger » (Citoyens de l’Empire), une organisation qui prône la destruction des valeurs démocratiques de la République Fédérale au profit,  comme son nom l’indique, de la renaissance de l’empire.

Henri VIII, Prinz Reuss : il est à la tête du complot déjoué la semaine dernière. Cet homme aigri estime n’a jamais son aversion contre la démocratie.

Une tradition anti-républicaine

L’appellation « Reichsbürger » ne date pas d’aujourd’hui mais remonte à 1871, année au cours de laquelle l’empire prussien s’était distingué en annexant l’Alsace et la Lorraine. Le discours des « citoyens de l’Empire et des autogestionnaires » est toujours le même depuis plus d’un siècle et demi et consiste à dénigrer les autorités gouvernementales et leur construction administrative. Longtemps, ils ont attiré l’attention par des actions plutôt anecdotiques, telles l’impression pour eux-mêmes de passeports ou de permis de conduire, la production de T-shirts et la fabrication de drapeaux à des fins publicitaires. Après la réunification de l’Allemagne, ce mouvement est devenu particulièrement actif dans les länder orientaux de Brandebourg et de Mecklembourg-Poméranie mais aussi en Bavière, un land qui voue toujours une admiration sans faille à la dynastie des Wittelsbach. Les « citoyens du Reich » se sont souvent exposés à la risée du public et des médias, car comment aurait-il pu en être autrement de personnes qui se sont mises à déclarer leurs propres territoires et les faire passer pour « le second empire allemand », « l’Etat libre du Prusse » et pourquoi pas, pendant qu’on y est, pour la « Principauté de Germanie » ?

Un terreau fertilisé par la pandémie

Birgit Malsack-Winkemann : ancienne députée de l’AfD et juge, elle est avec Prinz Reuss, la seconde inspiratrice de la tentative de coup d’Etat. En cas de succès, elle serait devenue ministre de la Justice ! 

Toutefois, de la dérision on est très vite passer à la suspicion, notamment lorsque les « citoyens de l’empire » ont commencé à dénoncer de manière violente les mesures prises pour lutter contre le Covid 19. Grâce à la pandémie, ils ont trouvé le terreau le plus fertile à la propagation de leurs thèses révisionnistes et négationnistes. Ils ont profité du désarroi de l’autorité publique face à la virulence du virus et d’un chaos évident dans la gestion de la crise sanitaire pour remettre en cause la puissance de l’Etat et les consignes gouvernementales. Au pic de la pandémie et pour manifester leur désapprobation à ‘l’encontre du gouvernement, le « citoyens de l’empire » ont tenté le tout pour le tout et pris d’assaut le Bundestag. Les autorités fédérales ont alors commencé à prendre très au sérieux les menaces des « Reichbürger » et se sont aperçues que, compte tenu du nombre conséquent de putschistes, cette organisation n’était pas marginale mais réelle et dangereuse. L’agence allemande du renseignement intérieur et l’Office Fédéral de Protection de la Constitution se sont plongés dans les coulisses de cette organisation pour le moins nébuleuse et ils ont estimé à quelque 21.000 le nombre d’adeptes assidus, dont 5% ont été répertoriés comme des extrémistes de droite extrêmement dangereux qui n’hésitent pas à recourir à la violence pour faire entendre leur voix. Ces derniers ont été responsables l’an dernier de 1.330 délits, soit une augmentation de 72,2% (!) par rapport à 2020, année au cours de laquelle 772 délits assortis de violence physique avaient été enregistrés. Selon l’Office Fédéral de la Sécurité, aucun land n’est épargné mais le nombre d’actes illégaux varie considérablement d’une région à l’autre et la Bavière a, hélas, le triste privilège de se classer au sommet du podium avec, en 2021, 122 actes de violence répertoriés. Les vingt-cinq personnes à l’encontre desquelles des mandats d’arrêt ont été exécutés la semaine dernière par la police ainsi qu’un nombre équivalent d’individus soupçonnés de complicité et placés sous contrôle judiciaire, sont connus de tous et surtout des personnels de la justice car ils prennent un malin plaisir à inonder les tribunaux de plaintes, de requêtes ou d’objections diverses que les autorités sont tenues de traiter car il s’agit de demandes officielles. Bien qu’il soient les premiers à remettre en cause la démocratie, ils sont les premiers à faire usage de celle-ci pour harceler des fonctionnaires qui, dans un Etat démocratique sont tenus de répondre à toutes les sollicitations, y compris les plus fantaisistes.

Le Reussisches Theater fait partie des biens qu’Henri VIII espérait se réapproprier après la réunification de l’Allemagne. Il en était de même de plusieurs milliers d’hectares de forêts. Il a effectué les démarches à son propre profit et sans le consentement de sa famille.

Le Prince Reuss ou le nouveau gourou

Celui qui coordonne ces attaques incessantes à l’encontre des institutions républicaines s’appelle Heinrich Reuss. Il est issu d’une famille installée en Thuringe depuis plus de 800 ans dont les membres sont passés au fil des siècles du statut de baillis à celui de princes d’Empire, ce qui autorise Heinrich, né en 1951, à se présenter sous le nom de Prinz Reuss. Le personnage est pour le moins haut en couleur car il a le génie de s’atteler à des causes dont il est évident qu’elles seront perdues d’avance. Après la réunification de l’Allemagne, il a tenté de récupérer le théâtre de Gera qui portait autrefois le nom de Reussiches Theater. Fondé en 1903 par Heinrich le 27ième (!), cet édifice était unique en Allemagne dans le sens où, après 1920, c’est-à-dire à l’époque républicaine, il était resté sous protection princière. Mais au cours de la République de Weimar, le Reussisches Theater n’était pas un théâtre princier mais une scène ouverte au public. Prinz Reuss qui s’est essayé à l’immobilier pour faire fortune et qui cherche à élargir son réseau en tenant des propos racistes et antisémites, semble oublier que l’édifice voulu par son ascendant, a été dirigé au cours de sa période la plus faste par un intendant général, Walter Bruno Iltz applaudi pour ses talents d’acteur et reconnu dans toute l’Allemagne pour son audace en tant que metteur en scène. Grâce à une programmation des plus éclectiques mêlant théâtre, opéras et ballets et à la diversité des auteurs sélectionnés, classiques et contemporains, Iltz a fait, sous la République de Weimar, du Reussiches Theater une référence en matière de découvertes. Partant du principe que l’art est universel, il a contribué à faire découvrir une palette d’auteurs de toutes nationalités, autrichienne (Alexander Lernet-Holenia), française (André Gide, Darius Milhaud), espagnole (Manuel de Falla), italienne (Rosso di San Secondo), etc. Sous la direction de Iltz, le Reussisches Theater était connu pour faire salle comble et lors de la saison 1925/1926, il battit un record de fréquentation avec près de 250.000 spectateurs. Ce succès a perduré pendant la période communiste et après la réunification ce qui signifie qu’en voulant se réapproprier cet édifice, Prinz Reuss cherche à s’accaparer à son profit une partie du patrimoine culturel national.

Une meute active au sein de l’extrême-droite

Prinz Reuss, qui espérait en tant que roi Henri VIII succéder au Chancelier Olaf Scholz, et tous ses acolytes font partie de cette minorité d’Allemands qui n’acceptent par le courant de l’histoire et c’est la raison pour laquelle il leur a été facile de rallier à leur cause des militants d’extrême droite avec lesquels ils sont sur la même longueur d’onde lorsqu’il est question de passer à l’action. Les premiers sont nostalgiques d’une ère impériale et belliqueuse, les seconds dénoncent les minorités décadentes de la République dont la communauté LGBT seraient, selon eux, le plus dangereux des exemples. Une très forte majorité d’Allemands considère les thèses que défend ce roi fantôme comme irrationnelle mais elle s’interroge néanmoins sur les possibles liens qu’auraient les conspirateurs avec l’armée, la police mais aussi la justice étant donné que parmi les personnes interpellées se trouve une juge, Birgit Malsack-Winkemann qui était toujours, le jour de la perquisition, en activité au tribunal civil de Berlin. Ancienne député du parti d’extrême-droite AfD au Bundestag, elle est connue pour avoir enfreint la loi sur les discriminations, a fait l’objet de sanctions mais a été, malgré tout, autorisée à se maintenir à son poste. Si les Reichsbürger étaient parvenus à leur fin, le ministère de la justice lui serait revenu,  ce qui aurait contribué à faire à nouveau de l’Allemagne le pays européen le plus antidémocratique.

Eva Högl : en tant que déléguée à la Défense au Parlement, elle va être amenée à clarifier les tenants et aboutissants d’un complot avorté.

Un complot à prendre très au sérieux

Dès le lendemain du complot, les autorités fédérales ont jugé utile de déployer, à leur tout, l’artillerie lourde. A peine une semaine après les faits, un premier rapport annonce la saisie de quelque trois cents armes diverses (fusils, couteaux, arbalètes, etc.). Pour deux cents d’entre-elles, il s’agit d’armes légales appartenant à une marchand d’armes connu pour épouser les thèses des « Citoyens de l’Empire ». Les participants à une réunion spéciale et à huis clos organisée en toute hâte par la commission des affaires intérieures au Bundestag ont été informés par le ministre de l’Intérieur, l’Office Fédéral de la Police Criminelle ainsi que l’Office Fédéral de la Protection de la Constitution, ont été informés que les putschistes avaient tout prévu, y compris de s’en prendre à des maires récalcitrants. Etant donné que parmi les inculpés se trouvent un militaire en exercice mais aussi plusieurs soldats réservistes, il n’est donc pas exclu que d’autres membres de l’armée soient complices des actes perpétrés par les Reichsbürger. Si cette suspicion s’avérait, la République Fédérale se trouverait alors face à un défi inédit, celui qui consisterait à s’engager sur une réforme de fonds de la Bundeswehr. La fait que des réservistes allemands aient été impliqués dans le complot inquiète la commissaire aux forces armées, Eva Högl, en fonction au Parlement. Selon elle « les infractions doivent être systématiquement poursuivies et sanctionnées par le droit du travail et le droit pénal et cela doit se faire rapidement. » Mme Högl déplore que les procès contre des soldates présumés extrémistes soient beaucoup trop longs . « Actuellement, déclare-t-elle, les procédures durent beaucoup trop longtemps et se chiffrent en années. » Enfin, elle regrette la manque de personnel évident dans les tribunaux habilités à traiter ce genre d’affaires mais aussi au sein des services du procureur disciplinaire de la défense qui gère les procédures.

Beate Zschäpe, condamnée à perpétuité, elle a été le cerveau et le porte-drapeau du mouvement NSU.

Dans l’ombre du NSU

De nouvelles lois et davantage de personnels pour les appliquer, sera-ce suffisant pour mettre un terme à de tels agissements ? C’est possible mais pas certain car on s’aperçoit que la répression ne suffit pas à éradiquer les agissements extrémistes. Le complot de la semaine dernière a eu lieu onze ans après les attentats commis par le groupe NSU (Nationalsozialistischer Untergrund) qui revendiquait ouvertement la résurgence du national-socialisme. Or, il s’est avéré à l’époque que la police et les services de protection de de la Constitution de l’Etat Fédéral mais aussi des länder n’avaient jamais observé les terroristes de droite pendant des années alors qu’ils avaient multiplié leurs actions jusqu’à ce que ces dernières deviennent meurtrières. Cinq membres du NSU ont été accusés par la suite de neuf meurtres de migrants, de l’assassinat d’un policier, de deux attentats à l’explosif, de quinze vols à main armée destinés à financer l’organisation et de quarante-trois tentatives de meurtre. Si les auteurs de ces délits avaient été placés sous surveillance, ces drames auraient pu être évités. Cette défaillance des autorités à l’égard d’un groupuscule hautement dangereux, a été alors dénoncée par un journaliste de la Süddeutsche Zeitung, Tanej Schultz, ce qui a contraint les représentants de tous les groupes parlementaires présents au Bundestag de s’excuser publiquement auprès des victimes et de leurs familles. Comme il est coutumier dans ce genre de circonstance, pour repérer les pannes et négligences du système, il avait été décidé de créer une commission de onze personnes chargées de faire « un travail politique rapide, complet et approfondi sur les erreurs et omissions commises». La justice a par la suite été amenée à juger les cinq personnes les plus impliquées, dont l’inspiratrice Beate Zschäpe, une femme au passé chaotique âgée de 38 ans au début de son procès, qui a été condamnée à la prison à perpétuité. Le complot du mouvement Reichsbürger ne connaîtra pas le même épilogue car ses membres contrairement à ceux du NSU n’ont pas eu le temps nécessaire pour franchir le cap de la violence physique mais il n’en demeure pas moins, comme le prouve les premières perquisitions, que l’intention y était. La justice va par conséquent se trouver face à une situation des plus délicates et pour le moins inédite car elle va devoir se pencher sur le sort d’un aristocrate déchu issu d’une ancienne famille souveraine dont les membres survivants sont les premiers à ne plus vouloir en entendre parler. kb & vjp (Nombre de mots : 2.183)

 

 

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