Un historien fait s’écrouler le mythe Merkel

 Jan Claas Behrends : historien, il a effectué de multiples recherches sur le stalinisme, la propagande, le discours public, la violence et les guerres dans l’espace soviétique. Il est par ailleurs l’auteur d’un ouvrage de référence «100 Jahre Roter Oktober » (100 ans d’octobre rouge).

Allemagne/Russie/Ukraine – L’historien allemand Jan Claas Behrends a accordé une interview à ntv dans laquelle il porte un jugement extrêmement sévère sur la politique extérieure de l’ancienne Chancelière Angela Merkel et ses relations avec le chef du Kremlin. L’homme sait de quoi il parle car il est reconnu comme l’un des meilleurs experts sur l’histoire des services de sécurité soviétiques et russes, avant et après le démantèlement de l’URSS. Dès la première question qui lui est posée, l’historien sort des sentiers battus et se refuse à rejoindre les 72% d’Allemands qui estiment que le conflit russo-ukrainine n’aurait pas eu lieu si Angela Merkel était restée au pouvoir. Et Behrends d’annoncer d’emblée la couleur en déclarant : «Je vois peu de Chanceliers dans l’histoire de la République Fédérale dont les décisions se sont révélées erronées si peu de temps après leur départ du pouvoir. » Dire que Poutine n’aurait pas osé attaquer l’Ukraine si Angela Merkel avait encore été Chancelière est un non-sens, étant donné que la première agression a eu lieu en 2014. L’historien rappelle ensuite le contexte qui a favorisé l’agression russe. « Les deux gazoducs Nord Stream ont permis de découpler les infrastructures russe et ukrainienne et ce projet germano-russe a été défendu par la Chancelière alors qu’il était en même temps anti-ukrainien ». Et de poursuivre : «  une fois les tubes Nord Stream achevés, une nouvelle escalade a eu lieu de la part du Kremlin. Depuis 2014, Angela Merkel suggérait à Vladimir Poutine que l’Allemagne s’accrocherait absolument au gaz russe et c’était là une mauvais signal ! ».

Photo de « famille » à l’issue des accords de Minsk : de gauche à droite le président biélorusse Alexander Lukachenko, le chef du Kremlin Vladimir Poutine, la Chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le président ukrainien Petro Poroschenko.

Complice d’une sphère russe

Après son départ de la Chancellerie, Angela Merkel a justifié sa politique à l’égard de la Russie en partant de principe que Vladimir Poutine n’aurait jamais accepté une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et que par conséquent il n’y avait pas d’autres alternatives. En observant l’Europe de l’Est actuelle, Behrends constate que « seuls les membres de l’OTAN vivent en paix et en liberté alors que d’autres Etats à l’instar de la Moldavie, de la Géorgie et l’Ukraine ont des troupes russes sur leur sol » avant d’ajouter qu’avec son argument la Chancelière n’a fait « qu’accepter de facto une sphère d’influence russe. » A la question de savoir si le moment n’est pas venu pour Angela Merkel de s’excuser pour son attitude conciliante à l’égard de la Russie, Jan Claas Behrends est convaincu qu’elle ne le fera pas car s’excuser « cela signifierait qu’elle s’est sciemment rendue coupable. » De toute façon, les détracteurs de la politique de l’ex-Chancelière, dont l’interviewé fait partie, n’attendent pas des excuses mais « un dialogue au cours duquel on pourrait voir ce que l’on aurait pu faire différemment». Behrends est récemment sorti de ses gonds lorsqu’il a entendu la Chancelière dire « qu’elle savait à quel point Poutine pouvait être agressif. » Et pourtant assène-t-il « elle n’a pas investi dans l’armée allemande ce qui aurait été la conséquence minimal de cette prise de conscience. »

« En retard sur l’histoire »

Mais ce qui est très intéressant à la lecture de cette interview, est le regard lucide que jette Jan Claas Behrends sur la « méthode Merkelienne » qui consiste à « répondre à un besoin allemand de mettre en scène la politique comme une administration et de maintenir les querelles politiques en dehors de la sphère publique. Les décisions sont prises autant que faire se peut dans les coulisses et sont présentées ensuite comme des faits accomplis.» L’historien se distingue de la plupart de ses collègues dans le sens où il sait ne pas mâcher ses mots. Le politiquement correct ne l’intéresse pas et ses propos sont sans ambages. Dans cet entretien accordé à ntv, il s’inscrit à contre-courant des bien-pensants qui n’hésitent pas à classer Angela Merkel parmi les personnalités les plus marquantes de ce début du 21ième siècle. « Angela Merkel a toujours dit qu’elle restait en avance sur la situation, ce faisant, elle s’est finalement retrouvée désespérément en retard sur l’histoire. La politique ne se résume pas aux sondages, à la popularité et à l’actualité. Il s’agit d’avoir une vision à long terme et de réfléchir aux conséquences de sa propre politique.» Angela Merkel rédige actuellement ses mémoires dont la publication est prévue pour 2024. Elle apparaît toujours comme « la Chancelière par excellence » mais il est néanmoins fort possible que d’ici là le mythe Merkel ne soit plus ce qu’il est encore aujourd’hui. kb & vjp

 

 

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