Bulgarie : une frontière chargée de pesticides

Bulgarie/Turquie/Grèce/Suisse/EU – La société de radio et télévision suisse SFR a diffusé récemment une enquête très intéressante sur le poste frontalier Kapitan Andreewo, séparant la Turquie de la Bulgarie. C’est par ce checkpoint stratégique, le plus fréquenté en Europe et le troisième à l’échelon mondial que transite la plus grande quantité des marchandises en provenance de Turquie, de Grève et d’Asie, consommés sur le continent européen. Régulièrement, les services des douanes et de la police frontalière sont amenés à saisir des marchandises illégales, armes, munitions et drogues notamment, sans oublier des sommes considérables en espèces dont il est difficile,  voire dans la plupart des cas impossible,  de savoir d’où elles proviennent et à qui elles sont destinées.

Le poste frontalier Kapitan Andreewo est la hantise des chauffeurs-routiers, contraints d’attendre des jours entiers le résultat des contrôles sanitaires.

Jusqu’à 25 kilomètres de file d’attente

Depuis plusieurs mois, le Kapitan Andreewo qui porte le nom d’un officier bulgare ayant résisté aux armées turques, redouble d’activités car il doit gérer le flux de marchandises qui jusque là transitait par l’Ukraine. Compte tenu des infractions constatées quasi quotidiennement, les douaniers sont contraints d’effectuer des contrôles non pas aléatoires mais systématiques et il n’est pas rare que des bouchons sur une longueur de plus de 25 kilomètres soient signalés par des fonctionnaires dépassés par les événements. Depuis le début de l’année, ce ne sont en effet pas moins de 350.000 articles dont des contrefaçons de vêtements, de chaussures, de cigarettes ou de produits cosmétiques qui ont été découverts puis saisis. Le transport s’effectue dans la plupart des cas dans le dos des chauffeurs-routiers qui ignorent tout du contenu de ce qu’ils convoient mais qui sont contraints de poireauter plusieurs jours consécutifs avant de pouvoir reprendre la route, soit dans le sens de l’aller si aucune marchandise illicite n’a été découverte, soit dans celui du retour s’ils ont transporté, à leur insu, des produits illicites Quelle que soit l’issue du contrôle, ils doivent assumer seuls toutes leurs charges dont les repas et les douches. Selon la Srf, la plupart de ces chauffeurs sont turcs, ont choisi ce métier avec l’espoir de pouvoir subvenir à leurs besoins de base et à ceux de leur famille, ce à quoi ils ne parviennent généralement pas, tout heureux qu’ils sont lorsqu’ils parviennent à gagner 200 euros pas mois.

Des fruits et légumes contrôlés à la louche

Mais ce que ces forçats de la route appréhendent désormais le plus, est le contrôle des convois de fruits et légumes originaires de Turquie et d’Asie, lesquels sont suspectés d’être surchargés de pesticides. Depuis qu’il est scientifiquement prouvé que les résidus de ces produits peuvent être responsables d’allergies, d’empoisonnements, de cancers ou de maladies héréditaires, l’Union Européenne se fait un devoir de veiller au grain sans donner toutefois les moyens dont les pays frontaliers ont besoin pour effectuer rationnellement les contrôles. Il est difficile de trouver situation plus ubuesque que celle que vivent les chauffeurs-routiers stationnés au Kapitan Andreewo. Les analyses qui concernent un nombre infini de produits (piments, citrons, oranges, mandarines, tomates, poivrons, cerises, abricots, concombres, kiwis, dattes, figues, grenades, melons, pastèques, etc, etc, etc.) ne pouvant avoir lieu sur place, elles doivent être effectuées à Sofia dans un laboratoire situé plus de 300 kilomètres de la frontière. C’est dans ce laboratoire que la journaliste de la Sfr, Sarah Nowotny, a rencontré sa responsable Elka Demeltscheva qui avoue que le travail à plein temps qu’elle consacre à sa mission ne lui permet pas d’effectuer plus de cinquante contrôles par jour, y compris lorsque de 80 à 400 poids lourds sont stationnés à la frontière. Le jour de l’interview Elka Demeltscheva analysait des citrons qui contenaient tellement de traces de pesticides que le chauffeur dans l’attente du verdict a été prié de rebrousser chemin et s’il ne s’était pas plié à cette décision, ordre aurait été alors donné de détruire la cargaison sous le contrôle de la police des frontières. Pour comprendre cette situation pour le moins scabreuses, Sarah Nowotny est parvenue à rencontrer Angel Mawrowski, l’ancien co-directeur de la Agence Nationale de Sécurité Alimentaire. Selon lui, tout a commencé en 2011 lorsque le gouvernement bulgare sous prétexte d’économie a décidé de licencier des contrôleurs, de renoncer à la construction d’un laboratoire d’Etat à la frontière et de laisser la responsabilité des contrôles sanitaires à une société privée. Cette stratégie a non seulement conduit à une privatisation de la frontière mais laissé la porte ouverte à tous les abus et malversations. Des enregistrements sonores ont prouvé que certains chauffeurs à la demande de leurs employeurs n’hésitaient pas à soudoyer les contrôleurs afin que ces derniers ferment les yeux. Personne ne peut être pris la main dans le sac car les corrompus et corrupteurs de mèche n’oublient jamais de débrancher les caméras fixées dans les lieux où se déroulent ces douteuses transactions. Des camions qui franchissent la frontière extérieure de l’Europe en toute impunité alors qu’ils sont chargés de fruits et légumes non conformes à la législation européenne est monnaie courante grâce au versement de pots-de-vin. Angel Mawrowski peut en témoigner personnellement car il s’était vu proposer une enveloppe en espèces moyennant son silence sur que ce qui se passe réellement à la frontière. Mal lui en a pris car peu de temps après ce refus de « coopérer », il a reçu, tout comme son supérieur des lettres anonymes les prévenant qu’ils allaient, tous deux, être prochainement « broyés entre deux poids lourds ! ». Plutôt que d’être protégés, les deux hommes ont été licenciés par l’Agence de Sécurité Alimentaire, ce qui confirme ce que l’ancien co-directeur de l’agence craignait, en l’occurrence que «la mafia est de retour au sein de l’Etat et à la frontière».

Kiril Petkov : le temps ne lui a pas été donné pour réaliser son rêve, mettre définitivement un terme à la corruption.

Un 1er ministre trop honnête pour être aimé

Il est évident que la gestion du poste frontalier Kapitan Andreewo aurait pris un tout autre tournant si l’ancien premier ministre Kiril Petkov était parvenu à se maintenir au pouvoir. Ce fils d’un professeur en biologie connu en Bulgarie pour son engagement pour la protection de la nature et de l’environnement, Kiril Petkov a émigré à l’âge de 14 ans avec ses parents au Canada où il a effectué de brillantes études supérieures à l’université de Vancouver puis à celle d’Harvard. Titulaire d’un diplôme en finance et d’une maîtrise en économie des affaires, il décide en 2007, à l’âge de 27 ans, avec son épouse canadienne de s’installer sur ses terres d’origine. En 2021, le premier-ministre sans étiquette Stefan Yanev, le nomme ministre de l’économie. En avril de la même année, ont lieu les élections législatives marquées par une chute sans précédent des deux partis historiques GERB-SDS et BSP qui perdent respectivement 10,4 et 12,9% des suffrages au profit du parti populiste  ITN (Il y a un tel peuple) ; lequel, créé un an plus tôt par le chanteur populaire Salwi Trifonow, parvient en quelques mois à s’imposer comme la seconde force politique du pays. Cinq mois après ce scrutin déconcertant, Kiril Petkov décide de franchir le pas et de fonder en septembre 2021, sa propre formation politique. Il s’allie avec son collègue Asen Vasilev, également diplômé de Harvard, pour créer le PP (Nous continuons le changement) dont le cœur du programme tient en cinq mots : lutter définitivement contre la corruption. Et seulement deux mois plus tard, le 21 novembre 2021,  lors d’élections au Parlement anticipées se déroulent le PP parvient à s’imposer comme la première force politique du pays. Au discours du duo Petkov-Vasilev, les citadins, qui endurent au quotidien les conséquences de la corruption, n’y ont pas été insensibles, notamment dans les trois circonscriptions de Sofia, où le PP s’est arrogé plus du tiers des suffrages. Mais cette victoire insolite, inattendue et unique en Europe était aussi, hélas, trop belle pour durer. Nommé Premier Ministre par le Président de la République, Roumen Radev, Kiril Petkov, pour former son gouvernement et détenir une majorité absolue au Parlement, a été contraint de constituer une équipe intégrant des représentants de quatre partis politiques dont la plupart avait été formée dans l’ombre de l’ancien Premier Ministre Boïko Borissov en fonction de 2009 à 2021 et considéré comme le dirigeant le plus corrompu de l’Union Européenne. Une telle expérience laisse des traces que le nouveau chef du gouvernement n’a pas été en mesure d’effacer du jour au lendemain. Avec son ami et collègue Vasilev, nommé à la tête du ministère de l’Economie, de l’Energie et du Tourisme, deux de leurs premières missions ont consisté à se plonger dans les comptes de la banque bulgare du développement et dans la fraude liée à des projets de construction de routes. Deux dossiers dépendants de l’obtention de fonds européens faciles à détourner lorsqu’on est, à l’instar de Borissov, un professionnel de la corruption. Très vite la réalité a eu raison de l’euphorie post-électorale et en juin 2022, soit à peine six mois après avoir formé son gouvernement, Kiril Petkov, se retrouvant sans majorité absolue au Parlement, s’est vu contraint de remettre sa démission. Il a été remplacé par Galab Donev, un indépendant n’ayant à son actif que deux brefs passages en 2017 et 2021 à la tête du ministère du travail et des affaires sociales. Le qualificatif « indépendant » dans un pays comme la Bulgarie n’est pas forcément un gage d’intégrité et les fonctionnaires de l’agence de sécurité alimentaire doivent croiser les doigts pour que leur chef de gouvernement soit aussi conciliant que faire se peut. (Source : Sfr / Article adapté par kr/pg5i) – Nombre de mots : 1570

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