Budapest fête ses 150 ans en honorant un jeune Rom

Hongrie – Le samedi 2 septembre dernier a été une journée particulière pour les Budapestois qui ont pu assister gratuitement à une concert grandiose organisé sur la place des Héros et destiné à fêter le 150ième anniversaire du rattachement de Buda à Pest. C’est en effet en 1873 que Budapest est devenue la capitale officielle de la Hongrie. Elle est aujourd’hui la neuvième plus importante ville européenne sur le plan démographique et la cinquième en terme de superficie (1).

La capitale hongroise a toujours occupé, à l’instar de Prague ou de Vienne, une place particulière dans le monde musical et ce, notamment grâce au pratimoine légué par Frank Liszt et Bela Bartok. Mais le problème avec ce type de manifestations festives provient du fait, qu’à peine achevées, elles sont généralement aussitôt oubliées. Dans ce piège, le maire de la ville, Gergely Karacsony (2) n’a pas voulu tomber. Il a eu l’idée en collaboration avec l’Orchestre Symphonique du Festival de Budapest de lancer un concours de compositeurs dont la mission a consisté à créer une oeuvre originale tenant compte de trois critères : l’unification de la ville, son identité historique et culturelle et la diversité urbanistique dont elle se prévaut. Les oeuvres proposées devant l’être pour grand orchestre avec une ouverture festive.

De tendance centre-gauche, le maire de Budapest s’est donné pour mission de valoriser le patrimoine culturel de sa ville.

Un maire jeune et novateur

L’initiative du premier magistrat de Budapest a recueilli d’emblée un tel engouement que plus de quarante compositeurs ont répondu à l’appel d’offre. Selon le président du jury, Laszlo Tihanyi, lui-même compositeur et chef d’orchestre « la décision n’a pas été facile à prendre car il y avait un large éventail d’idées, de styles et de pensées et c’est un miracle que le vainqueur ait été choisi à la quasi unanimité. » Lors de la remise des prix, Laszlo Tihanyi a surenchéri en déclarant à titre personnel : « J’espère sincèrement que la capitale et avec elle, les amateurs de musique d’art, s’est enrichie d’une nouvelle oeuvre musicale de grande valeur. » Le gagnant s’appelle Patrik Olah, il appartient à la communauté Rom et il est déjà connu pour avoir composé des oeuvres basées sur des éléments de la musique authentiquement tzigane. Agé de 25 ans, il a été lauréat du Prix Junior Prima et obtenu d’excellentes notes lors de divers concours nationaux et internationaux. Il est par ailleurs l’auteur d’une messe retraçant l’histoire de la musique dans la langue de l’Eucharistie et dont le texte a été approuvé personnellement par le Pape François. Ces quelques éléments de carrière prouvent que le jeune Olah n’était pas tout à fait un candidat comme les autres, ce qui est confirmé par l’interview qu’il a récemment accordée à Artisbusiness. Ce qui marque d’emblée dans cet entretien est sa modestie car il se dit « choqué » d’avoir obtenu une récompense qui le place sur le même pied d’égalité que Bela Bartok qui, lui, avait été honoré de la même manière avec une suite de danse en 1923, lors du centième anniversaire de Budapest. « C’est énorme pour moi car c’est un peu comme si on comparait un footballeur amateur à Cristiano Ronaldo ! » L’an dernier, Patrik Olah avait déjà été sollicité pour composer une pièce orchestrale d’une vingtaine de minutes à l’occasion du centième anniversaire de Salgotarjan, où il est né et qui est passé du statut de hameau à celui  de ville en 1922. Mais étant donné qu’aucun budget n’était prévu pour le rémunérer il a préféré y renoncer.

Patrik Olah : il est parvenu à s’imposer face des rivaux « redoutables ».

« Beaucoup de gens n’aiment pas les Roms »

Conscient que son appartenance à la communauté Rom allait toujours être un handicap, Patrik Olah, s’est efforcé de voler de ses propres ailes. S’il est parvenu à composer, c’est au départ de sa carrière parce que sa famille et son entourage l’ont soutenu et aidé financièrement. Pour compléter par la suite ses fins de mois, il a donné des cours particuliers et créé une société d’assurances qui lui a permis non seulement de survivre mais de mettre suffisamment d’argent de côté pour parer à toute éventualité, comme ce fut le cas lors de la pandémie. Aujourd’hui, il se consacre à temps complet à la composition d’oeuvres musicales et son objectif est d’intégrer,  autant que faire se peut,  la musique tzigane dans le répertoire classique. « Fusion« , l’oeuvre récompensée à Budapest s’inscrit dans cette démarche. Mais le problème auquel se heurte le jeune lauréat, provient du fait que dans son pays la musique tzigane n’est toujours pas appréciée à sa juste mesure, « ce qui n’est pas le cas en Allemagne où elle est considérée comme une curiosité. » En Hongrie, selon Patrik Olah, il est extrêmement difficile de trouver des promoteurs de musique tzigane, car « ils ont peur de l’accueil qui lui sera réservé ce parce que beaucoup de gens n’aiment pas les Roms. » Il en a fait l’expérience dès son plus jeune âge dans son lycée où seuls trois Roms étaient inscrits. Patrik Olah espère que le prix qu’il a obtenu, contribuera à changer la donne. Le fait qu’il ait été en concurrence avec des candidats beaucoup plus expérimentés que lui (Cf.ci-après) devrait lui permettre d’acquérir plus rapidement que prévu une reconnaissance internationale. Les deux millions de forints qu’il va percevoir, Patrik Olah n’a pas l’intention de les dépenser de manière futile mais de les investir dans une formation musicale de six mois inscrite au programme Erasmus à Hambourg. Il faut toutefois préciser que cette dotation qui paraît colossale au premier abord ne représente de 6.600 euros ! vjp

(1) Budapest s’étend sur une superficie de 525 km2, soit cinq fois plus que Paris (105 km2) et n’est devancée en terme de densité de population (3.251 habitants/km2) que par Hambourg (2.506 hbts) et Rome (22.139 hbts).

(2) Gergely Karacsony a abandonné en 2014 son poste de député pour se consacrer prioritairement à celui de maire du 14ième arrondissement de Budapest. Lors des élections municipales de 2019, il a été soutenu par les cinq partis d’opposition, ce qui lui a permis de devenir, dès le premier tour le nouveau maire de la capitale, et de succéder à Istvan Tarlos, maire sortant en fonction depuis 2010 et membre du parti FIDESZ.

Patrik Olah face à deux pointures

Le second prix du concours a été attribué au compositeur Gyula Bankövi, né en 1966 à Dunaujvanos où très jeune il a appris le piano. Après avoir obtenu un diplôme de composition, il étudie la direction musicale et l’édition dans le cadre d’études de troisième cycle. A l’âge de vingt-huit ans, il rejoint le bureau éditorial Bartók de la radio hongroise. En parallèle, il travaille comme réalisateur de films, directeur musical, rédacteur en chef de séries spéciales, présentateur et rédacteur en chef de programmes. Il est actuellement rédacteur en chef des programmes Hang-fogó, Ars nova et Ars acustica. Il a connu son premier succès en tant que compositeur alors qu’il était encore à l’université. En 2000, il reçoit le prix Benedek Istvánffy pour sa pièce « Silver-winged butterflies ». La même année, l’œuvre est interprétée avec succès à la Tribune internationale des compositeurs, un concours diffusé par les stations de radio de 28 pays. Au fil des ans, il est récompensé lors de plusieurs concours plus modestes, tels ceux de la Fondation libérale à Szeged ou des compositeurs de Zoltán Kodály à Kecskemét . En 2003, son Concerto Accord(ion) a obtenu la deuxième place lors de la 50e édition de la Tribune internationale des compositeurs. En septembre 2006, lors du premier enregistrement de la musique contemporaine hongroise a été réalisé son œuvre pour grand orchestre Les fleurs du vent est sélectionnée. L’année suivante, la composition reçoit le prix Artisjus de la musique de l’année et se voit recommandée par la Tribune internationale des compositeurs. Depuis l’été 2008, Gyula Bankövi produit des compositions électroacoustiques dans son propre studio.

Le troisième prix a été remis à Apor Szüts de cinq ans l’aîné de Patrik Olah. Né an 1993 dans une famille de musiciens (son arrière-grand-père était Imre Ungár, célèbre pianiste et professeur à l’Académie Liszt, et son grand-père István Ungár était professeur de musique) Apor Szüts a étudié entre 2006 et 2014 au Conservatoire Béla Bartók sous la direction de Miklós Csemiczky et de Miklós Kocsár, puis a poursuivi ses études à l’Académie Liszt de musique sous la direction de Balázs Kecskés et László Baranyay. Il est actuellement directeur musical de Virtuózok et directeur artistique de l’ensemble de chambre Virtuózok. En 2012, il a fondé avec ses collègues musiciens l’orchestre symphonique ApOrchestra, dont il est toujours le principal chef d’orchestre. En tant que pianiste, il a participé à plusieurs concours nationaux et internationaux, dont le concours international de piano Aci Bertoncejl en 2012, dont il est revenu avec le 2e prix. En 2014, il a participé et atteint les demi-finales du talent show Virtuózok. En 2014, il a reçu le prix du talent du concours d’écriture d’opéra du festival international d’opéra de Miskolc pour son opéra A Hallei kirurgus, qui a été joué sous sa propre direction au théâtre Csokonai de Debrecen. Il s’est également produit avec Alexander Rybak, vainqueur du concours Eurovision de la chanson 2009. Il participe régulièrement à la série éducative musicale Hangvilla de la chaîne MTVA, où il travaille comme illustrateur musical pour András Batta. À l’été 2018, le Bartók Plusz Opera Festival de Miskolc, dirigé par Vlad Troickij, a créé son œuvre très controversée RockGiovanni, une transcription de l’opéra Don Giovanni de Mozart. Malgré sa nature sujette à polémiques, l’œuvre a connu un grand succès, recevant même les éloges d’illustres membres de la communauté musicale, qui ont déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un simple arrangement pour un orchestre de rock mais d’une oeuvre contemporaine majeure.

error: Content is protected !!