L’interdiction de l’AfD revient sur le tapis

Allemagne – Selon une information diffusée par la Süddeutsche Zeitung qui a eu accès à des courriers électroniques échangés au sein de l’Office Fédéral de Protection de la Constitution, tous les éléments seraient réunis pour classer, de manière imminente, le parti d’extrême-droite AfD dans la catégorie des formations politiques à « tendance extrémiste avérée». Cette classification est un passage obligé pour que soit envisagée une interdiction du parti ; lequel maintient ses positions dans les sondages voire progresse dans certains länder et ce, malgré les centaines de manifestations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui sont organisées de toutes parts sur le territoire.

Carl Severing, ministre socialiste de l’Interieur sous la République de Weimar, a cru bien faire en interdisant la propagande hitlérienne mais l’avenir a prouvé que son initiative a été vaine.

Le Sénat berlinois demeure toutefois prudent face à une telle procédure d’interdiction car il considère qu’en réalité « il n’y a pas de nouvel état des lieux. » Les dirigeants, qu’ils soient fédéraux ou régionaux sont partagés quant à l’attitude à adopter, y compris au sein de leur propre formation, ce qui naturellement ne contribue pas à rationaliser le débat encore moins à rasséréner le climat. Une chose est toutefois certaine et l’histoire allemande est là pour le prouver, la radiation d’un parti de la vie publique ne suffit pas à éradiquer la montée en puissance d’une dictature. En 1922, après qu’Adolf Hitler eut fomenté plusieurs projets de putsch, le ministre social-démocrate de l’Intérieur alors en fonction, Carl Severing, décida de procéder à l’interdiction du parti national-socialiste (NSDAP). Celle-ci s’opéra par étapes successives dans le Bade, les villes de Brunswick et de Hambourg et enfin le 18 novembre de la même année sur l’ensemble du territoire de la Prusse. Cette interdiction en a entraîné une autre en l’occurrence celle du parti des travailleurs de la Grande Allemagne, une branche du NSDAP connue alors pour ses manifestations violentes. Les années qui ont suivi cette procédure ont révélé qu’elle avait eu un effet à l’inverse de celui recherché et c’est à partir du jour où il a été interdit au leader du NSDAP de s’exprimer publiquement que les masses silencieuses ont décidé de le rejoindre.

Un nombre d’électeurs potentiels toujours très élevé

Naturellement, le contexte n’est plus le même mais ce n’est parce que la société civile fait de plus en plus entendre sa voix en faveur d’une interdiction de l’AfD que cette dernière est pour autant crédible. On estime en effet entre 800.000 et 1,2 million, le nombre de personnes (souvent les mêmes), qui descendent régulièrement dans les rues pour lutter contre l’extrémisme de droite, ce qui est dérisoire comparativement au nombre d’électeurs potentiels de l’AfD, lequel s’élève, si on se fie à l’estimation la plus basse (16%) des divers instituts de sondages (1), à 26 millions ! Quand bien même évaluerait-on un taux de participation aux prochains scrutins à 60%, la marge de manœuvre de cette formation friserait les six millions d’électeurs. Parmi les trois länder de l’ex-RDA où vont avoir lieu les élections régionales à l’automne prochain, le plus peuplé avant le Brandebourg et le Thuringe, est la Saxe où l’AfD, en 2019, s’était arrogée 27,5% des suffrages, soit plus 610.000 voix. Lors de prochain scrutin, ce parti pourrait dépasser les 30% et c’est du moins ce que craignent tous les dirigeants des formations gouvernementales (SPD, FDP et Alliance/Les verts) mais aussi du bloc d’opposition CDU/CSU, lesquelles prétendent faire fi de leurs divergences pour mettre en place une sorte de front républicain comparable à celui qui s’est constitué en France en 2002, lorsque le président Front National, s’était retrouvé au lice au second tour lors des élections présidentielles. Mais la comparaison s’arrête là, car l’Allemagne d’aujourd’hui est à mille lieues de la France du début des années 2000. La montée en puissance de la Chine, la pandémie, la crise migratoire, la guerre en Ukraine et enfin le conflit au Moyen-Orient sont autant d’événements qui dissèquent à tel point la société allemande qu’elle en devient ingérable. A l’instar de ce qui s’observe dans la plupart des pays démocratiques, la scission entre deux blocs droite-gauche facilement identifiables n’existe plus et les nouvelles minorités parviennent, grâce aux réseaux sociaux, à se faire entendre avec la même efficacité que les formations historiques.

Ario Mirzaie, Allemand d’origine iranienne, est bien placé pour lutter contre le racisme mais considère que les racines de l’AfD sont à chercher dans les injustices sociales qui sévissent dans le pays.

Les manifestations dépassées par les réseaux sociaux

L’AfD serait-elle interdite et poussée au silence que cela n’empêchera pas ses adhérents et sympathisants de s’exprimer verbalement et physiquement. En effet, en tirant un trait sur leurs querelles de clochers pour mieux cibler un ennemi commun ne suffira pas à effacer la réalité du terrain. Si l’AfD progresse, c’est tout simplement parce que l’Allemagne est devenue un pays où les inégalités sociales ne cessent de s’exacerber. La dernière étude l’Institut d’Etudes Economiques (DIW), révèle en effet que les 840.000 personnes les plus riches du pays, soit 1% de la population, détiennent à elles seules plus du tiers de la richesse nationale. Diviserait-on le territoire en deux moitiés en fonction de la fortune de leurs habitants, la moitié la plus pauvre n’en posséderait que 1,8%, soit la superficie de la Sarre, l’autre moitié la plus riche en détiendrait tout le reste soit 76 fois plus. Ces inégalités sociales ne datent pas d’aujourd’hui mais elles se creusent d’année en année et plus les années s’écoulent plus augmente le nombre des oreilles sensibles au discours de l’AfD. Ario Mirzaie, porte-parole des Verts en charge des stratégies contre l’extrême-droite et qui se dit « grand fan » de l’interdiction de l’AfD, est le premier à le reconnaître lorsqu’il déclare « qu’il faut s’attaquer aux causes, ce qui passe par plus de véritable justice sociale. » Des efforts pour réduire les inégalités ne semblent toutefois pas être à l’ordre du jour bien au contraire. Le budget 2024 qui vient d’être adopté ne laisse rien présager de bon pour le climat social. Pour éponger les dette de cent milliards d’euros pour l’armée, le gouvernement va être contraint à court et moyen termes de rogner sur les dépenses vouées aux personnes âgées ou aux bénéficiaires de minima sociaux qui représentent à elles-seules avec 175 milliards et à cause du vieillissement de la population plus tiers du budget. Passons sur les coûts de l’immigration qui atteignent plus de 50 milliards d’euros. Etant donné que les tenants actuels du pouvoir se querellent chaque jour ou presque sur les solutions nécessaires à ces défis et que leurs opposants sont dans l’incapacité d’y apporter une réponse crédible, l’AfD,  que ses détracteurs ou censeurs le veuillent ou non, a encore de beaux jours devant elle. kb & vjp

(1) Les sondages du 20 février dernier créditaient l’AfD de 16 à 20% et ce malgré un nombre important de manifestations dans tout le pays dont certaines ont mobilisé plus de 100.000 personnes. De quoi faire réfléchir les instances dirigeantes avant de s’engager vers une procédure d’interdiction de ce parti.

 

 

 

Ario Mirzaie, Allemand d’origine iranienne, est bien placé pour lutter contre le racisme mais considère que les racines de l’AfD sont à chercher dans les injustices sociales qui sévissent dans le pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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