La justice inflige un camouflet au gouvernement

Allemagne – Coup de théâtre, mercredi, au Bundestag : alors que les parlementaires s’apprêtaient à débattre en vue de l’adoption de la loi sur l’énergie dans le bâtiment et la transformation des modes de chauffage, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a bloqué ce projet, donnant ainsi raison au député de l’opposition membre de l’Union Chrétienne Démocrate (CDU) Thomas Heilmann, lequel avait demandé une mesure provisoire afin d’interdire au Bundestag de délibérer.

Olaf Scholz s’attendait à tout sauf à la mise au piloris de la loi chauffage par la Cour Constitutionnelle.

Le projet de toute loi doit en effet parvenir au moins quinze jours auparavant par écrit aux députés afin que ces derniers puissent en évaluer tous les tenants et aboutissants, une condition que le gouvernement n’a pas respecter, enfreignant ainsi l’article 38 de la Loi Fondamentale qui spécifie clairement que « les députés n’ont pas seulement le droit de voter mais aussi le droit dé délibérer ». Pour Thomas Heilmann, la décision de la Cour Constitutionnelle est « un grand succès pour notre parlementarisme » avant d’ajouter avec une once d’humour « dans ce cas concret, pour la protection du climat ! ». Il faut rappeler que depuis des mois, des doutes planent sur les finalités de cette loi que le Verts espéraient voir passer comme une lettre à la poste. Or, dès le départ, il s’est avéré qu’elle était tellement compliquée à mettre en œuvre que même ses propres initiateurs y ont perdu leur latin. Lorsqu’un texte législatif s’adresse à un groupe particulier de la société à l’instar des étudiants, des demandeurs d’emplois, des personnes handicapées, des retraités, etc., il est relativement facile d’en définir les contours mais dans le cas présent c’est la population toute entière qui était concernée. Le loi chauffage, comme elle a été communément appelée, est devenu un sujet à tel point sensible qu’elle a contribué d’une part à discréditer les Verts qui chutent dans les sondages et d’autre part à faire du mouvement d’extrême-droite AfD le vrai porte-parole du peuple. De plus en plus d’Allemands sont las de se voir tenus responsables de tous les maux de la planète. Sans broncher, ils ont accepté de renoncer à leurs voitures dotés de moteur à combustion pour s’orienter vers de véhicules hybrides ou cent pour cent électriques, aujourd’hui il leur est demandé d’en faire de même avec leurs appareils de chauffage, ce qui est considéré à juste titre comme une immixtion dans leur vie privée. Sur les 41 millions de foyers, près de 50% se chauffent au gaz et 25% au fioul. Dans la plupart des cas, le chauffage s’opère avec des appareils récents conçus pour durer sur plusieurs années voire plusieurs décennies. Demander à ces personnes de faire transformer leur équipement afin qu’il fonctionne à 65% au moins avec de l’énergie écologique et ce, dès 2024, relève ni plus , ni moins aux yeux de beaucoup d’une forme de « dictature verte ».

Scepticisme tout azimut

Même dans les rangs des élus locaux qui allaient être soumis aux mêmes règles que les particuliers pour chauffer leurs équipements publics (piscines, gymnases, salles des fêtes, maisons de retraite, etc.), l’inconnu était de mise quant aux coûts engendrés par la loi. L’action en justice menée par Thomas Heilmann, action à laquelle la plupart de ses collègues au Bundestag ne croyait pas, a le mérite de remettre à plat un dossier qui, dès le début, a clivé et la société, et le monde politique. Inconnu du grand public, le député dissident est devenu du jour au lendemain une véritable star (Cf. portrait ci-après), celui qui a pu obliger le gouvernement, grâce aux procédures, à revoir sa copie. Ses amis de la CDU qui l’avait considéré comme un peu fou après qu’il eut engagé un recours auprès de la Cour Constitutionnelle sont aujourd’hui les premiers à le congratuler. Selon Friedrich Merz, président du groupe parlementaire de l’Union Chrétienne Démocrate, « la décision de Karlsruhe est une grave défaite pour le gouvernement fédéral d’Olaf Scholz ». Depuis son entrée en fonction, le gouvernement du Chancelier a la fâcheuse tendance à accélérer l’adoption des textes. En 2022, au cours des soixante-huit jours de sessions parlementaires, 187 textes de loi ont été soumis au Bundestag, dont 115 ont été adoptés et Friedrich Merz n’est pas le seul à dénoncer les délais extrêmement courts dont disposent les députés pour délibérer. Début juin, c’est-à-dire plusieurs semaines avant l’action engagée par Thomas Heilmann, un des juges de la Cour Constitutionnelle, Peter Müller, dans une interview qu’il avait accordée au quotidien Die Welt Am Sonntag, avait exprimé son malaise face aux procédures législatives trop rapides. « Il peut être nécessaire dans certains cas de faire adopter un texte en une dizaine de jours mais cela devient une habitude et ne peut pas continuer ainsi » n’avait-il pas hésité à déclarer. Désormais, tout le monde s’interroge à savoir si et quand cette satanée loi chauffage va revenir à l’ordre du jour du Bundestag. Un chose est certaine, ce ne sera pas cet été comme en rêvait le ministre Vert de l’économie Robert Habeck, ni peut-être même cette année comme l’envisage l’opposition qui veut mettre à profit ce camouflet pour proposer sa propre vision de la lutte contre le réchauffement climatique. kb & vjp

Portrait d’un rebelle

S’il est peu connu du grand public, il l’est en revanche dans les milieux de la politique et des affaires. Pendant quatre ans, de 2012 à 2016, Thomas Heilmann a été sénateur à Berlin en charge de la justice avant de devenir un an plus tard député au Bundestag. Contrairement à Friedrich Merz, non seulement il a toujours soutenu la politique d’Angela Merkel mais il a été amené à plusieurs reprises à conseiller l’ex-Chancelière. Tous ceux qui le côtoient, le décrivent comme une personne pragmatique et ouverte au dialogue et qui ne rechigne pas à dialoguer avec les Verts. Sur le plan professionnel, Thomas Theilmann, âgé de 59 ans, est un féru de publicité et d’Internet. Après avoir cofondé l’agence Delta-Design, absorbée un an plus tard en 1991 par le groupe Scholz & Friends,  il a investi dans plusieurs sociétés dont la station radiophonique Antenne Sachsen, le site professionnel Xing, la boutique en ligne MyToys, le pôle de compétitivité PixelPark, dont Publicis détient depuis peu plus 76% des actions, mais aussi le courtier en énergie Ampere. Thomas Heilmann a aussi été actionnaire de Facebook dont il a vendu ses parts après que leur valeur eut décuplée. Au sein de l’Union Chrétienne Démocrate, il s’est imposé comme le spécialiste du climat, un sujet qui lui tient à cœur.  Lors de sa réélection à la tête de « l’Union pour le Climat », il a déclaré « vouloir montrer comment organiser politiquement au mieux une protection climatique efficace avec l’économie et les hommes afin d’accélérer la transformation ». Il part du principe que « le site économique allemand dépend de sa capacité à fabriquer très rapidement de plus en plus de produits climatiquement neutres pour le marché mondial« . Il est évident que Thomas Heilmann, fort de son succès à Karlsruhe, va donner du fil à retordre au mouvement des Verts dont les membres dans leur grande majorité sont éloignés de réalités économiques mais aussi sociales, comme l’a prouvé l’élaboration très mal ficelée de leur loi.

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