Ciel très couvert sur les retraites européennes

Allemagne/France – Alors qu’Emmanuel Macron et son gouvernement sont en proie à des dissensions quant à l’avenir des retraites et vont, sans aucun doute, devoir faire face à de nouvelles tensions sociales , assorties de manifestations de rue, risquant de raviver la colère née des Gilets Jaunes, la grande coalition allemande actuellement au pouvoir est dans la même situation à la différence près que les Allemands sont conscients de l’avenir de leurs enfants, alors que les Français ne réfléchissent qu’au présent.

Le dossier des retraites prouve la légèreté avec laquelle les élites au pouvoir ont traité un sujet qui aurait dû être non seulement prioritaire mais imposé dans l’ADN de toutes le couches de la population. Alors que des milliards de francs, de deutsche Marks, puis d’euros ont été investis dans la recherche, afin que nous vivions plus longtemps, il n’est venu à l’idée de personne de mesurer avec précision le poids sur l’économie qu’allait représenter ces avancées scientifiques. Les dirigeants actuels sont priés de croiser les doigts et d’espérer que d’autres pathologies que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson ne s’immiscent pas dans le monde de la santé, car si tel n’était pas le cas ce n’est pas seulement les retraités qui seraient concernés mais la société toute entière. Plutôt que de prévoir et d’économiser lorsqu’elles étaient riches et prospères, la France et l’Allemagne ont préféré se voiler la face et dépenser. De cette gestion cavalière des fonds publics, les générations futures vont en récolter les fruits dont le goût sera plus proche de l’acidité du citron que de la douceur de la grenade.

Retraites : un sujet plus européen que national

Jean-Paul Delevoye, il sera presqu’octogénaire, en 2025,lorsque la réforme des retraites entrera en application !

Le rapport que vient de publier la banque fédérale allemande est sans appel et donne froid dans le dos car s’il est évident que le République Fédérale a encore toutes les chances d’être dans une cinquantaine d’années la plus grande puissance économique, en revanche il est fort possible qu’elle ne soit plus le facteur d’équilibre qu’elle est aujourd’hui. Aucun autre sujet n’a autant besoin de réformes concertées et jamais la nécessité de l’union n’a été aussi évidente. Or, que voit-on ? Deux pays qui sont les moteurs de l’Europe préparer chacun de leur côté des réformes sans se concerter. A quoi sert-il qu’un grand groupe français comme PSA s’offre une grande marque allemande, si les salariés d’Opel sont contraints de travailler cinq voire sept années de plus que leurs collègues travaillant chez Peugeot ? On pourrait multiplier les exemples, ne serait-ce que dans le secteur de l’automobile avec Skoda et Volkswagen ou Renault et Dacia. Alors que l’économie se mondialise et que les injustices sociales croissent en Europe, les classes dirigeantes continuent à gérer l’avenir de ceux qui les font vivre en catimini et sans se concerter. Où est la justice européenne dans tout ça ? N’est-il pas temps pour un dossier aussi sensible que la solidarité à l’échelon continental prenne le pas sur les égoïsmes nationaux ? Quels que soient les épilogues que connaîtront les efforts de la présidence française et de la Chancellerie allemande, ils resteront vains car ils n’auront pas été supervisés par la Commission Européenne qui se réveille des années après que l’alerte a été donnée. Ce fut le cas avec la crise migratoire puis avec la taxation des Gafa et ça continue. Les dirigeants prennent conscience qu’aujourd’hui que tous les baby-boomers qui avaient l’avantage de remplir les caisses hier, ont aujourd’hui l’inconvénient de vieillir trop vite. Ces élites incompétentes dont les méthodes ont été passées au crible avec justesse et intelligence par l’écrivain Alessandro Baricco dans une édition récente du « 1 », veulent que demain les victimes s’acquittent d’une dette dont elles ne sont pas responsables. Ce n’est plus de la politique économique c’est de l’escroquerie pure et simple. Dans le fond, les Français n’ont pas tort, lorsqu’ils se battent pour le maintien d’un âge légal d’accès à la retraite à 62 ans car ils l’ont tout simplement mérité. Les Allemands sont, quant à eux, plus lucides lorsqu’ils n’excluent pas l’hypothèse d’une obligation de travail jusqu’à 69 voire 73 ans. Sur la rive gauche du Rhin, on tire un trait sur les années de prospérité et de gaspillage et on se bat pour protéger ses acquis comme si le monde était immuable. Sur la droite, on fait son mea culpa et cherche à réparer ses erreurs. La logique de la solidarité européenne voudrait qu’on coupât la poire en deux et qu’on fixât l’âge légal à 65 ans pour tous, de chaque côté du fleuve. Mais comme le mot logique dans cette Europe qui se cherche depuis plus de soixante ans est demeuré abstrait, on en oublie toutes les réalités.

Des solutions de plus en plus inégalitaires

La Banque Fédérale allemande fait un constat mais ne trouve rien de mieux comme solution que de recourir aux vieilles méthodes dont la plus brutale consisterait à augmenter les prélèvements voués aux pensions tout en allongeant la durée d’activité. Si ça ne suffit pas, elle propose un autre remède, encore plus abrupt, qui aboutirait à une réduction des salaires nets et à une augmentation en parallèle de la TVA. Que des sociétés et groupes privés aient des politiques salariales divergentes d’un pays à l’autre du fait de contextes économiques différents est à la limite compréhensible, mais que les Etats ne donnent pas l’exemple dans les métiers de la fonction publique est inadmissible. La Charte Sociale adoptée par la Communauté Européenne le 18 octobre 1961 n’a été revue et corrigée qu’en 1995, soit trente quatre ans plus tard mais n’a jamais été réformée en profondeur depuis, y compris après l’arrivée des dix Républiques d’Europe centrale dans l’union en 2005..Ce rappel historique est nécessaire car il prouve que les états-majors majors bruxellois n’ont jamais pu se pencher avec rigueur et rationalisme sur l’Europe sociale. Contrainte de fermer les yeux sur les dérives de certains pays, dont la France, où les salaires ont été un moyen de pression sur les politiques, la Commission Européenne est devenue complice d’une politique sociale inégalitaire. Pour réformer les retraites, il eût fallu s’atteler à une réforme en profondeur du travail, ce qui n’a jamais été possible parce que les représentants des salariés ne l’ont jamais souhaitée. Chacun sait que dans tous les pays, un des postes de dépenses le plus important est celui de l’éducation, or il est aussi celui qui s’avère le plus facile à réformer car il est uniforme. Un professeur français qui apprend à compter à ses élèves a besoin du même temps et des mêmes équipements que ses collègues allemand, italien ou espagnol qui en font de même avec les leurs. Toutes les professions des éducations nationales sont soumises aux mêmes contraintes et c’est pourtant dans ce secteur que les inégalités sont les plus flagrantes. Selon une étude de l’OCDE, un professeur allemand travaille en moyenne 1.757 heures par an, dont 750 (42,6%) sont destinées à l’enseignement, en Autriche 1.776, dont 607 (34%), en France 1.607 dont 648 (40,3%) et au Luxembourg 1.365 dont 855 (62,6%) . Encore plus éloquentes sont les inégalités au niveau salarial. Toujours selon l’OCDE, un professeur d’école après quinze années d’expérience perçoit un salaire brut annuel de 97.710 euros au Luxembourg, de 67.000 en Allemagne et de 37.700 en France. Face à de telles données, on peut naturellement s’interroger, à savoir s’il est encore possible de récupérer le retard et surtout de recoller les pots cassés. Difficile de l’imaginer si, une fois encore, on s’hasarde à une comparaison entre l’ Allemagne et la France. A Berlin, ce sont des quadragénaires, des quinquagénaires au pire ses sexagénaires qui vont tenter de remettre les choses en ordre, en France la mission a été confiée à un septuagénaire qui sera presque octogénaire lorsque la réforme qu’il propose sera éventuellement appliquée. Naturellement, il n’est pas venu à l’idée de cet homme qui cumule cette mission avec sa pension et ses privilèges d’ancien Sénateur et d’ancien ministre, de remettre en cause l’âge légal d’accès à la retraite à 62 ans. Le système du tirage au sort choisi par la France aurait été tourné en dérision par les Allemands qui n’auraient jamais accepté que 28 personnes pussent influer sur l’avenir de dizaines de millions d’actifs. S’il est un sujet qui aurait mérité une très large consultation nationale et une référendum d’initiative citoyenne, c’est bel et bien celui des retraites. vjp (Nombre de mots : 1.401)

 

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