Scandale d’Etat au paradis des milliardaires

L’ex-vice-chancelier autrichien H-C.Strache : une vidéo a mis fin définitivement à sa carrière

Autriche/Hongrie/UE – Lorsque le parti hongrois FIDESZ a été temporairement suspendu du groupe conservateur PPE au Parlement Européen, le ministre-président, le ministre-président Viktor Orban, a pris cette décision avec une certaine désinvolture. Persuadé que la coalition au pouvoir en Autriche qui unit le centre-droit à l’extrême-droite depuis l’automne 2017, allait faire des émules dans d’autres pays européens et permettre à la droite de la droite de constituer un troisième groupe puissant à Strasbourg afin d’éviter une dérive vers la gauche des conservateurs, Orban est contraint depuis le début de la semaine de reconsidérer sa stratégie car son modèle autrichien a  fondu en quelques séjours comme neige au soleil. Son rêve a été brisé à cause d’une vidéo qui a fait l’objet de toutes les « unes » dans les deux pays directement concernés mais aussi en Allemagne, en Italie et dans une moindre mesure dans tous les autres pays de l’Union Européenne. Cette vidéo,  diffusée par les sites du Spiegel et de  la Süddeutsche Zeitung et relayée  par la chaîne publique ORF (Oesterreichischer Rundfunk), montre le président du parti d’extrême-droite, Heinz-Christian Strache, à moitié dénudé et aux trois-quarts enivré, en compagnie intime d’une  Russe, jeune et riche , avec laquelle il s’interroge longuement, à savoir comment son parti pourrait prendre le pouvoir en Autriche sans être obligé de le partager avec des conservateurs qui sont encore trop démocrates parce qu’ils tolèrent les mouvements d’opposition. « Il faut faire comme Orban » propose-t-il, faisant référence à son ami Viktor, qui avait eu recours à un homme d’affaires autrichien, Heinrich Pecina, pour faire main basse sur la presse hongroise et y placer ses amis. Cette pratique en vigueur dans de nombreux pays et qui consiste à s’arroger le pouvoir médiatique par le truchement de femmes ou d’hommes de paille aurait pu fonctionner à merveille si Strache n’avait pas été pris la main dans le sac. La vidéo filme un homme vêtu  d’un T-Shirt, affalé dans un divan s’entretenant, dans un appartement à Ibiza ,  avec une belle et grande blonde qui prend des notes et lui avoue qu’elle est la nièce d’un homme d’affaires russe en mesure d’acheter rubis sur ongle le plus grand quotidien populaire autrichien, en l’occurrence la « Kronen Zeitung » qui, parce qu’elle est lue par plus de deux millions de personnes fait la pluie et le beau temps sur la politique du pays. Impossible d’acquérir le pouvoir à Vienne, sans le soutien plus ou moins déguisé de la KZ.  Dès sa diffusion,  ce reportage insolite a provoqué un tel tollé que Strache n’a eu d’autre choix que de remettre sa démission du poste de vice-chancelier. Face à l’ampleur du scandale, le jeune Chancelier Sebastian Kurz a dû se résoudre  de congédier dans la foulée  tous les ministres membres du FPÖ qui ont été remplacés par des experts en attendant de nouvelles élections au Parlement. Celles-ci se dérouleront en septembre prochain, comme l’ a confirmé le Président de la République, Alexander van der Bellen, qui est passé du jour au lendemain, du rôle de président honorifique à celui de gestionnaire de crise.

Des milliardaires potentiellement corruptibles

Le richissime Pecina : il a contribué à l’ascension et au maintien au pouvoir de Viktor Orban

Mais « l’Ibiza-Skandal » ,  qui pourrait être une aubaine pour des opposants désireux de reprendre le pouvoir, est plutôt devenu un sujet de controverse entre trois camps ceux qui souhaiteraient en profiter pour se débarrasser de Sebastian Kurz,  ceux qui considèrent que le chef de l’exécutif n’a strictement rien à voir avec cette affaire et enfin ceux qui estiment que le Chancelier n’est pas assez expérimenté pour tenir tête à des personnages puissants, tous milliardaires, dont l’un ou l’autre pourrait être son père voire son grand-père.  Jamais l’Autriche n’a été autant divisée et ce, à un moment crucial pour son avenir  mais aussi  celui de l’Europe, car cette République a beau être, démographiquement, un des plus petits membres de l’Union, elle  n’en demeure pas moins un des plus forts symboles. Après l’Allemagne, elle est un territoire frontalier de six autres membres de l’UE dont tous ceux en forte croissance qui brassent des milliards de fonds publics et privés. Il est plus facile de devenir multimilliardaire  en Autriche que partout ailleurs dans le monde. Les plus richissimes, Heinz-Christian Strache, les citent tous ou presque  dans la vidéo. Les domaines dans lesquels ils se sont enrichis sont ceux qu’on retrouve toujours quand il est question de scandales à grande échelle : l’immobilier , le commerce d’armes, les jeux, le négoce de boissons alcoolisées et naturellement les médias.  Les Autrichiens sont habitués à toutes ces transactions douteuses mais en revanche ils ne se seraient imaginés que leur vice-chancelier pût tomber, « comme un bleu »,  dans un tel piège. C’est la raison pour laquelle la presse est autant scandalisée que dubitative. Elle s’interroge à savoir qui est réellement le réalisateur de cette vidéo, un amateur membre de l’entourage de Strache ou un espion professionnel ?  Comment et grâce à qui elle a atterri simultanément au Spiegel et à la Süddeutsche Zeitung ?  Qui est véritablement l’interlocutrice russe et pour qui travaille-t-elle ? Pourquoi cette vidéo est restée pendant deux ans dans les tiroirs avant d’être diffusée ? Sans aller jusqu’à évoquer la thèse du complot dont sont friands les mouvements d’extrême-droite, il faut tout de même reconnaître que cette affaire d’Ibiza surgissant à une semaine des élections européennes est pour le moins suspecte. Le Président de la République, le seul dont l’intégrité n’est remise en cause par personne, est le premier à s’interroger et se serait bien passé de cette bombe explosive  qu’il va devoir tenter de désamorcer. vjp

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